Vos fonds doivent-ils être gérés par un ordinateur?
Dans le monde des fonds "quantitatifs", tout est réglé par des modèles mathématiques. Votre argent est géré activement, mais comme les ordinateurs travaillent presque gratuitement, les frais sont souvent moins élevés.
Permettez-nous de dramatiser un peu et de parler de guerre entre l’Homme et la machine. Les investissements passifs ont le vent en poupe notamment parce que la gestion active n’a pas réussi à convaincre et de plus en plus de fonds (spéculatifs) doivent se justifier parce qu’ils facturent des frais excessifs pour des prestations décevantes.
Entre les fonds gérés activement et les fonds indiciels (ou trackers), les fonds quantitatifs (ou "quants") font office de challenger. Ces fonds ne réalisent aucune analyse qualitative et se contentent de suivre un modèle. L’algorithme exclut par définition tout investissement émotionnel, tout comme c’est le cas pour les trackers (fonds passifs). Néanmoins, il anticipe comme un gestionnaire actif et trouve rapidement la décision qui correspond le mieux à sa stratégie. "Un ordinateur prend des décisions de manière automatisée", explique l’analyste quant Johan Fastenakels de KBC Asset Management, alors qu’un analyste doit justifier sa propre vision, en particulier lorsqu’il décide d’aller à l’encontre du consensus de ses confrères.
Comment cela fonctionne-t-il? L’ordinateur compile toutes sortes de données financières ou autres et établit ensuite une liste d’ordres d’achat et de vente. Celle-ci est directement transmise aux marchés concernés pour exécution. L’objectif est de modifier aussi vite que possible la composition du portefeuille, pour obtenir le portefeuille "idéal" prescrit par le modèle.
La mise au point d’un tel modèle demande beaucoup de travail (humain). Quelqu’un doit en effet définir l’objectif du système: la priorité est-elle de se protéger contre des baisses de cours ou plutôt de percevoir un maximum de dividendes de manière régulière?
Les esprits changent
Un ordinateur ne se paie qu’une seule fois, au moment de l’achat. Il ne prend pas de vacances, ne demande pas de bonus et n’est pas subtilisé par un concurrent. Les ordinateurs ne visitent pas non plus les entreprises à l’étranger et n’ont même pas besoin d’imprimer les fichiers pour analyser des quantités énormes d’informations.
Etant donné qu’aujourd’hui de nombreux épargnants se tournent vers les produits gérés passivement, pour des questions de coûts, il est logique que les sociétés de gestion cherchent de nouvelles manières de réduire leurs frais. "Les coûts sont devenus un sujet très sensible, explique un observateur. J’entends souvent dire qu’ils sont devenus l’un des moteurs de la consolidation au sein du secteur."
De plus en plus de grandes sociétés de gestion ont par ailleurs renoncé à l’idée que les gestionnaires de fonds en chair et en os pouvaient battre le marché à long terme. Aussi, à la fin du mois dernier, BlackRock le plus grand gestionnaire de fonds au monde a-t-il pris une décision importante. Avec quelque 5.100 milliards d’euros d’actifs sous gestion, la société voit chaque année de l’argent quitter ses fonds gérésactivement qui font du stock picking pour alimenter les fonds passifs, bien meilleur marché. Cela fait longtemps que ces nouveaux fonds représentent la plus grande part de ce que l’on appelle les "assets under management".
Le nouveau patron de la division "stock picking" de BlackRock a par conséquent décidé d’augmenter le rôle des ordinateurs dans la sélection des actions. Cette mesure entraînera une réduction des tarifs pour les clients, mais aussi d’inévitables licenciements. Des dizaines de personnes perdent leur emploi chez BlackRock, dont sept gestionnaires de fonds, a appris le Wall Street Journal de sources proches du dossier. Le fonds d’actions américaines BlackRock Large Cap Core fait partie des fonds qui seront désormais gérés par un robot. Les frais de gestion passent ainsi de 0,88 à 0,48%. Neuf autres fonds quantitatifs destinés aux investisseurs particuliers verront bientôt le jour. Les frais seront inférieurs de 50% aux coûts des fonds qu’ils remplaceront. Ce changement pèsera sur le chiffre d’affaires du groupe à raison de 30 millions de dollars par an.
Fidelity, pour sa part, a reporté pendant des années l’idée de passer à la gestion passive. La maison de fonds jouit depuis longtemps d’une réputation de stock picker convaincu, avec des gestionnaires stars primés et récompensés. Mais depuis quelques mois, elle ne peut nier que son fonds amiral Fidelity Contrafund a été dépassé par le Fidelity 500 Index Fund.
Juste milieu
"Pour nous, les fonds quantitatifs ne font pas partie de la gestion passive, estime Karan Karunakaran, qui dirige la division Rule Based Equity Products de Pimco. Oui, les frais sont un point important pour nos clients, mais avec cette stratégie, nous voulons avant tout supprimer le risque, ce qui n’est pas possible avec les investissements passifs".
Le département dirigé par Karan Karunakaran comprend quatre fonds (PIMCO GIS RAE Fundamental Global Developed, Fundamental US, Fundamental Europe et Fundamental EM), dont les coûts de gestion annuels oscillent entre 0,4% (pour les Etats-Unis) et 0,75% (pour les marchés émergents). "Nos fonds ‘quant’ ne sont certainement pas aussi bon marché que les fonds passifs, mais ils sont beaucoup moins chers que les stock pickers, reconnaît Karan Harunakaran. Nous avons toutefois l’ambition de faire mieux que le marché en cherchant de manière systématique à identifier les valorisations anormales."
Les fonds de Karan Karunakaran appliquent des modèles qui agissent en réalité comme des investisseurs "value" automatisés. "Nous aimons contrarier le marché et nous estimons que c’est ce qui rapporte le plus à long terme. Nous achetons ce dont les autres ne veulent pas et nous attendons que le vent tourne. Les actions impopulaires sont bon marché et souvent, elles finissent par reprendre de la valeur. Par ailleurs, nous comptons sur nos modèles pour vendre au bon moment, explique Karan Karunakaran. Le cœur de notre stratégie est de rechercher ces actions impopulaires et bon marché. Les ordinateurs sont capables de le faire pour nous de manière systématique."
Une autre particularité des portefeuilles algorithmiques de Pimco, c’est que les fonds ne sont pas soumis à de fréquentes modifications "Car cela pèse sur les rendements." Le processus d’analyse du portefeuille a lieu tous les trimestres. Il en sort chaque fois une liste d’actions assortie de recommandations portant sur leur pondération optimale dans le portefeuille. "Nous utilisons les rapports financiers des entreprises et les données publiques des marchés financiers. L’utilisation d’informations privilégiées fonctionnait très bien il y a cinquante ans. Aujourd’hui, il faut disposer d’un avantage analytique ou d’une meilleure discipline que les concurrents. C’est sur ce plan que les fonds quantitatifs sont les plus performants. Cette tendance ne s’arrêtera pas et nous pensons que ces stratégies attireront de plus en plus d’investisseurs."
En chair et en os
Si vous analysez la fiche d’un fonds quantitatif, vous constaterez que des noms de gestionnaires y figurent malgré tout. "Les ‘quants’ analysent les données financières sur la base d’un modèle mathématique, très comparable au système de pensée d’un analyste classique, explique Wim Van Hellemont, responsable de la gestion de portefeuille chez KBC Asset Management. Ces modèles se basent sur des principes économiques éprouvés. Mais il faut quelqu’un pour créer ce modèle et ensuite l’affiner."
Le travail (humain) de réflexion qui se cache derrière un fonds quantitatif consiste à développer et à améliorer un modèle robuste plutôt qu’à sélectionner des actifs. Wim Van Hellemont explique ainsi pourquoi les "quants" de KBC AM ne sont pas moins chers que les autres fonds. "Le travail de recherche est différent, mais cela n’influe pas nécessairement sur les coûts. Par ailleurs, la disponibilité et la qualité des données jouent un rôle essentiel. Parfois, il faut l’intervention d’un expert pour ‘nettoyer’ préalablement les informations avant que l’ordinateur puisse les traiter."
Wim Van Hellemont prône aussi la supervision humaine pour stopper à temps des algorithmes qui sortent des rails. "Nous ne nous fions pas à 100% à la capacité d’un modèle informatique à tout gérer. Lorsqu’un algorithme réagit de manière erronée et que personne n’intervient, cela peut provoquer un flash crash", c’est-à-dire une chute importante et inexpliquée des marchés financiers, qui disparaît aussi vite qu’elle est apparue. Par exemple, en octobre dernier, la livre sterling a perdu 9% par rapport au dollar pendant une séance asiatique pourtant peu chahutée. Moins de deux minutes plus tard, le cours s’était rétabli.
KBC AM gère plusieurs fonds d’actions dont l’analyse est confiée dans une large mesure à des ordinateurs. Fin 2016, les "quants" comptabilisaient 6,6 milliards d’euros, soit pour Wim Van Hellemont environ un tiers du montant total investi dans les fonds d’actions. Le plus grand fonds "quant" est KBC Equity Fund American . Aucun des fonds quantitatifs de KBC AM n’utilise les techniques de levier.
"Nous ne nous fions pas à un modèle qui gère tout. Un algorithme qui réagit de manière erronée peut provoquer un flash crash."
Diversification
"Une des caractéristiques de nos fonds ‘quants’, c’est qu’ils sont encore plus diversifiés que les autres fonds, explique Wim Van Hellemont. Nous misons sur la force du nombre et nous analysons 5.000 actions sur base quantitative. Si nous faisons la bonne sélection dans 51% des cas, nous battons l’indice MSCI qui nous sert de référence."
Les CTA qui font aussi appel à des algorithmes font figure d’exception. Il s’agit de fonds spéculatifs qui investissent via des futures dans différentes classes d’actifs,y compris les obligations, les marchés monétaires et les matières premières. "Notre modèle ne privilégie aucune classe d’actifs. Nous tenons cependant à ce que chaque partie contribue de manière égale à la réduction de la volatilité", nous explique Ludovic Berthe, gestionnaire d’Échiquier QME. Il s’agit du produit d’investissement alternatif de la société française La Financière de l’Échiquier. Ludovic Berthe a commencé à développer le système en 2006 et a réussi à convaincre le fondateur de la Financière de l’Échiquier fin 2012 de la logique qui sous-tend l’analyse quantitative.
"Pour 70% de notre portefeuille, nous identifions des tendances, afin de miser ensuite sur des hausses ou des baisses de cours, explique Ludovicv Berthe. Nous considérons les 30% restants comme faisant partie d’une stratégie satellite. C’est de là que les résultats doivent venir en l’absence de tendances claires sur le marché. Ces deux dernières années, nous avons donc souffert pendant quelque temps, mais pas autant que les CTA qui suivent exclusivement certaines tendances."
Contrairement aux fonds de KBC AM et Pimco, Échiquier QME procède à des arbitrages quotidiens. D’après ses concepteurs, c’est la meilleure façon de protéger l’argent des investisseurs. "Les risques individuels de nos sélections sont très limités et la volatilité reste sous contrôle", conclut Ludovic Berthe.
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