L’incertitude est devenue l’une des rares certitudes qui subsistent. La capacité de financement est dès lors plus que jamais cruciale . Les organisations qui comprennent l'art de protéger, d’optimiser, d’obtenir et d’investir leurs moyens financiers de manière professionnelle seront capables de transformer ces incertitudes en opportunités. Les autres devront laisser passer les occasions et verront leur position concurrentielle s'affaiblir. Trois spécialistes d’EY Transaction Advisory Services nous expliquent comment faire partie des gagnants.
Comment jugez-vous les perspectives économiques ?
Marc Guns: Bien qu'il subsiste une certaine incertitude concernant l’ampleur de la reprise, un redressement rapide est peu vraisemblable. Les gouvernements ont injecté plus de 10 trillions de dollars en vue de soutenir l’économie. Ces efforts pèseront encore pendant plusieurs années sur l'économie. C’est d’ailleurs ce que soulignent plus de la moitié des participants à notre enquête (lire encadré) : ils s'attendent à ce que le malaise économique dure encore au moins deux ans. Or, il s’agit d’observateurs particulièrement privilégiés, puisqu’ils occupent tous des postes-clés au sein de grandes entreprises.
Ne reviendra-t-on donc pas au business as usual ?
Marc Cosaert: La situation actuelle, caractérisée par une grande incertitude, une demande faible, une érosion constante des marges, une pénurie généralisée des capitaux et une aversion accrue au risque, va devenir la nouvelle norme. Les entreprises n’ont dès lors guère demarge d'erreur dans la gestion de leur capacité financière. Nous prévoyons une polarisation entre les entreprises qui se préparent à exploiter les opportunités de croissance par le biais d'acquisitions et celles qui se sentent freinées, limitées et peu préparées. Ces dernières risquent de se muter en proies potentielles.
Frank Lapeirre: Seules les entreprises qui modifient leur agenda financier de manière à accroître la réactivité opérationnelle de leur cœur de métier pourront saisir au mieux les opportunités qui se présentent à elles. Il y a 150 ans, Darwin constatait : ce n'est pas le plus fort ni le plus intelligent de son espèce qui survit, mais celui capable de s'adapter le mieux.
Comment les gagnants de demain adaptent-ils leur agenda financier aujourd'hui ?
Guns: En instaurant une série de pratiques dans quatre domaines importants afin de se constituer un avantage compétitif. La première chose à faire est de protéger la capacité de financement existante. Ensuite, il s’agit de l’optimiser. Dès que la "cuisine interne" est en ordre, l’entreprise peut commencer à plancher sur les opportunités. Pour ce faire, elle doit souvent obtenir des moyens supplémentaires, qu’elle pourra ensuite investir de la manière la plus judicieuse possible.
De quelle manière les entreprises peuvent-elles protéger et optimiser au mieux leur capital aujourd'hui ?
Lapeirre: Pour protéger la capacité de financement face aux fluctuations rapides de l’environnement économique, on prendra soin de maximiser les revenus d’exploitation et de rendre flexible la base de coûts. La structure financière et le bilan seront si possible simplifiés et adaptés à une période prolongée de croissance réduite. Des méthodes plus efficaces de maîtrise des risques sont également indispensables. Il sera ensuite possible d’optimiser la capacité de financement en systématisant l’allocation de fonds pour chaque pro jet, en affinant les instruments de gestion de la trésorerie, des besoins en fonds de roulement et de la rentabilité et en assurant un suivi de près du portefeuille d’actifs sur le plan de la performance. Enfin, il est indiqué de scruter à la loupe les compétences et les outils de prise de décisions stratégiques.
Comment une entreprise peut-elle se préparer au mieux à de nouvelles opportunités ?
Cosaert: Lorsque l'on cherche du financement, on doit avant tout répondre aux questions : comment diversifier ses sources et ses échéances ? Comment optimiser le refinancement des dettes et l'émission d’actions ? Les activités non essentielles peuvent-elles être vendues rapidement ? Investir intelligemment exige d’abord que l’on définisse certains critères. Dès que l'on a jeté son dévolu sur un investissement, il convient de fixer une série de principes et une procédure pour discipliner l’éventuelle acquisition. Mais au-delà de l’acquisition, une joint-venture ou une alliance stratégique offre également une possibilité d'investir le capital de manière efficace, surtout dans des régions plus risquées. Des structures alternatives de transactions pourraient également offrir un compromis entre les attentes divergentes de l'acheteur et du vendeur.
N’est-il pas difficile d'être parfait sur ces quatre fronts simultanément ?
Lapeirre: Certainement. Pour assembler les quatre pièces du puzzle du financement – protection, optimisation, collecte et investissement –, il est indispensable de maîtriser une série de techniques de planification. Ainsi les processus de budgétisation et de prévisions doivent absolument être renforcés pour conserver le contrôle, la discipline et la flexibilité.
Notre enquête révèle que les conseils d'administration exigent de leurs unités opérationnelles des plans et des prévisions plus synthétiques, à une fréquence plus élevée. Auparavant, les plans financiers étaient actualisés une fois par an, aujourd'hui, c'est loin d'être suffisant : plus les chiffres sont actuels, mieux on pourra réagir aux imprévues. On peut également envisager d’instaurer une planification de la trésorerie et du besoin en fonds de roulement à court terme. On est ainsi prévenu à temps lorsqu'un problème se présente. Plus rapide sera le signal et plus adéquate pourra-t-être la réaction. De même, l’amélioration des compétences et des outils de prise de décisions stratégiques doit garantir une plus grande vitesse et une meilleure flexibilité. Vu la mauvaise conjoncture, de nombreux conseils d'administration comprennent qu'ils ne peuvent tout simplement pas disposer rapidement de bonnes informations pour étayer les décisions qu'ils doivent prendre.
Guns: L’importance de la qualité et de la clarté des chiffres disponibles ne se limite pas à la situation actuelle de l'entreprise. L'entreprise doit également pouvoir prévoir les changements et y réagir. Car si l'on ne sait pas d'où vient le vent, il est difficile de déterminer une nouvelle orientation.
Pour résumer, il y a du pain sur la planche ?
Cosaert: En effet, ce n'est pas une sinécure. De nombreuses entreprises se montrent déjà attentives au moins à une partie de cet agenda, mais se sentent limitées par leurs propres systèmes, processus et possibilités. Nous pensons pourtant que les pratiques d'excellence appliquées aujourd’hui par certaines entreprises vont se généraliser. Les entreprises ayant déjà mis en oeuvre ces pratiques et ayant suffisamment de moyens pour réaliser des transactions se sont forgées un avantage non négligeable. Elles sont prêtes à croître. Mais attention : si notre baromètre révèle que de nombreuses entreprises envisagent sérieusement des acquisitions, elles sont bien moins nombreuses à prévoir des désinvestissements. Les opportunités sur le marché des fusions et acquisitions dépendront donc des vendeurs et/ou de leur disposition à revoir leurs attentes en matière de prix.