Ce ne sont pas seulement les entreprises et les CEO qui s'inquiètent des turbulences géopolitiques : l’angoisse monte également chez les consommateurs. "Pour rester pertinentes, les entreprises doivent comprendre ces craintes et tirer parti des opportunités qui en découlent", déclare Sarah Steenhaut, Partner Strategy & Transactions chez EY-Parthenon.
"Le consommateur d'aujourd'hui est fondamentalement différent de celui d'hier, et encore plus de celui de demain", affirme Sarah Steenhaut, Partner chez EY-Parthenon. Experte en psychologie du consommateur, elle accompagne les entreprises et les marques dans leur croissance. "Dans un monde en digitalisation rapide et confronté à des tensions géopolitiques, il est crucial, pour les entreprises, de rester pertinentes. Dans ce contexte, conserver les clients existants et en attirer de nouveaux est le défi par excellence."
Les consommateurs prennent de plus en plus conscience des événements internationaux qui semblaient autrefois éloignés de leur quotidien. Les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, associés à l'inflation croissante, érodent discrètement leur confiance. En Belgique, cette confiance est négative depuis 12 mois consécutifs. "Cette situation influence évidemment le comportement d'achat des consommateurs", note Sarah Steenhaut. "Ils se font plus prudents et réduisent leurs dépenses pour des services et produits moins essentiels, comme les sucreries et les cosmétiques."
Local et loyal
Sarah Steenhaut en est convaincue : ce consommateur prudent ouvre par ailleurs aux entreprises de nouvelles possibilités. "Nous constatons par exemple que les marques de distributeur se portent bien et que les clients sont plus sensibles aux promotions. En outre, nous observons une augmentation de la consommation à domicile. Les gens mangent moins souvent à l'extérieur, cuisinent davantage chez eux et préfèrent regarder des films à la maison plutôt que d'aller au cinéma. De façon générale, les consommateurs font des choix plus individuels. Parmi les cinq types de consommateur que nous étudions – affordability-first, health-first, society-first, planet-first et experience-first –, les groupes qui choisissent consciemment de privilégier leurs finances, leur santé et leur niveau de stress se multiplient tandis que ceux qui se focalisent sur les efforts collectifs diminuent. Ces tendances créent immédiatement des opportunités pour de nombreuses entreprises."
"Les incertitudes géopolitiques ont un impact important sur les choix que font les consommateurs aujourd'hui. Les intérêts individuels sont priorisés par rapport aux efforts collectifs, ce qui offre des opportunités pour les entreprises belges de consommation."
Un autre changement notable est la préférence pour les produits locaux. "On remarque la montée en puissance du protectionnisme sur le plan géopolitique, et cette tendance influe sur le comportement des consommateurs. Surtout dans le secteur alimentaire, ils optent plus fréquemment pour des produits locaux, ce qui a des répercussions sur les chaînes d'approvisionnement de cette industrie. Ceci dit, d'autres secteurs subissent ces restrictions, comme le secteur belge du diamant qui ne peut plus commercialiser de diamants russes et doit se repositionner pour assurer sa croissance. Les entreprises qui se recentrent sur leur marché domestique peuvent perdre en économies d'échelle, mais capitaliser sur la loyauté locale et mieux répondre à la demande des consommateurs. En fin de compte, il s'agit de mettre en balance les risques et les opportunités."
Théorie et pratique
Sarah Steenhaut en profite pour exprimer son admiration à l’égard des entrepreneurs belges. "Je suis impressionnée par leur pragmatisme et leur résilience. Il existe une grande différence entre les entreprises qui opèrent principalement sur leur marché national et les acteurs internationaux. La plupart du temps, les acteurs nationaux sont proches des consommateurs et peuvent, grâce à une connaissance approfondie des consommateurs et à une stratégie de prix flexible, miser sur la fidélité. Les acteurs internationaux peuvent quant à eux diversifier davantage les risques en profitant des économies d'échelle et en misant sur la diversification ou l'innovation. Dans les deux cas, il est payant de nouer des partenariats et de penser en termes d'écosystèmes. La technologie joue un rôle central dans ce cadre."
La théorie peut sembler plus simple que la pratique, elle le reconnaît bien volontiers. "Nous parlons ici d'un changement de mentalité majeur : nous ne pouvons plus supposer que les consommateurs ne se soucient pas de ce qui se passe dans le monde. Avec ce point de départ, les entreprises feraient bien de concevoir plusieurs scénarios. Je conseille aux dirigeants d'entreprises de consommation d'évaluer l'impact des incertitudes géopolitiques, tant sur le contexte du marché dans lequel ils opèrent que sur leurs propres activités. Ceux qui anticipent de cette manière peuvent dès maintenant faire les bons choix et investissements pour continuer à croître."