Une entreprise située à l'autre bout de la chaîne de valeur peut avoir jusqu'à un millier de fournisseurs. “Une tour de contrôle est donc nécessaire pour identifier les risques, et elle peut désormais être mise en place grâce à l'IA”, assure Tom Van Herzele, Partner chez EY.
“Les entreprises doivent réfléchir attentivement à leur lieu de production, aux matières premières qu'elles utilisent et à qui elles les achètent”, prévient Tom Van Herzele. Partner au sein du cabinet de conseil et d'expertise comptable EY, il accompagne les entreprises dans la transformation de leurs chaînes d'approvisionnement.
“Les chaînes d'approvisionnement n’ont cessé d’évoluer au cours de la décennie écoulée. Autrefois chaînes linéaires, elles se sont transformées en écosystèmes complexes regroupant plusieurs partenaires qui doivent tous être managés. À cela se sont ajoutés des événements disruptifs et de nouvelles législations qui ont rendu la gestion de la chaîne de valeur nettement plus complexe.
Lors de la crise sanitaire, par exemple, il est apparu clairement que la production de masse dans des pays à faibles coûts, associée à des stocks minimaux, pouvait être dangereuse. Sans compter les risques géopolitiques: pensez au conflit commercial entre les États-Unis, la Chine et l'Europe, ou aux rebelles houthis qui attaquent les navires de commerce traversant le canal de Suez. Enfin, il faut épingler les nouvelles législations telles que le mécanisme européen d'ajustement carbone aux frontières.”
Extension géographique
“Les entreprises ne doivent donc plus se contenter d'examiner leurs fournisseurs d'un point de vue financier: elles doivent mieux les répartir géographiquement”, reprend Tom Van Herzele.
“En travaillant avec deux fournisseurs japonais, telle entreprise pensait diversifier son risque; or, en début d'année, un tremblement de terre a frappé les deux firmes, situées à un jet de pierre l'une de l'autre.”
Toutefois, même les entreprises qui accroissent la distance séparant leurs fournisseurs peuvent être exposées à des risques. “Les itinéraires de transport convergent fréquemment vers un point donné, comme le port de Singapour. Au cas où il surviendrait à cet endroit un événement qui interrompt le flux commercial, il est utile d'avoir également un fournisseur qui expédie ses produits via le port de Hong Kong.”
Tour de contrôle
Le besoin de flexibilité est une autre raison justifiant l'examen minutieux de la chaîne d'approvisionnement.
“Alors que les entreprises savaient exactement à qui elles achetaient leurs matières premières ou leurs composants, les fournisseurs sont aujourd'hui plus nombreux”, note Tom Van Herzele.
“Une entreprise située à l'extrémité de la chaîne de valeur peut traiter – directement ou indirectement – avec un millier d'entreprises. Si le fabricant d'une pièce brevetée rencontre des problèmes de production, les conséquences peuvent être lourdes. C'est pourquoi de plus en plus d'entreprises cartographient les produits critiques afin d'élaborer une stratégie adaptée.”
Les chaînes d’approvisionnement sont devenues un écosystème complexe. L’intelligence artificielle peut contribuer à le rendre plus accessible.
Le compromis entre une chaîne d'approvisionnement rentable et sa vulnérabilité diffère d'une entreprise à l’autre: “Par exemple, l'entreprise peut décider de prendre une participation dans ses fournisseurs pour mieux les contrôler et, de facto, appliquer une stratégie d'intégration verticale plus poussée.”
Une autre possibilité consiste à travailler avec de multiples fournisseurs. “Les entreprises peuvent par exemple se procurer 80% d'une matière première dans un pays à faibles coûts et 20% auprès d'un fournisseur local. Ce dernier est souvent plus cher, mais les entreprises disposent alors d'une marge de manœuvre en cas de problème au niveau international. Tout l'art consiste à trouver le juste équilibre.”
Tom Van Herzele préconise la création d'une plateforme centrale qui donne aux entreprises une visibilité et un contrôle en temps réel de leurs processus opérationnels et des risques potentiels. “En associant cette ‘tour de contrôle’ – plus concentrée sur les risques – à l'optimisation des processus – tournée vers les possibilités d'amélioration –, vous pouvez créer une importante valeur ajoutée.”
L'IA, une aide à la décision
L'avantage de l'époque actuelle est que l'intelligence artificielle permet de créer ce lien et cette visibilité. “Les décisions relatives aux chaînes d'approvisionnement seront de plus en plus autonomes et axées sur la technologie”, prédit Tom Van Herzele.
“C'est ce que nous appelons la Self-SustAInable Supply Chain. Depuis longtemps, les chaînes d'approvisionnement ne sont plus linéaires, mais constituent des écosystèmes complexes et difficiles à appréhender pour le cerveau humain. L'intelligence artificielle peut rendre cette complexité gérable et formuler des propositions de décision que l'être humain n'a plus qu'à valider.”
Les planificateurs de la chaîne logistique, par exemple, doivent étudier un grand nombre de données pour prendre des décisions éclairées. Une activité des plus chronophages.
“Sur la base d'une analyse de scénarios, l'IA peut leur suggérer des décisions, et leur offrir ainsi de travailler plus efficacement et de se focaliser sur les décisions qui exigent une interprétation poussée”, conclut l’expert. “Certaines entreprises laissent déjà l'IA prendre des décisions autonomes en matière de planification de la production.”