L'activisme actionnarial gagne en importance à l'échelle mondiale. Comment se manifeste-t-il en Belgique? Guberna, l'institut des administrateurs, a récemment mené une étude sur ce phénomène et interrogé 15 entreprises belges cotées en Bourse. Quelles sont leurs principales préoccupations et comment peuvent-elles se préparer? L’éclairage du Pr Konstantinos Sergakis, Knowledge & Research Director chez Guberna.
Quel est l’impact de l’activisme actionnarial en Belgique?
La Belgique se caractérise par une structure de propriété concentrée, qui voit un actionnaire de référence détenir souvent la majorité des actions. Cela réduit les chances, pour les actionnaires activistes, de perturber le contrôle de l'entreprise, même si les risques pour sa réputation demeurent une préoccupation majeure. Une campagne d’activisme peut susciter des critiques publiques, nuire à la perception de l'entreprise et, par conséquent, affecter indirectement le cours de son action. Bien que les entreprises belges soient rarement transformées en profondeur à la suite de campagnes menées par des actionnaires activistes, l'attention médiatique et l'opinion publique font planer une certaine pression sur leur modus operandi.
“Une campagne d’activisme peut susciter des critiques publiques, nuire à la perception de l'entreprise et, par conséquent, affecter indirectement le cours de son action.”
Vous êtes également professeur en Capital Markets & Corporate Governance à l’université de Glasgow. Les hedge funds et leur activisme font souvent la une des journaux. Ce phénomène pourrait-il s’importer chez nous?
Dans les pays où la base actionnariale est fragmentée, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, les hedge funds activistes peuvent plus facilement obtenir le soutien des petits actionnaires et lancer ainsi une campagne dite de “wolf pack”. Cela implique que plusieurs investisseurs activistes se regroupent afin de peser ensemble sur des décisions importantes au sein d'une entreprise.
En Belgique, ce scénario est moins probable en raison de la forte position des actionnaires de référence. Cependant, les activistes peuvent exercer une pression par le biais de campagnes médiatiques et mobiliser des actionnaires mécontents, causant ainsi des dommages à la réputation et obligeant les entreprises à rendre des comptes.
Quels sont les thèmes principaux de l’activisme actionnarial?
Outre l'accent traditionnel placé sur le rendement financier et la gouvernance d'entreprise, de nouveaux sujets montent en puissance. Si le changement climatique demeure un thème central, l'utilisation de l'intelligence artificielle par les entreprises est de plus en plus discutée. Aux États-Unis, en 2024, les entreprises ont pour la première fois reçu des questions sur les implications éthiques du recours à l'IA.
Ces questions dépassent les applications techniques de l'IA pour se concentrer sur des enjeux éthiques plus larges, tels que la confidentialité, la transparence et la discrimination par les algorithmes. On s'attend à ce que ce débat s'intensifie aussi en Europe. Les entreprises doivent donc se préparer à des discussions sur leur usage de la technologie et ses conséquences sociétales.
La géopolitique est un autre thème émergent. La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie ont poussé les actionnaires à réfléchir aux choix éthiques et stratégiques des entreprises. Les actionnaires peuvent faire pression sur les entreprises pour qu'elles reconsidèrent leurs liens avec certains marchés ou diversifient leurs chaînes d'approvisionnement afin de limiter les risques géopolitiques. Cela signifie que les entreprises devront de plus en plus rendre des comptes sur leurs opérations internationales et leur engagement économique dans des pays à risque.
L'activisme actionnarial reste-t-il l’apanage des grands investisseurs institutionnels?
La montée de l'activisme des actionnaires particuliers ne doit pas être sous-estimée. Les investisseurs individuels unissent leurs forces via des plateformes en ligne et des applications, comme cela s'est produit avec GameStop aux États-Unis et une grande entreprise cotée en Chine (COSCO Holding), où un groupe d'investisseurs particuliers a réussi à contraindre l'entreprise à modifier sa politique de dividendes, en s’organisant sur une plateforme de médias sociaux appelée « boule de neige ».
Les nouvelles technologies facilitent l'influence et le vote des actionnaires particuliers lors des assemblées générales. Aux États-Unis (iconik) et au Royaume-Uni (Tumelo), les applications qui simplifient ce processus sont populaires. En Belgique, ce phénomène n'est pas encore présent, mais on s'attend à ce que l'activisme des particuliers y augmente également.
Les jeunes générations, en particulier, montrent un intérêt croissant pour l'investissement responsable et attendent de la transparence et de la participation. Grâce à la technologie, elles peuvent aisément participer aux processus décisionnels et faire pression sur les entreprises pour qu'elles adaptent leurs politiques. Cela pourrait entraîner à terme une influence accrue des investisseurs individuels, obligeant les entreprises à un dialogue plus ouvert et engagé avec leurs actionnaires.
Communication, anticipation et dialogue avec les actionnaires doivent être la priorité de la société pour éviter les effets imprévisibles de l’activisme actionnarial.
Comment les entreprises belges peuvent-elles se préparer aux campagnes d’activisme à venir?
Nombre d’entre elles considèrent encore l'activisme des actionnaires comme une menace, alors qu'il offre de vraies opportunités pour un dialogue constructif. Voici quatre stratégies fondamentales pour bien s’y préparer:
Communication transparente: Les entreprises doivent clairement expliquer et de manière accessible comment elles prennent certaines décisions. Un rapport de durabilité bien rédigé peut y contribuer. La transparence signifie également que les entreprises doivent informer les actionnaires des informations qu'elles peuvent ou ne peuvent pas partager pour protéger les données sensibles.
Anticipation: Des analyses de risques régulières et des simulations de crise peuvent aider à réagir adéquatement aux campagnes d’activistes. Il convient de développer, au sein du conseil d'administration, une stratégie claire pour faire face à cet activisme, y compris les lignes de communication et les scénarios de réaction possibles.
Engagement actif: En dialoguant de manière proactive avec les actionnaires, les entreprises peuvent réduire les malentendus et les tensions. Une communication ouverte avec les actionnaires en dehors de l'assemblée annuelle peut en partie prévenir les campagnes d’activisme. Les entreprises qui sont régulièrement ouvertes au dialogue construisent la confiance et peuvent apaiser un mécontentement avant qu'il ne se transforme en campagne publique.
Faire appel à des experts: Les entreprises peuvent se faire conseiller par des spécialistes de gouvernance d’entreprise et des professionnels de la communication afin d’anticiper les critiques potentielles et de réagir efficacement aux campagnes activistes.
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