Trois lettres de motivation sur quatre reçues par EY ont été rédigées avec ChatGPT. Pourtant, Andy Deprez ne demande jamais aux candidats s'ils maîtrisent les outils d’IA : “Il est surtout important qu'ils soient critiques par rapport au résultat obtenu.”
Chaque jour ou presque, un article sur l'intelligence artificielle paraît dans la presse. “Or, je suis convaincu que 80% des employés ne savent pas exactement à quoi elle sert ni quel impact elle peut avoir sur leur vie personnelle et professionnelle”, pointe Andy Deprez, Partner au sein du cabinet d'audit et de conseil EY.
Aux yeux de Stephanie Baele, Senior Manager in Learning & Change chez EY, les entreprises doivent relever le défi d'expliquer à leur personnel ce que signifie l'IA et les avantages qu’il peut en retirer. “Elles doivent oser l'expérimenter et demander l'avis de leurs employés.”
Si l'IA recèle un potentiel immense de simplification du travail, une approche structurée de l'exploitation de ce potentiel fait encore trop souvent défaut. “De nombreuses organisations se demandent comment utiliser l'IA et quelle valeur ajoutée elle peut engendrer”, souligne Stephanie Baele.
“Mais sans une vision claire, il est difficile pour les collaborateurs de se lancer dans l'intelligence artificielle.”
Responsabilité partagée
L’experte apprécie le fait que l'IA incite à la remise en question, car il ne s'agit assurément pas d'un phénomène de mode appelé à se dissiper rapidement. En la matière, elle considère que la responsabilité est partagée entre les employés et les employeurs.
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“Les entreprises doivent constituer une main-d'œuvre agile. Et leurs employés doivent réaliser que leur travail peut être différent demain de ce qu'il est aujourd'hui, et qu'ils disposent d'atouts pour maintenir leurs compétences à jour. Cela exige un contexte de sécurité psychologique et de leadership proactif, dans lequel les individus osent tenter des choses et acceptent de commettre des erreurs.”
“Par définition, les nouvelles technologies sont partout”, embraie Andy Deprez.
“Nous le constatons nous-mêmes lors du recrutement de jeunes consultants. Trois lettres de motivation sur quatre sont rédigées avec l'aide de ChatGPT. Ce que les candidats ignorent souvent, c'est que nous pouvons le découvrir grâce à un logiciel. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'une candidature est bonne ou mauvaise ! D’ailleurs, nos recruteurs en parlent aux candidats, notamment pour leur faire comprendre que la génération automatique de texte ne peut pas tout résoudre.”
Les recruteurs d'EY s’appuient également sur l'IA pour rechercher plus rapidement des profils adéquats sur LinkedIn, ce qui se faisait auparavant manuellement. “Nous recourons à un logiciel qui analyse les CV et en extrait les informations les plus pertinentes pour effectuer une première sélection de candidats”, éclaire Andy Deprez.
Il faut que les personnes puissent faire leur travail sans avoir à se demander constamment si leurs data finissent ou non dans un modèle de données.
Cette méthode démontre que l'IA peut accroître la productivité et la flexibilité, note Stephanie Baele. “Le personnel du département RH peut consacrer le temps ainsi libéré à des tâches où il peut vraiment faire la différence, par exemple l'amélioration des compétences des employés.”
Du bon sens avant tout
L'IA peut par ailleurs aider les entreprises à créer des modèles prédictifs afin de répondre avec plus de souplesse à l'évolution de leur environnement. Andy Deprez cite ici l'exemple de la maintenance aéronautique.
“Il s’agit d’une opération complexe, parce qu'il y a beaucoup de pièces et que l'on part d'une durée de vie standard. Supposons qu'un fabricant ait trouvé un meilleur alliage qui permet à une pièce de durer désormais dix mois au lieu de six. Cette donnée est ajustée dans le modèle et l'IA commence immédiatement à tout recalculer.”
Bien sûr, les employés doivent être prêts à apprendre. Mais il est surtout important qu'ils soient critiques à l'égard des résultats de l'IA et qu'ils puissent les interpréter correctement.
Pour autant, Andy Deprez ne demande jamais aux candidats s'ils connaissent bien l'IA. “Bien sûr, ils doivent être prêts à apprendre. Mais il est surtout important qu'ils soient critiques à l'égard des résultats de l'IA et qu'ils puissent les interpréter correctement.” Et c'est parfois là que le bât blesse.
“Nous participons à un projet visant à optimiser les itinéraires des camions. Plusieurs couches d'IA ont été appliquées à ce projet. L'un des résultats est qu'un itinéraire de 62 kilomètres pouvait finalement être parcouru en 10 kilomètres. Les employés étaient fiers de cette optimisation, alors qu'elle n'était évidemment pas plausible. Ils avaient oublié un élément lors du chargement des données. C'est dire si le bon sens reste de mise !”
Dimension humaine
Si l’on en croit un sondage mené par EY, c'est dans les secteurs des technologies, des médias et des télécommunications que les employés s'attendent à ce que l'IA ait le plus grand impact positif. À l’inverse, c'est dans les soins de santé que l'optimisme est le moins grand.
“Pourtant, les possibilités sont infinies dans ce domaine !”, nuance Andy Deprez. “Imaginez que, lors d'une visite chez le médecin, celui-ci ne reste pas assis à pianoter sur un écran pendant que vous lui dites ce qui ne va pas, mais qu'il garde le contact visuel pendant que l'IA rédige automatiquement un rapport…”
L'IA nécessitant des données, elle soulève des questions sur la protection de la vie privée et l'éthique. “Les entreprises doivent se demander si elles ne collectent pas des données personnelles pour lesquelles les employés doivent donner leur accord”, confirme Stephanie Baele.
“En outre, les gens ne réfléchissent pas toujours à ce qu'ils laissent sur une plateforme de communication telle que Teams. Il faut qu'ils puissent faire leur travail sans avoir à se demander constamment si leurs data finissent ou non dans un modèle de données. L'IA est là pour faciliter, pas pour contrôler.”
Chaque organisation a des valeurs qu'elle considère comme essentielles et qu’il est difficile de transposer sur une plateforme d'IA. “La dimension humaine demeure absolument cruciale : une personne doit juger de ce qui est autorisé ou pas, en fonction de l'ADN de l'entreprise”, conclut Andy Deprez.