Aujourd’hui, de nombreuses entreprises cherchent par tous les moyens à libérer des liquidités. Parallèlement, les appels se multiplient à nouveau en faveur d’une transparence accrue dans le reporting financier et d’une meilleure maîtrise des risques. Chacun de ces défis recèle un aspect fiscal. Trois spécialistes d’Ernst & Young analysent les différentes questions fiscales qui resurgissent à chaque période de récession dans un cadre pratique, reposant sur eur riche expérience.
Quelle est aujourd’hui la priorité du fiscaliste ?
Chris Vandermeersche: Pour répondre par un cliché : " les liquidités sont reines ". Pour de nombreuses entreprises, il est désormais vital d’optimiser l’affectation des liquidités dont elles disposent. Le défi de beaucoup de groupes consiste aujourd’hui à transférer les liquidités présentes dans les différentes filiales là où elles sont le plus nécessaires, sans fuite fiscale.
Herwig Joosten: Dans cette crise, ce phénomène s’accompagne de modifications profondes de la structure opérationnelle : fermetures d’entités, licenciement du personnel excédentaire, cessions d’activités ou remodelage complet du modèle opérationnel. La nécessité de maîtriser totalement l’aspect fiscal de ces opérations et d’en optimiser la planification recèle d’énormes défis pour les fiscalistes. La problématique des prix de cession interne est notamment très complexe.
Marc Joostens: D’autant que les réorganisations imposent souvent des modifications dans les flux de marchandises et de facturation. Cela a parfois un impact sur la position d’un groupe en matière de TVA ou de droits de douane. On nous demande souvent d’élaborer des mesures susceptibles d’accélérer la récupération de la TVA et ainsi d’améliorer la trésorerie d’une entreprise. Il s’agit généralement d’interventions simples, comme un passage au remboursement mensuel ou la suppression du préfinancement de la TVA à l’importation. Les avantages offerts par l’unité TVA font également partie des priorités. Trop peu d’entreprises utilisent aujourd'hui l’ensemble des pistes exploitables.
Comment aidez-vous vos clients?
Joosten: Souvent, nous identifions d’abord des interventions ayant un effet immédiat sur la trésorerie. Les liquidités dont dispose réellement une entreprise sont les liquidités après impôts. Et en raison de l’influence substantielle exercée par les impôts sur le résultat final, le fiscaliste pourra jouer un rôle actif dans le pilotage de l’entreprise en cette période de crise. Ce n’est plus une souris grise. Nous pouvons par exemple réaliser une estimation correcte du résultat fiscal de l’année en cours ou envisager la prolongation de l’exercice en cours. En outre, nous aidons également le client dans son analyse de la structure du groupe axée sur la baisse de la pression fiscale effective totale. Les autres points d’intérêt sont les opportunités en matière de TVA et de droits de douane, et la possibilité d’opter pour la facturation électronique. D’un point de vue pratique, nous effectuons ces analyses en réfléchissant aux mesures possibles avec nos clients. Vous seriez étonnés des résultats d’une demi-journée de brainstorming !
Quelles mesures fiscales conseillez-vous au gouvernement belge pour aider les entreprises en cette période difficile ?
Vandermeersche: L’absence de consolidation fiscale reste une faiblesse historique de notre droit fiscal. Elle peut créer des situations absurdes où, un groupe composé de plusieurs sociétés belges, qui enregistre une perte consolidée, doit quand même payer un impôt des sociétés. La Belgique est un des derniers pays au monde à refuser la consolidation fiscale.
Joosten: Pour encourager les investissements, on pourrait envisager la possibilité de constituer une réserve d’investissements exonérés d’impôt, à concurrence de futurs investissements dans de nouveaux actifs productifs. On étalerait alors l’imposition de cette réserve en fonction des amortissements. Cela procurerait à de nombreuses entreprises la marge financière nécessaire pour investir dans l’avenir.
Au début des années 80, les augmentations de capital effectuées pour financer des investissements donnaient lieu à une réduction d’impôt pour l’entreprise et les actionnaires. Cette mesure avait rencontré un vif succès et dopé le monde de l’entreprise. Une mesure similaire serait particulièrement bienvenue en cette période de manque de liquidités, comme incitant supplémentaire pour les fournisseurs de capitaux.
Des interventions sont également nécessaires dans le domaine de la déduction des intérêts notionnels. Ce système perd en effet une grande partie de son attrait en ces temps difficiles pour les investisseurs potentiels. Cette déduction fiscale fictive est basée sur le taux d’intérêt rémunérant les obligations publiques, alors que les entreprises se financent aux taux appliqués sur les obligations d’entreprises. Or le différentiel entre les taux d’intérêt n’a jamais été aussi élevé. Conséquence ? La déduction des intérêts notionnels est beaucoup moins avantageuse.
Joostens: En matière de TVA, le gouvernement avait pris une série de mesures profitables au début de cette année, comme l’extension du champ d’application du remboursement mensuel et la baisse de la TVA sur la construction. De même, l’unité TVA instaurée il y a quelques années est également un plus. Pour stimuler les importations de marchandises via les ports belges, on pourrait également envisager la suppression de la garantie à verser par les entreprises ne souhaitant pas préfinancer la TVA à l’importation. Le caractère très formel de la taxe sur la valeur ajoutée est également un mal qui affecte notre pays depuis longtemps. On y travaille, mais on pourrait aller plus vite. Tant la Commission européenne que la Belgique sont conscientes de la problématique. Une législation plus flexible devait d’ailleurs être adoptée prochainement en matière de facturation et d’archivage électroniques.
Les appels à une plus grande transparence se multiplient. Quelle est votre expérience ?
Joosten: Notre étude " Steady course, uncharted waters – Ernst & Young global tax risk survey " révèle que la crise financière mondiale et l’évolution permanente de la législation ont accru la pression sur les entreprises. On est de plus en plus attentifs aux questions de transparence dans le reporting financier et à la gestion des risques fiscaux. Actuellement, on trouve des risques fiscaux sur l’ensemble du cycle de l’entreprise. Les entreprises se voient obligées d’impliquer plus étroitement l’ensemble de leur structure dans la maîtrise des risques. Cela dépasse les processus et les contrôles internes, et a une influence directe sur la stratégie et les performances de l’entreprise.
Vandermeersche: En ces temps économiquement incertains, les objectifs et les activités d’une entreprise peuvent changer soudainement. Leur profil financier peut évoluer rapidement. Il est donc crucial de promouvoir une maîtrise intégrée du risque fiscal. Un suivi fiscal de qualité sur l’ensemble du groupe permettra en outre d’identifier plus rapidement les opportunités fiscales.
Il est clair que les modifications constantes de la législation et l’incertitude juridique qu’elles induisent demeurent un handicap majeur. Les gouvernements feraient mieux de chercher à stabiliser le droit fiscal et de réduire autant que possible les marges d’interprétation. Les participants à l’enquête ont cité le suivi des modifications de la législation parmi leurs principaux soucis. Avec cependant une note positive pour notre pays, où il faut saluer l’existence de la commission de ruling. Les personnes qui la composent adoptent un regard économique et pragmatique, et accomplissent un excellent travail.
Joosten: Les deux clés du succès sont la pro-activité dans l’identification des opportunités fiscales et la maîtrise des risques fiscaux. En un mot : il est toujours plus simple de conseiller quelqu’un sur la manière dont il doit prendre un virage que de le ‘rafistoler’ après une sortie de route.