Comment réduire l’impact environnemental d’une industrie indispensable à la construction mais aussi très émettrice de CO2? Holcim Belgique souhaite investir près de 500 millions d’euros pour réaliser cette prouesse. En agissant à tous les niveaux du processus de production, relate Vincent Michel, directeur du programme GO4ZERO et membre du collège des directeurs de l’entreprise.
- Un projet de près de 500 millions d’euros baptisé GO4ZERO
- Le changement du process et de la matière première
- Une baisse de 30% des émissions de CO2 par tonne de clinker, équivalant à près de 350.000 tonnes annuelles de CO2 en moins à la capacité maximale de production du nouveau four (similaire à celle des fours existants en voie humide)
- Captage, traitement, transport et séquestration du CO2
- Une réponse à la concurrence déloyale des importateurs de clinkers non européens arrivant par les ports non soumis aux quotas de CO2 et qui y sont broyés pour produire du ciment
“Le béton prêt à l’emploi est le deuxième matériau le plus utilisé au monde après l’eau: c’est un matériau de construction incroyable tant par ses propriétés intrinsèques, en particulier de résistance et de recyclabilité, que par les possibilités de mise en œuvre infinies dont raffolent les architectes et entrepreneurs”, entame Vincent Michel, qui était encore récemment le patron de la division béton chez Holcim Belgique. “Chaque mètre cube de béton comporte en moyenne plus de 350 kg de ciment, indispensable pour assurer sa résistance et sa durabilité. Et produire une tonne de ciment consomme actuellement plus de 100 kWh d’électricité et implique la production de clinker dans d’immenses fours également très énergivores et très émetteurs de CO2. À elle seule, la partie thermique de notre usine d’Obourg consomme 130.000 tonnes d’équivalent pétrole par an. Nous transformons de la craie extraite localement en clinker, cette roche artificielle constituant de base du ciment et qui lui apporte la majorité de ses propriétés de liant hydraulique, en appliquant toujours un procédé en voie humide développé à la naissance de l’entreprise voici plus de 110 ans. C’est la teneur naturelle de la craie en eau, soit environ 24%, qui nous contraint à cette solution qui requiert de la délayer avant de pouvoir l’injecter dans les fours sous forme de pâte.”
Autrefois atout opérationnel et économique, les fours en voie humide souffrent aujourd’hui d’un handicap majeur du fait de leur consommation thermique accrue et des émissions de CO2 associées. Toute l’eau contenue dans la matière doit d’abord être évaporée avant que cette dernière puisse poursuive son traitement: décarbonatation à 850 °C, transformant le carbonate de calcium en chaux tout en dégageant du CO2, puis clinkérisation par combinaison à plus de 1.450 °C de la chaux à d’autres oxydes (silice, alumine et fer); la matière en fusion est ensuite refroidie brutalement afin de conférer au clinker son caractère hydraulique (durcir au contact de l’eau). “Le tout est alors broyé avec des additifs (cendres volantes, calcaire, argile calcinée, laitier de haut-fourneau, etc.) pour obtenir notre imposante gamme de ciments et de liants”, reprend Vincent Michel.
Notre projet GO4ZERO concerne la totalité de la chaîne de production de clinker et nous permettra d’ici à 2030 de proposer toute une gamme de ciments et liants zéro ou très bas carbone.
“Grâce au co-processing dont nous avons été les précurseurs en Belgique au début des années 80, nos fours valorisent de grandes quantités de déchets industriels comme matière première ou comme combustible alternatif (sciures, boues séchées, huiles usagées, fluff, etc.). La diminution de la teneur en clinker dans nos ciments, l’augmentation des matières premières de substitution déjà décarbonatées, l’apport toujours plus important de biomasse dans nos combustibles et les efforts en matière de réduction de la consommation thermique des fours nous ont permis de réduire considérablement notre empreinte écologique et bien entendu climatique. D’ailleurs, la quantité de CO2 émise par tonne de ciment produite en Belgique compte parmi les plus basses au monde. Nous pouvons en être fiers.”
Ce n’est toutefois pas suffisant, admet le directeur du programme GO4ZERO: “Afin de lutter contre le changement climatique, nous devons arriver à la neutralité carbone dans notre production de clinker avant la fin de la décennie. Ce ne sera possible que par un investissement massif dans un procédé de production de nouvelle génération.”
Chaque jour de la semaine, cinq trains de 2.200 tonnes chacun
“Notre projet GO4ZERO concerne la totalité de la chaîne de production de clinker et vise à traiter tout le CO2 qui en est issu”, éclaire l’ingénieur. “Nous changeons complètement de procédé en commençant par le passage de la craie au calcaire comme matière première. Extrait dans nos gisements de Tournai et Antoing, il est concassé localement et acheminé vers Obourg par train, ce qui, avec près de 2 millions de tonnes transportées par an, nous fera devenir le plus gros client fret d’Infrabel.”
Le calcaire contient à peine 2% d’eau, ce qui permet d’envisager le passage au procédé de production en voie sèche dans une nouvelle usine, avec un concept innovant et des technologies et des ambitions environnementales sans précédent. “Celui-ci est conçu de façon à pouvoir passer d’une combustion traditionnelle à l’air à son démarrage en 2026 à une combustion à l’oxygène deux à trois ans plus tard, afin de pouvoir concentrer le CO2 dans nos effluents gazeux et à en faciliter la purification dans des installations dédiées qui travailleront par cryogénie – on liquéfie les gaz en les refroidissant, à la suite de quoi on les sépare en profitant de leurs différentes températures de liquéfaction.”
Le CO2 purifié – près de 1,2 million de tonnes par an – sera envoyé par pipeline vers le port d’Anvers où il sera liquéfié, chargé sur des supertankers très particuliers en cours de construction, puis expédié vers des puits de stockage profond sous la mer du nord où il sera séquestré et où il pourra reprendre son long cycle de minéralisation. “Notre projet prévoit également, outre une production de plus de 60 GWh d’électricité par récupération de chaleur perdue sur le four, l’installation jusqu’à 100 MW de panneaux photovoltaïques flottants sur les lacs au nord de notre site où la craie a été exploitée tout au long du siècle dernier.” Une première phase pour près de 30 GWh par an verra le jour en 2023.
“Nous investissons dans une perspective de 50 à 100 ans”, conclut Vincent Michel. “Notre banque, BNP Paribas Fortis, s’engage depuis des années, et dans la durée, auprès de nous. En soutenant le projet dès le début aux échelons européen, national et régional et en nous aidant à obtenir des aides et des primes des pouvoirs publics – Innovation Fund et Just Transition Fund en particulier –, elle contribue à les faire aboutir. Ses conseils en matière d'optimisation fiscale et de structuration des entités légales nécessaires sont par ailleurs déterminants. Enfin, nous allons relever de la ‘taxonomie verte’, ce qui nous ouvre l’accès à des lignes de crédit à taux préférentiels."