La gestion patrimoniale des entreprises familiales est un aspect moins connu des activités professionnelles de Geert Noels. " C’était pourtant le thème de mon mémoire de fin d’études ", se rappelle le directeur d’Econopolis. Il nous livre ici sa vision des deux préoccupations majeures des dirigeants d’entreprises familiales : la conservation de leur particularisme et le risque d’éclatement. Un entretien sur la " régénération de patrimoines ".
L’enthousiasme dont fait preuve Geert Noels pour cette thématique ne doit rien au hasard. " Je proviens d’une famille qui gère sa propre entreprise depuis plusieurs générations. " Le spécialiste a donc l’expérience du terrain. " L’entreprise familiale, si répandue dans notre pays, constitue un modèle unique. Que le talent d’entrepreneur soit héréditaire ou non, il est un fait que ces entreprises continuent à se concentrer sur le long terme en transmettant leurs valeurs aux générations suivantes. Celles-ci peuvent ainsi s’y épanouir pleinement. " Ce qui amène Geert Noels à la première des deux grandes préoccupations des familles propriétaires d’entreprises. " Elles veulent maintenir leur singularité, car elles sont parfaitement conscientes de la naissance, de l’histoire et des caractéristiques de l’entreprise. Elles ont besoin de principes propres pour leur pérennité. Un style " maison " s’est ainsi développé avec le temps. Et une charte familiale peut s’avérer très utile pour ancrer ce style et la stratégie qui en émane, et transmettre l’ADN de génération en génération. "
Une charte comme " constitution "
Geert Noels voit la charte familiale comme une sorte de constitution pour l’entreprise familiale. " Ceux qui, comme Econopolis, conseillent les familles par rapport à la gestion de leur patrimoine doivent bien connaître cette constitution et fournir un travail sur mesure en fonction du contenu de la charte. L’objectif ne doit pas être de simplement amasser le plus d’argent possible sur les comptes bancaires. Car vous risquez alors d’immobiliser excessivement le patrimoine. Il faut le faire vivre en l’affectant à des activités constructives. D’autant que vous favorisez ainsi le sens des responsabilités. Vous inspirez et motivez la famille, surtout les générations suivantes. Et vous activez la participation. " L’économiste a beaucoup d’estime pour le côté conservateur de la culture patrimoniale de nombreuses entreprises familiales. " Elles sont restées à l’écart du trading, des profits rapides. Elles sont fidèles à une culture du " slow money " et elles ont conscience qu’on ne peut pas emprunter de raccourci pour construire la qualité. Elles ressemblent à un chêne, qui pousse lentement, mais régulièrement. Leur croissance a souvent exigé beaucoup de sueur. Cette fidélité à leurs principes leur a souvent permis de survivre à la tempête financière. Les exceptions, les familles qui ont trop adhéré à la logique bancaire, ont parfois vu leur patrimoine fondre. De même, certaines structures fiscales complexes qui répondaient à l’illusion du jour se sont avérées peu durables. La crise a ainsi entraîné une rupture de confiance entre les familles et les conseillers. "
Le dividende est le ciment
" La fragmentation des intérêts dans l’entreprise constitue une deuxième préoccupation majeure. Celle-ci est inévitable à mesure que de nouvelles générations sont impliquées, que la famille s’agrandit. Mais vous devez continuer à maîtriser et structurer cette évolution. Par exemple avec des structures de holding. " Geert Noels place également l’accent sur un autre instrument important. " Les dividendes rapportent généralement 3 à 4% par an à toutes les parties participantes, soit environ 20% sur cinq ans. À condition de faire preuve de la discipline nécessaire, vous pouvez de cette manière constituer une réserve qui permettra à la famille de continuer à investir, tout en permettant à chacun d’organiser aisément son entrée et sa sortie de la structure familiale. L’accent sur le dividende est un signe de maturité. La vache doit continuer de donner du lait. Bien évidemment, le dividende joue également un rôle de ciment dans la fragmentation des participations. " " Grâce aux dividendes, les associés silencieux - les membres de la famille qui ne veulent pas être impliqués dans la gestion de l’entreprise - restent intéressés, parce que c’est un investissement stable pour eux. Simultanément, leur participation n’est pas bétonnée et ils peuvent toujours en sortir. Comparez cela aux nombreux risques liés à un financement externe. Ni les banques, ni la Bourse ne permettent aujourd’hui d’obtenir aisément un financement viable et abordable à long terme. "
Se battre pour l’avenir
" Avec ses fonds propres, la famille peut aujourd’hui planter les germes de l’évolution de l’entreprise dans le domaine de la technologie, de l’innovation et/ou de l’internationalisation. C’est une manière de régénérer le patrimoine familial. " Noels ne plaide certainement pas en faveur du conservatisme. " Il faut se battre pour le patrimoine. Mais la tortue va devancer le lièvre. Les entreprises familiales vont vaincre la crise avec leur " slow money ". La formation des enfants revêt ici une importance cruciale. Leur instruction et leur éducation sont des instruments essentiels dans l’ancrage des entreprises et patrimoines. " Bien entendu, il faut réfléchir à temps à des scénarios de " mort subite ". La succession est-elle réellement prête ? Qui pourra s’y épanouir, à long terme ou à plus brève échéance ? " Le chef d’entreprise qui est incapable de confier les rênes à d’autres personnes pendant trois semaines a un problème. Leur laisser une autonomie suffisante accroît la confiance de vos collaborateurs et vous permet également de mieux tirer profit du talent présent. Céder le gouvernail à l’occasion est un signe de maturité. Les managers et administrateurs externes à la famille sont également utiles : ils apportent un regard critique et leurs connaissances des meilleures pratiques en vigueur ailleurs. Heureusement, de nombreux progrès ont été enregistrés ces dernières années en matière de bonne gouvernance. "