L'assemblée générale est un élément essentiel de la gouvernance d’entreprise. Un forum complexe où prise de décision formelle et communication stratégique se rencontrent, et où la question des intérêts des actionnaires et de la transparence est absolument centrale. Abigail Levrau, professeure invitée à l'UGent et Senior Technical Manager à l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG), nous éclaire sur la dynamique profonde d’un événement d'entreprise crucial.
Quel rôle l'assemblée générale joue-t-elle dans la gouvernance d’une entreprise?
L'assemblée générale (AG) forme, avec le conseil d'administration et la direction, le triptyque de la gouvernance d'entreprise. Celle-ci touche notamment aux relations de pouvoir entre ces trois organes. Comment les compétences sont-elles déléguées, et comment sont-elles justifiées?
Ces organes sont établis légalement comme les plus hautes instances au sein d'une société, et leurs règles de fonctionnement sont fixées au préalable. Outre les dispositions légales, il existe néanmoins des recommandations qui orientent la bonne gouvernance, intégrées dans des codes.
Le code belge de gouvernance d'entreprise, destiné aux entreprises cotées, insiste entre autres sur l'égalité de traitement des actionnaires et leur droit à des réponses claires à leurs questions. Pour les entreprises non cotées, le code Buysse IV offre des directives similaires. Ce dernier traite également du rôle des actionnaires et de l'AG, et comprend des recommandations sur la bonne gouvernance.
En résumé, le rôle de l'AG dans la gouvernance d’entreprise est défini par la loi et renforcé par les lignes directrices des codes de gouvernance d'entreprise. Cela souligne l'importance d'une relation transparente et équilibrée entre l’entreprise et ses actionnaires.
Vous êtes vice-présidente de l’Orchestre philharmonique de Bruxelles et administratrice indépendante d’une PME familiale. Comment les entreprises devraient-elles aborder une AG? Comme une contrainte ou un moment-clé de communication?
Considérer une AG comme un moment-clé de communication peut sembler excessif. Mais elle représente certainement plus qu'une simple obligation formelle. En réalité, une assemblée générale est un peu des deux à la fois.
“Dans une entreprise cotée dotée d’un actionnariat activiste, l'AG peut être particulièrement animée voire tumultueuse. Pensez à l'assemblée générale de Fortis où une ruée vers le podium a eu lieu et où une chaussure a été lancée vers la direction.”
D'une part, l'AG est l'organe décisionnel formel de la société. Les actionnaires y votent en application de responsabilités exclusives telles que la nomination et la révocation des administrateurs, l'approbation des comptes annuels, les modifications des statuts et les augmentations de capital. D'autre part, l’assemblée générale remplit une fonction de communication majeure. C'est le moment où les actionnaires peuvent poser des questions et demander des comptes aux administrateurs et à la direction.
En ce qui concerne la pratique, celle-ci dépend de la structure actionnariale. Dans une PME familiale où une seule personne détient toutes les actions, une AG peut se résumer à la signature formelle de quelques documents. En revanche, dans une entreprise cotée dotée d’un actionnariat activiste, l'AG peut se révéler particulièrement animée voire tumultueuse. Tout le monde se souvient sans doute de l'AG de Fortis où divers objets ont volé dans les airs et où une chaussure a même été lancée vers la direction.
Une évolution intrigante tourne autour de l'idée de donner une voix à la nature ou à la Terre lors de l'AG. Des entreprises comme Patagonia et Tony’s Chocolonely montrent que des structures juridiques peuvent être mises en place à cet effet. Tony’s Chocolonely travaille par exemple avec trois Mission Guardians. Ceux-ci possèdent des golden shares leur permettant d'opposer leur veto à des décisions contraires à la mission de l'entreprise.
Il sera également intéressant d’observer les effets du reporting de durabilité obligatoire. Quel poids les investisseurs individuels et institutionnels accorderont-ils à ces informations? Des questions seront-elles posées à ce sujet? De nouveaux procès verront-ils le jour?
Quelle est, dans ce cadre, l’importance d’un actionnariat stable?
Pour une entreprise qui souhaite développer une stratégie de long terme, le soutien des actionnaires est essentiel. Un actionnariat stable aide à garantir la continuité et à maintenir le cap des ambitions stratégiques. À l’inverse, des conflits entre groupes d'actionnaires ou une base actionnariale en constante évolution peuvent générer de l'incertitude.
En Belgique, de nombreuses entreprises ont adopté un modèle d'actionnariat concentré, où les actionnaires siègent également au conseil d'administration. Cela vaut pour plusieurs entreprises cotées, mais aussi pour le private equity, le capital-risque et surtout pour les entreprises familiales, où les actionnaires sont la plupart du temps aussi actifs du point de vue opérationnel. Le défi réside ici dans la reconnaissance des actionnaires minoritaires. Dans quelle mesure leurs droits sont-ils respectés? Ont-ils une voix dans les décisions stratégiques?
“Une AG se concentre souvent sur le retour de l'année écoulée tandis que les investisseurs souhaitent surtout regarder vers l'avenir.”
Enfin, la stabilité joue un rôle décisif dans les entreprises où l'État est présent au capital. Lorsque les rapports de force politiques changent, les accents stratégiques peuvent évoluer.
Comment les entreprises peuvent-elles accroître l’engagement des actionnaires?
Pour les entreprises cotées, il n'est pas toujours évident d'avoir une bonne visibilité sur leurs actionnaires, notamment lorsque les investisseurs restent en dessous du seuil de déclaration. Les investisseurs individuels, par exemple, demeurent généralement anonymes et sont dès lors plus difficiles à atteindre et a fortiori à impliquer.
Une AG se concentre souvent sur la rétrospective de l'année écoulée – avec en particulier l'approbation des comptes annuels –, tandis que les investisseurs souhaitent surtout regarder vers l'avenir. L'AG doit être vue comme une pièce du puzzle dans une communication plus large avec les actionnaires.
Vous devriez donc miser sur les moments de relations investisseurs et d'autres canaux de communication. Ne sous-estimez pas le rôle de président du conseil d'administration, qui sert de véritable pont entre les actionnaires, la direction et le conseil. La confiance des actionnaires repose en outre sur des informations honnêtes et vérifiables. Les chiffres financiers sont vérifiés par un auditeur, mais les entreprises doivent se montrer tout aussi transparentes sur ce qu'elles ne peuvent pas exprimer en chiffres.
En théorie, tous les actionnaires doivent être traités sur un pied d’égalité; en pratique, cependant, tout le monde ne dispose pas des mêmes informations. Les actionnaires siégeant au conseil d'administration ont une connaissance approfondie et une influence directe sur les décisions stratégiques. Les autres actionnaires dépendent des canaux de communication publics et des relations investisseurs. Bien que cette différence soit logique, les entreprises doivent veiller à ce que tous les actionnaires aient accès à suffisamment d'informations pour prendre des décisions éclairées.
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