Ce n’est plus un mythe, ce n’est plus seulement une volonté politique. C’est bien réel et c’est pour demain: dès septembre 2017 au plus tard, le fisc saura à peu près tout sur l’étendue de votre patrimoine et les revenus qu’il produit à l’étranger. Car le grand marché de l’échange automatique d’informations financières entre les pays s’intensifiera l’année prochaine. Pas moins de 54 juridictions vont commencer à s’échanger des informations sur les comptes des non-résidents selon la norme CRS (common reporting standard). Et en 2018, 25 nouvelles juridictions, dont la Suisse, s’y mettront aussi.
La masse d’informations qui va passer d’institutions financières en administrations fiscales avant de traverser les frontières est colossale, même si quantité de renseignements parviennent déjà, et depuis de nombreuses années, au fisc belge. De fait, depuis la directive sur la fiscalité de l’épargne de 2005 dans l’Union européenne, qui visait l’échange d’informations sur les intérêts perçus par des personnes physiques à l’étranger, de nouveaux accords internationaux ont été signés et de plus en plus de renseignements sont entrés dans le champs de la transparence.
"Du point de vue de la vérification fiscale, la matière internationale constituera à terme le quotidien de l’agent taxateur."
Les renseignements qui parviennent ainsi à l’administration fiscale belge sont de plus en plus nombreux, de plus en plus complets et de plus en plus réguliers. Ce qui permet de s’assurer que l’impôt dû dans les cas transfrontaliers est correctement perçu. Car la matière internationale est toujours plus présente dans les dossiers fiscaux. "Du point de vue de la vérification fiscale, la matière internationale constituera à terme le quotidien de l’agent taxateur, au même titre que le traitement des renseignements d’origine belge", prévient ainsi Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances.
1. Quelles informations vont être échangées?
Les institutions financières devront donc communiquer de manière standardisée à l’administration fiscale de leur pays toutes les données financières des non-résidents dont elles auront préalablement identifié le domicile fiscal. Outre les numéros de compte, l’échange d’informations porte sur les soldes et les revenus de ces comptes. Les mouvements sur les comptes bancaires ne sont pas automatiquement échangés mais peuvent être demandés sous certaines conditions à l’Etat partenaire.
Pour un compte titre, la banque communiquera donc le montant brut des intérêts, des dividendes et autres revenus produits par les actifs détenus sur le compte, dont le montant brut de la revente de titres par exemple.
Pour les comptes de dépôt, la banque communiquera le montant brut total des intérêts.
Pour les contrats d’assurance-vie, l’assureur renseignera notamment l’identité du preneur, le type de contrat et la valeur de rachat (soit le montant que vous obtiendriez si vous deviez sortir de votre assurance-vie) et les rachats effectués au cours de l’année de référence.
Et de fait, l’administration fiscale belge en saura nettement plus sur vos avoirs à l’étranger que sur vos avoirs en Belgique. Chez nous, les banques communiquent au premier trimestre de chaque année au Point de contact central (PCC) le nom de leurs clients et leur numéro de compte ou de contrat, mais aucun solde n’apparaît. De plus, ce n’est qu’en cas de suspicion de fraude que le fisc peut demander des informations au PCC. En revanche, il disposera désormais de toutes les informations concernant les comptes à l’étranger du contribuable belge et pourra les utiliser comme bon lui semble, sans suspicion de fraude.
2. Quand les renseignements sont-ils collectés?
Pour 2017, les renseignements échangés portent sur les données de 2016. "Il ne s’agit pas de la photographie de la situation au 31 décembre 2016, mais bien d’une vue globale sur toute l’année. Cela condamne les ‘bricolages’ de dernière minute proposés par certains banquiers étrangers", souligne Me Grégory Homans, avocat spécialisé en droit fiscal, associé au cabinet Dekeyser & Associes.
Ainsi, si vous avez eu un compte ouvert pendant trois semaines aux Seychelles au mois de janvier 2016, la banque de l’archipel doit prévenir son administration fiscale qui informera le fisc belge au plus tard en septembre 2017, même si ce compte a été clôturé entretemps. Les informations portent donc toujours sur l’année N-1 dans son entièreté.
3. Quels pays participent à l’échange d’informations?
Au total, 90 pays se sont actuellement engagés à participer à l’échange d’informations dans le cadre des CRS, en deux phases. Une première partie d’entre eux échangera des informations à partir de 2017 et une autre partie commencera en 2018.
"Les CRS ne vont pas révolutionner les échanges au niveau des situations ‘simples’dans l’Union européenne, qui vont déjà plus loin depuis plusieurs années".
Les "early adopters" sont au nombre de 54. On y trouve tous les pays de l’Union européenne à l’exception de l’Autriche. De nombreux autres pays sont également signataires, dont les (ex) paradis fiscaux notoires du type Iles vierges britanniques, la Barbade, les Iles Caïman, l’Ile de Man, le Lichtenstein, Saint-Marin, Gibraltar, etc.
En 2018, la Suisse et l’Autriche rejoindront cette zone géante de transparence fiscale, avec Andorre, Monaco, les Iles Cook, les Bahamas, l’Indonésie, Macao ou encore le Panama. "Il est intéressant de constater que les Emirats Arabes Unis (entre autres Dubaï), Singapour, l’Ile Maurice et le Quatar pratiqueront également les échanges automatiques d’informations pour les données 2017. Cela démontre le succès des CRS", poursuit-il.
Parmi les grands absents, on retrouve surtout les Etats-Unis (qui ont une vision unilatérale – en leur faveur – de l’échange d’informations avec le règlement Fatca). Mais aussi presque tous les pays d’Afrique et une série de pays asiatiques, comme la Thaïlande, les Philippines, le Vietnam ou Taïwan. Sans oublier quantité de minuscules archipels, comme les Maldives.
La liste précise des pays et leur année d’entrée dans le système (2017 ou 2018) est disponible sur le site de l’OCDE.
Carte des pays concernés par le CRS
- En vert, les pays qui participeront à l’échange d’informations dès 2017.
- En rouge, les pays qui participeront à partir de 2018.
4. Que sait déjà le fisc sur vos avoirs à l’étranger?
En réalité, le fisc en sait déjà beaucoup sur les avoirs des contribuables belges à l’étranger. Car l’échange automatique d’informations est déjà en place depuis 2005 dans l’Union européenne. Comme l’explique Charles Kesteloot, responsable de la planification successorale chez Degroof Petercam, "les CRS ne vont pas révolutionner les échanges au niveau des situations ‘simples’ dans l’Union européenne, qui vont déjà plus loin depuis plusieurs années".
En 2005, les Etats membres de l’UE ont en effet commencé à échanger automatiquement les informations concernant les intérêts de l’épargne et de certains produits fiscalement assimilés des non-résidents. Au départ, le Luxembourg, l’Autriche et la Suisse ont opté pour un prélèvement fiscal à la source, ce qui les dispensait de fournir les informations prévues par la directive. Mais en 2015, le Luxembourg est passé à l’échange d’informations, la Suisse l’a suivi en 2016 et l’Autriche y passera aussi en 2017.
En 2011, l’impact de la directive "épargne" ayant été jugé trop limité, l’Union européenne a décidé d’élargir progressivement la nature des informations échangées à cinq catégories de revenus et de capital: les revenus professionnels, les tantièmes et jetons de présence, les produits d’assurance-vie, les pensions, la propriété et les revenus de biens immobiliers. Ces informations font donc aujourd’hui l’objet d’échanges au sein de l’Union européenne, mais a priori pas au sein des pays signataires de la norme CRS (sauf les assurances-vie). Ce qui n’empêche naturellement pas chaque pays de signer ses propres accords. Mais les choses pourraient encore évoluer. Le SPF Finances précise en effet qu’il est prévu, qu’à l’avenir, "les échanges de renseignements automatiques relatifs aux catégories de revenus précitées soient élargis aux Etats non membres de l’UE".
5. Les personnes morales sont elles visées par la transparence?
Oui, et c’est justement dans ce cadre que les CRS peuvent changer les choses. "Les CRS vont plus loin que les autres initiatives d’échanges d’informations, car ils visent les constructions juridiques comme les trusts et les fondations mais aussi les fonds d’investissement spécialisés au Luxembourg", explique Charles Kesteloot. "Par exemple, ces fonds d’investissement spécialisés au Luxembourg seront considérés comme des institutions financières, qui vont communiquer les dividendes, les intérêts, les produits de cession et les contre-valeurs. Le raisonnement est le même pour les constructions juridiques".
Dans ce contexte, les CRS pourraient "doper" les recettes de la taxe Caïman qui vise, depuis le 1er janvier 2015, à taxer les revenus de constructions juridiques étrangères dans le chef de leur fondateur, de ses héritiers, de tiers bénéficiaires ou d’actionnaires. Elle devait rapporter 460 millions, mais elle n’en aurait en réalité rapporté que 40 selon les estimations du député CD & V Eric Van Rompuy. A titre d’information, pour l’exercice d’imposition 2015, 1.580 contribuables ont signalé dans leur déclaration IPP être fondateur ou tiers bénéficiaire d’une construction juridique, selon des chiffres fournis par le SPF Finances.
Bien déclarés, vos avoirs à l’étranger ne craignent pas les CRS
La transparence fiscale quasi-totale ne devrait cependant pas effrayer ceux qui s’acquittent correctement de leur obligation déclarative belge.
Pour rappel, un résident fiscal belge qui dispose d’un compte à l’étranger est tenu de le signaler au Point de contact central de la BNB. Par ailleurs, il doit le mentionner dans sa déclaration fiscale et déclarer les revenus (intérêts ou dividendes), déduction faite du précompte mobilier déjà payé dans le pays étranger au profit du pays étranger. L’impôt total en Belgique est en effet calculé sur les revenus mondiaux du contribuable.
Concernant les assurances-vie souscrites auprès d’un assureur étranger, le contribuable belge est également tenu de mentionner l’existence de ce contrat dans sa déclaration fiscale. Il doit préciser le nom et le prénom du preneur ainsi que le pays d’origine de l’assureur chez qui il a souscrit ce contrat.
Les contribuables qui sont impliqués dans des constructions juridiques à l’étranger doivent le signaler dans leur déclaration fiscale. Ils doivent ajouter les revenus de la construction à leurs propres revenus de même nature. C’est ce qu’on appelle la taxe Caïman, un impôt par transparence qui vise à taxer le fondateur, détenteur ou bénéficiaire d’une construction juste comme si cette construction n’existait pas. Son tarif dépend donc du type de revenus de la construction.