Le Centre Pompidou s'installe au Kanal à Bruxelles
Quand un vaisseau urbain change de cap, il se transforme. Nous étions dans Kanal avec Bernard Blistène, directeur du Centre Pompidou, et Yves Goldstein, directeur de la Fondation Kanal.
En 1931, les garages conçus par André Citroën n’étaient ni atelier de réparation, ni lieu de fabrication, mais espace d’exposition. Les volumes d’origine offraient un espace sous toiture de 24 mètres. C’est dans les années 1950 qu’ils ont été subdivisés pour devenir plus fonctionnel. Près d’un siècle plus tard, les lieux renouent avec cette origine: on y expose des œuvres majeures du XXème siècle, toutes liées à l’univers de la machine.
"Le lieu est si fort qu’il est le fil rouge." Bernard Blistène répète ce mercredi matin ce qu’il affirme depuis plusieurs mois: "Un musée est une affaire sérieuse où l’on s’amuse." Et, tout au long de cette visite, cela se voit. Nous sommes à l’entrée, à quelques pas du canal et, comme de juste, nous commençons par L’Enfer, un petit début, pièce monumentale de Tinguely, assemblage machinal, végétal, animal que le sculpteur imagina après la mort de sa mère en 1984.
Blistène: "Ce Tinguely, je n’ai jamais pu le montrer à Beaubourg-Paris: pas la place!" Sur la passerelle perpendiculaire qui le surplombe, l’immense Open Wall de Pascale Marthine Tayou, qui le définissait ainsi: "C’est un mur, mais avec des ouvertures." À Kanal, c’est l’inverse: une immense ouverture, avec quelques parois qui scandent les lieux plus qu’elles ne le cloisonnent.
Derrière L’Enfer de Tinguely, c’est l’Usine de films amateurs, un ensemble de décors empreints de belgitude, où le visiteur créera son film: nous ne sommes pas loin de la banale, inquiétante étrangeté de Twin Peaks… Les anciens ateliers de tôlerie et de peinture accueillent une série d’œuvres dans des volumes majestueux où elles semblent respirer, revivre, telles des créatures mutantes avec, au passage, des clins d’œil excitants: la compression Ricard de César dans l’ancienne cage à peinture fait face, dans le même axe, aux Boucliers de Calder. Une salle est dédiée à l’Oracle de Rauschenberg, machines vestiges du passé crachant des émissions de radio du présent.
À côté de ces monuments du XXème siècle, sept artistes belge jouent de la mémoire des lieux. Toute grande œuvre se nourrit d’heureux accidents: "Un client de Citroën n’avait pas de quoi payer la réparation de sa voiture: il a laissé en gage un tableau de la Croisière Noire (1924-1925) expédition qui assurait la promotion de la marque." Pour la Milanaise Simona Denicolai et le Dixmudois Ivo Provoost, c’est le point de départ d’une œuvre-enquête dans les archives du garage.
Quant à Ariane Loze, elle s’est démultipliée en se filmant dans les espaces et en inventant une fiction qui croise les clichés de la publicité automobile et la réalité du lieu. Au premier niveau, Station to Station fait dialoguer à distance trois compositions magistrales, que Pompidou Paris n’avait pas non plus la place de montrer. La Maison tropicale (Jean Prouvé, 1953), issue d’une pensée sur la standardisation et la préfabrication, dialogue avec l’atelier Citroën.
La maison suspendue Pao II de Toyo Ito, frêle abri aérien, flotte dans une trémie de l’atelier, opposant sa grâce arachnéenne d’habitat nomade à la puissance de la géométrie industrielle. Enfin, le Pavillon Lasvit LiquidKristal de Ross Lovegrove pour Lasvit (2012), fait converger architecture et design numériques, entre état liquide et solide, derrière ses parois translucides, dans le "cabinet prospectif" de l’exposition, œuvres de designers en impression 3D.
Enfin, dans l’espace Le Lieu du Film, au deuxième niveau, on s’arrête dans une vaste salle noire et nue, au plafond bas, où des toiles tendues sur des chevalets de bois reçoivent les films de l’Américain David Haxton, extraordinaire exploration des paradoxes de la profondeur et de la perspective, un pur envoûtement. Dans cette immensité froide, métallique et lumineuse, ces œuvres nous prennent par la main et, avec un clin d’œil, nous invitent à une vie nouvelle.
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