L'IA évolue à une vitesse fulgurante et engendre un impact croissant sur les processus et les structures des entreprises. “Pour les chefs d'entreprise, il est plus important que jamais de réfléchir au rôle de la technologie dans leur business model et à la manière d'y faire face avec leurs collaborateurs”, déclare Hendrik Serruys, Partner chez EY.
“La meilleure façon d'apprendre à nager ne consiste pas à observer les autres depuis le bord de la piscine, mais à se jeter à l’eau. Cependant, il est de notre responsabilité de veiller à ce que les collaborateurs n'aient pas l'impression de se noyer dans le processus.”
Hendrik Serruys n'est pas maître-nageur: il est expert fiscal et juridique chez EY, où il dirige également le Centre of Excellence on Emerging Technologies. Dans son propos liminaire, il fait plus spécifiquement référence à la frilosité des entreprises à l’égard de l'intelligence artificielle (IA).
Un potentiel immense
L'étude EY Emerging Tech at Work 2023 révèle que l'IA figure parmi les priorités des CEO. Hendrik Serruys l'a d’ailleurs constaté lors des entretiens qu'il a menés avec des chefs d'entreprise au cours des derniers mois. “Ils sont intrigués par l'IA. Ils veulent la découvrir et la comprendre, savoir comment d'autres entreprises l'exploitent.”
Les chefs d'entreprise sont particulièrement intéressés par le potentiel de l'IA en matière d’amélioration des produits et des services, avec, à la clé, une augmentation des marges bénéficiaires. Ils sont donc principalement axés sur la dimension commerciale, même s'ils reconnaissent de plus en plus le potentiel de l'IA dans le fonctionnement interne de leur organisation, notamment pour l'excellence opérationnelle, la formation et le développement, note Hendrik Serruys.
“C'est dû en partie à l'étroitesse du marché du travail et à la possibilité de remplacer partiellement ou totalement certaines ressources coûteuses par l'IA. Nombre de grandes entreprises se demandent comment recourir à l'IA pour la planification de la main-d'œuvre et l'administration des salaires, pour ne citer que ces exemples.”
De précieuses informations
EY a récemment remporté un HR Excellence Award pour son logiciel myTRS qui offre aux entreprises un aperçu de la rémunération et des avantages dont bénéficient leurs employés. “Grâce à l'IA qui y est intégrée, il est possible, à partir d'une certaine tendance salariale, de prédire avec une précision de 94% si les employés continueront à travailler dans l'entreprise. Il s'agit d'un outil de retention management extrêmement efficace.”
Certaines applications de l'IA sont déjà bien implantées, remarque encore Hendrik Serruys. “De nombreuses entreprises utilisent un chatbot interne comme ChatGPT, via lequel les employés peuvent, entre autres, se renseigner sur les possibilités de congés et demander des informations sur le congé parental adaptées à leur propre situation. Les possibilités dépassent celles d'une simple fonction de recherche.” L'IA peut ainsi épargner beaucoup de travail et de temps aux entreprises.
On apprend à maîtriser la technologie en en parlant, mais surtout en la pratiquant.
“À défaut, toutes les questions aboutiraient au service du personnel. Il s'agit d'ailleurs souvent des mêmes questions, mais sous une forme légèrement différente. Un membre de l'équipe RH doit alors les examiner et éventuellement solliciter une personne externe pour un suivi plus approfondi – une activité des plus chronophages.”
Cette même équipe RH dispose d’une masse croissante de données pertinentes, ajoute Hendrik Serruys. “Via Microsoft Viva Insights, par exemple, une entreprise peut analyser le comportement numérique de ses employés au travail à l'aide de plus de 150 mesures en temps réel. Ces données fournissent des informations précieuses qui peuvent donner lieu à des actions concrètes dans le cadre de la politique RH. Je m'attends à ce que l'analyse et les technologies numériques aient un impact majeur sur le rôle du responsable des ressources humaines.”
Apprendre par la pratique
L'enquête EY Emerging Tech at Work 2023 éclaire au passage une contradiction remarquable: alors que la plupart des employés croient en l'IA et s'attendent à ce qu'elle modifie radicalement leur activité, ils sont nombreux à confier qu'elle n'est pas exploitée de manière structurelle au sein de leur entreprise. Quelque 90% d’entre eux sont enthousiastes au sujet des avantages des technologies émergentes telles que l'IA générative, mais seulement 23% l'utilisent pour automatiser des tâches répétitives. En outre, 59% des employés insistent sur la lenteur de l'adoption de l'IA dans leur organisation.”
“Les chefs d'entreprise doivent être plus ambitieux et se concentrer sur l'intégration de l'IA dans tous les domaines de leur organisation: ce n'est qu'à cette condition qu'ils pourront s'assurer que tous leurs collaborateurs en tirent profit”, souligne Hendrik Serruys. L'un des moyens d'y parvenir est d'organiser des formations.
“Une étude de la Harvard Business School a récemment démontré l'importance de cette démarche. On apprend à maîtriser la technologie en en parlant, mais surtout en la pratiquant. Il ne faut pas sous-estimer l'intérêt de ce type de formation sur le terrain.” D'ailleurs, une autre étude d'EY, Work Reimagined 2023, indique que les collaborateurs ont besoin de se perfectionner et de se recycler dans le domaine de l'IA.
Ce processus d'apprentissage se déroule plus facilement pour certains que pour d'autres. Ou, pour rester dans la métaphore de la natation: quand certains ont besoin d'une bouée, d'autres se sentent d’emblée comme un poisson dans l'eau.
Hendrik Serruys le constate dans son propre environnement: “Le seuil bas de certaines applications telles que ChatGPT rend les innovations en matière d'IA accessibles à tous. Par exemple, un collègue a écrit un programme qui se sert de l'IA pour comparer deux feuilles de calcul en quelques heures. Auparavant, cela n'était possible que pour les fichiers texte, pas pour les feuilles de calcul. Aujourd'hui, il peut aisément demander un résumé de toutes les adaptations. Manuellement, il faudrait probablement dix fois plus de temps.”