"Les hommes sont devenus aussi exigeants que les femmes"

Le Belge Kris Van Assche, 40 ans, a réussi à faire du label de luxe Dior Hommes un succès critique et public.

La mission semblait presque impossible: succéder à Hedi Slimane, créateur-star qui a fait de Dior Homme une véritable 'hype' au point que même Karl Lagerfeld a été séduit. Il a perdu ses kilos superflus pour pouvoir porter un costume Dior Homme. Dix ans après le départ de Slimane, l'étoile de notre compatriote est encore plus brillante que celle de son prédécesseur, pour autant que ce soit possible. Et pour de bonnes raisons. Kris Van Assche (40 ans) a réussi à faire de la maison de luxe un succès à la fois critique et public.

Avez-vous un certain genre de personne à l'esprit quand vous créez?
Kris Van Assche (Dior Homme): "Il y a toujours une partie de rêve et une partie de réalité. Un défilé, c'est un peu comme un court-métrage: je raconte l'histoire d'un homme qui va quelque part, comme si je créais des costumes pour un personnage imaginaire. Cela stimule le côté créatif, mais il y a aussi un côté plus pragmatique: une vision concrète de qui est l'homme Dior dans la vie réelle. Heureusement, il n'est pas qu'un seul type d'homme. Il est l'homme d'affaires qui veut un costume parfaitement coupé, mais aussi un homme qui aime la mode et veut porter LA pièce de la saison. J'étais comme ça quand j'étais étudiant: j'économisais pour m'offrir la pièce que je voulais absolument porter. Enfin, il y a beaucoup d'hommes qui se situent quelque part entre les deux et veulent des vêtements créatifs ayant une certaine allure. Ici, il y a différents styles et c'est justement ce qui fait la richesse de Dior Homme."

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La mode homme a-t-elle changé au cours de ces dix dernières années?
"Oh oui! Elle est devenue beaucoup plus diversifiée et les clients sont devenus aussi exigeants que les clientes pour la mode femme. La maison pour laquelle je travaille a, elle aussi, beaucoup changé, car elle s'est incroyablement développée. Quand je suis arrivé ici, Dior Homme était une marque de niche trendy; aujourd'hui, nous sommes vraiment devenus la division homme d'une maison de luxe."

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©Kate Berry / Madame Figaro

Grâce à vous, n'est-ce pas?
"Grâce à beaucoup de gens, mais surtout grâce au travail acharné de cette dernière décennie."

Comment votre style de création a-t-il évolué durant ces dix années?
"Je ne sais pas s'il a changé. Je suis plus âgé, plus mûr aussi. J'ai toujours aimé le mélange entre la mode sartoriale (sur mesure) et la mode sport. À l'académie, c'était déjà le cas. Quand j'avais 18 ans, je portais toujours un costume avec des sneakers. Ce style, ce clash de mondes, est toujours le même, même si les costumes et les sneakers ont changé."

Dior Homme a beaucoup d'influence sur la mode. À votre avis, dans quel sens?
"C'est une question difficile, parce que je dois m'évaluer. En tout cas, la maison a une forte identité, ce qui était déjà le cas quand je suis arrivé. Le véritable défi consistait à la perpétuer et à la faire évoluer. J'ai dû refaire une hype de la hype dont la marque faisait l'objet à l'époque, ce qui est beaucoup plus difficile que d'en créer une."

Dix ans dans une maison de mode, c'est long. Un mariage clairement réussi?
"En effet, on peut le penser. Dix ans, c'est à la fois très long et très court. Depuis un an et demi, nous nous sommes vraiment bien développés, Dior Homme a un nouveau président (Serge Brunschwig, ex-chief operating officer de Christian Dior, ndlr) avec encore plus d'ambition et d'objectifs. Il y a aussi une dynamique différente -au point de, parfois, avoir l'impression de travailler pour une nouvelle maison. Si je suis ici depuis aussi longtemps, c'est parce que je suis parvenu à m'adapter aux changements."

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©Patrice Stable

Est-ce que les créations pour Dior Homme sont-elles devenues plus personnelles depuis que vous avez mis votre propre collection sur pause, il y a près de deux ans?
"Certainement. Même mes bons amis le disent, donc ça doit être vrai! C'est presque mathématique: autrefois, je devais pour ainsi dire couper mes idées en deux. Maintenant, toutes mes idées sont directement ici. Il y a donc plus de Kris Van Assche chez Dior Homme qu'auparavant. C'est une bonne chose, parce qu'il y a plus de jeunesse dans les collections. Évidemment, cela ne signifie pas que je ne vais pas relancer ma propre marque un jour."

Vous aimez le punk et la culture skate. Pas vraiment des traits que l'on associe à Dior...?
"J'aime ce clash harmonieux, c'est ce qui le rend si intéressant. Je me plais à remettre les codes de la mode pour homme en question. Si je l'aime, c'est parce qu'il y a beaucoup de règles. Ça peut être un handicap, mais c'est justement ça qui me stimule. Plus il a plus de restrictions, plus ma créativité est activée. Il n'y a rien de plus angoissant que de m'entendre dire "fais ce que tu veux". Je déteste vraiment ça. Lorsque nous nous réunissons pour parler des tissus que nous allons utiliser, j'entends souvent "nous pouvons faire tout ce que tu veux". Alors, je réponds toujours "ça ne va pas fonctionner"."

Pour des campagnes Dior Homme, vous avez notamment travaillé avec le rappeur A$AP Rocky, l'acteur Robert Pattinson et le chanteur Boy George. Pas nécessairement des noms que l'on associe à Dior?
"Effectivement. Mais ils apportent chacun un regard différent sur Dior Homme. C'est bien, parce que je n'ai pas de muse absolue. Robert Pattinson est un jeune James Dean, un vrai rebelle hollywoodien. Rocky est aussi un rebelle et, pourtant, il m'a surpris par sa connaissance de la mode. De plus, il ne vient pas d'un milieu de la mode, ça m'amuse."
"De même, le travail du photographe-réalisateur Larry Clark sur le monde culturel des adolescents figure toujours sur mes moodboards: il m'inspire énormément. À un moment donné, je voulais utiliser un de ses modèles pour la campagne, mais je me suis dit: je vais tout simplement lui demander. Même chose avec Boy George: quand j'étais adolescent, il faisait la différence. Il prônait un message d'individualité et de tolérance avant la lettre. Aujourd'hui, il n'y a plus ce genre de personnes."

©Kate Berry / Madame Figaro

Que pensez-vous du fait qu'aujourd'hui, certaines marques mettent leurs collections en vente presque immédiatement après le défilé?
"Je pense que chacun doit trouver la formule qui lui convient le mieux. Nous sommes une maison de luxe qui fait tout produire en Italie et nous devons donc respecter certaines règles. Par conséquent, nous ne pouvons pas avoir la même réactivité que les marques moins chères. Ce serait dangereux et même idiot de nier que nous sommes différents. Nous avons besoin de temps pour faire des vêtements de qualité, sans quoi nous nierions ce que nous sommes: un produit de luxe."

Quand avez-vous réalisé que vous vouliez devenir créateur?
"Très jeune, j'avais déjà un avis très affirmé sur ce que je voulais porter. Je voulais d'abord devenir dessinateur et, pendant une semaine et demie, j'ai pensé à quelque chose dans le secteur publicitaire. En tout cas, je voulais faire quelque chose de créatif. Quand j'ai compris que la mode était un métier, j'ai voulu me lancer. Bien sûr, j'étais gâté, parce que j'ai rapidement compris qu'il se passait des choses incroyables à Anvers. Il ne me restait plus qu'à réussir l'examen d'entrée.
À 18 ans, je suis allé aux journées portes ouvertes, accompagné par mes parents parce que je n'avais pas encore mon permis de conduire. C'était un autre monde, un univers diamétralement opposé à ce à quoi j'étais habitué. La liberté qu'il y avait m'attirait énormément. Personnellement, en termes de look, j'étais à l'Académie beaucoup moins rebelle qu'auparavant -il faut savoir qu'à 15 ans, j'étais vraiment un rebelle! Ma grand-mère me faisait les vêtements que je voulais. Déjà à l'époque, j'aimais les beaux costumes, j'étais anti-jeans, assez sombre et gothique, aussi."

Comme vos parents vous ont toujours soutenu, le choix de l'Académie n'était pas si rebelle...?
"Au début, ils ne comprenaient pas très bien, probablement comme tout parent qui vit loin de cet univers. Ça leur a sans doute aussi fait un peu peur, mais ils sont très ouverts d'esprit. Et surtout, ils ont appris à me connaître."

©VIRGINIA ARCARO

Étiez-vous déjà été fasciné par la mode homme à l'Académie?
"Non, absolument pas. Pendant mes études, j'ai surtout travaillé autour des femmes -mais avec des costumes masculins, des polos de tennis, des chemises blanches et des cravates. À l'époque, il n'y avait pas tellement de marques homme créatives. J'y suis vraiment entré par hasard, grâce à mon stage chez Saint Laurent (où se trouvait Hedi Slimane, qui est ensuite passé chez Dior Homme ndlr). Je pensais que j'y ferais des choses mortellement ennuyeuses et je me disais qu'ensuite, je trouverais un job ailleurs. Mais, j'ai très vite appris qu'un homme peut être aussi intéressant qu'une femme, voire plus. Avec ma propre marque, j'ai fait des collections femme et j'adorais ça. Mais, non, je ne suis pas déçu de ne créer que pour l'homme."

Qui sont vos idoles?
"Je n'en ai pas. Les idoles me font plutôt penser à mes douze ans. Bien sûr, les personnes que j'utilise pour les campagnes peuvent donner une idée de mon panthéon. Ce ne sont pas des idoles à proprement parler, disons plutôt qu'elles m'inspirent. C'est déjà beaucoup. L'idolâtrie a un effet paralysant, ce n'est pas mon truc."

Le Paris de Kris Van Assche
Une bonne idée pour le weekend? "Le marché aux puces de Saint-Ouen. J'adore, j'y suis encore allé pas plus tard que le weekend dernier. On y trouve des choses vraiment étranges. Nous ne connaissons pas ça en Belgique, à cette échelle."
Rue préférée? "La rue de Seine. Il y a des galeries de design, luminaires, mobilier et céramiques que j'aime vraiment beaucoup. Ça vaut la peine de les explorer."
Restaurant favori? "LouLou. Je change souvent de restaurant préféré, mais je reste fidèle à une seule adresse par saison. Je choisis toujours la même table et le même serveur qui sait ce que j'aime boire. Pour le moment, j'ai un faible pour LouLou au Louvre, très beau et très bon. Le soir et le weekend, j'ai besoin que tout se passe comme sur des roulettes. Il y a déjà suffisamment de soucis pendant la semaine!"

Quel est votre plus grand mérite?
"Être ici depuis dix ans, parce que ça en surprend manifestement certains. Mais, surtout, ne pas perdre l'envie de continuer à créer, jour après jour. C'est un métier intense qui peut être très stressant et mon plus grand mérite est d'être aussi motivé aujourd'hui que le jour où je suis arrivé ici."
Que faites-vous quand vous voyez quelqu'un dans vos vêtements?
"Ça dépend de qui il s'agit. Parfois, je suis vraiment surpris. Vous savez, dès que les vêtements ont été présentés au défilé, ils sont réinterprétés par des boutiques, des stylistes et des photographes, ainsi que par la façon dont les gens les associent avec leurs propres vêtements. Parfois, je me dis "je ne pourrais jamais faire ça". Je serais donc un très mauvais vendeur. Mais j'aime voir mes collections prendre vie dans la rue, c'est sûr. Naturellement, pour moi, c'est déjà une vieille histoire, parce que je travaille sur une autre saison depuis un moment déjà. Ça aide aussi."

Supposons que vous puissiez rencontrer Christian Dior. Que lui demanderiez-vous?
"J'ai lu que même s'il aimait s'entourer de personnes excentriques, il était très réservé. Je suis aussi un peu comme ça. Je voudrais surtout aller boire un café avec lui et rencontrer quelques-unes de ses amies!" (Rires)

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