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“L’apprentissage tout au long de la vie est une chance, pas une sanction”

Caroline Plichart (AXA), Fabiaan Van Vrekhem (Accord Group) et Shanna Jacobs (Elia) - © Marco Mertens

Quel rôle jouent les parcours de développement, la formation et l'apprentissage tout au long de la vie dans la politique des talents d'aujourd'hui et de demain? Trois professionnels des ressources humaines réagissent à certaines affirmations dans ce domaine en se fondant sur leur expertise et la stratégie de leur entreprise. À leurs yeux, “la pollinisation croisée entre l'enseignement et le monde de l'entreprise pourrait encore être renforcée dans les années à venir”.

1. Pour beaucoup de personnes, l'apprentissage tout au long de la vie s'apparente à une sanction. Ceci explique d’ailleurs pourquoi, en 2022, seul un adulte sur cinq en Belgique suivait des études.

Caroline Plichart (Head of Talent Management, Learning & Recruitment chez AXA Belgium): “Quiconque exerce une profession avec succès depuis 20 ans s'interroge parfois sur la valeur ajoutée d'une formation. Or, ce sont précisément ces personnes qui risquent d'être laissées pour compte par la numérisation qui ne cesse de monter en puissance! Les évolutions fulgurantes dans ce domaine contraignent les employés à développer de nouvelles compétences et aptitudes. Cela vaut pour toutes les fonctions. Certains en sont conscients et suivent spontanément des formations; d'autres ont besoin d'y être incités. Malheureusement, d’autres encore ne se laissent pas convaincre, par exemple parce qu'ils ont perdu toute motivation.”

Shanna Jacobs (Head of Learning & Development chez Elia): “Formulé de cette manière, l’apprentissage tout au long de la vie s'apparente en effet à une sanction, au même titre qu’un emprisonnement à vie. Il est essentiel que l’entreprise installe et promeuve une culture de l’apprentissage. Pour intégrer l’apprentissage tout au long de la vie à la culture d’entreprise, il faut veiller à ce que cet apprentissage soit intéressant, que vos collaborateurs le considèrent comme un investissement en eux-mêmes et une chance. Chez Elia, nous l'envisageons de manière très large. Nous organisons certes des formations obligatoires sur les normes de sécurité, par exemple, mais nous proposons aussi une vaste gamme de formations numériques auxquelles nos collaborateurs peuvent s’inscrire spontanément pour acquérir ou développer certaines compétences. Notre offre comprend des formations internes et externes. En outre, les formations informelles ou l'observation (job shadowing) sont vivement encouragées. En bref, nous proposons de nombreuses opportunités afin d’étancher la soif d'apprendre de l'employé. C'est d'ailleurs nécessaire pour maintenir l'agilité et la résilience d'une entreprise.”

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Fabiaan Van Vrekhem (Managing Partner chez Accord Group): “L'apprentissage tout au long de la vie n'est pas une sanction! Je ne pense pas d'ailleurs qu'il soit réellement perçu de cette façon. Certes, les travailleurs ne voient pas toujours la pertinence d'une formation, car celle-ci ne s'inscrit pas forcément dans le monde qu'ils se sont créé. La solution consiste à fournir un contexte. Les employeurs doivent faire prendre conscience à leur personnel que l'apprentissage tout au long de la vie est indispensable dans un monde en évolution rapide. Ne pas bouger, c'est reculer: voilà une réalité qui devrait dynamiser même les moins motivés.”

2. La quête de la perle rare n'est plus pertinente: la formation (notamment sur le terrain) est l'une des stratégies de recrutement les plus efficaces aujourd'hui.

Caroline Plichart: “Le constat est le même chez AXA. Par exemple, nous sommes pleinement engagés dans la mobilité interne. Plus de la moitié de nos postes ouverts sont pourvus par des personnes qui travaillaient déjà chez nous. En principe, il est plus facile d'évaluer le potentiel de croissance et de développement d'une personne lorsqu'elle travaille dans votre entreprise depuis un certain temps. Notamment par le biais d’une culture du retour d'information: communiquer ouvertement sur les points forts d'une personne et sur les compétences qui peuvent encore être renforcées est indispensable dans le cadre d'une politique de formation et de développement ciblée.”

Shanna Jacobs: “La course aux talents est terminée. Le talent a gagné! Les employeurs doivent reconnaître que l'employé idéal n'existe pas, tout comme le partenaire ou l'enfant idéal. Lors du recrutement, nous ne nous contentons pas d'examiner les connaissances et compétences déjà présentes: nous prêtons attention au potentiel de développement des personnes, à leur motivation intrinsèque et à l'adéquation culturelle avec notre entreprise. La formation sur le poste de travail et d’autres formes d’apprentissage ont vocation à combler les éventuelles lacunes.”

Fabiaan Van Vrekhem: “Les entreprises ne devraient pas se limiter au diplôme lorsqu'elles recherchent les bons candidats. Le diplôme est un instantané, la preuve de la présence d'une personne aux cours et aux examens. Au cours de la même période, les personnes qui n'ont pas fréquenté l'école ont généralement accumulé de l'expérience d'une autre manière et dans d'autres lieux. Leur motivation et leur potentiel comptent au moins autant. L'acquisition de connaissances ne s'arrête pas à la formation! Sans oublier l'épanouissement personnel, qui ne cesse de gagner en importance; le développement personnel a plus de poids que la satisfaction des besoins fondamentaux. Pour de nombreuses personnes, l'emploi est un élément fondamental de leur vie, un moyen de s'épanouir. Il faut donc que les employeurs accordent suffisamment d'attention à l'objectif, aux motivations et au potentiel de développement des individus, tant lors du recrutement que dans l'offre de parcours de développement. Recruter uniquement en fonction des connaissances, c’est dépassé.”

3. Les programmes des universités et des écoles supérieures restent trop éloignés du monde du travail. De nombreux jeunes diplômés ne sont pas prêts pour le marché de l’emploi.

Caroline Plichart: “Notre expérience indique plutôt le contraire. Bien sûr, les jeunes à peine diplômés ont besoin d'acquérir une expérience pratique. Dans le monde de l'assurance en particulier, l'acquisition d'expertise prend du temps. À cet égard, les jeunes qui sortent aujourd'hui de l'école ne se distinguent guère de ceux qui les ont précédés voici quelques années… En revanche, la nouvelle génération de jeunes diplômés a, en général, davantage envie d'apprendre beaucoup et, surtout, rapidement. Au bout de deux ans seulement, nombreux sont ceux qui souhaitent déjà relever de nouveaux défis ou décrocher un autre emploi.”

Shanna Jacobs: “Je constate un changement positif à cet égard. Il n'y a jamais eu autant de collaborations entre des entreprises telles qu'Elia et des écoles, dans le but de relier l'offre d'apprentissage au monde de l'entreprise. Bien sûr, il pourrait y avoir nettement plus de pollinisations croisées, et ce parallèle devrait être intégré de manière plus structurée dans le programme d'études. Hélas, le système éducatif offre peu de flexibilité, le cadre est fixe et les ressources sont limitées, ce qui explique que les établissements d'enseignement peinent parfois à répondre à ces besoins.”

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Fabiaan Van Vrekhem: “Notre enseignement offre surtout des cadres de référence et un transfert de connaissances. Il y manque le développement de la maturité, qui permet aux jeunes de saisir le contexte de l'entreprise, et l'idée que chacun a un contexte individuel qui doit être adapté à celui des autres. Par ailleurs, l'apprentissage en alternance demeure trop souvent considéré comme une sorte de dernier recours pour certains élèves de l'enseignement secondaire, alors qu'il recèle selon moi un potentiel immense pour les étudiants de l'université: celui de se rapprocher du monde de l'entreprise.”

4. Les nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle et l'internet des objets modifient la façon dont les emplois sont et seront exercés. Les compétences numériques sont essentielles, désormais.

Caroline Plichart: “Ces compétences sont absolument nécessaires et deviennent de plus en plus importantes à mesure que les outils avec lesquels nous travaillons évoluent. Mais nous avons également besoin d'employés dotés des soft skills nécessaires pour faire face de manière optimale aux changements induits par ces nouvelles technologies numériques. Il faut trouver un juste équilibre.”

Shanna Jacobs: “La technologie offre principalement un soutien mais l’humain doit comprendre la logique sous-jacente de ces outils numériques, et c’est souvent là que le bât blesse. La matière n’est certes pas toujours simple, et chaque employé a un rapport différent aux technologies. D'où l'intérêt d’instaurer un accompagnement sur mesure. La technologie présente de nombreux avantages mais elle a aussi ses inconvénients, et recèle certains risques. D’où l’intérêt de maîtriser le tableau complet. Tout le monde ne deviendra pas expert en technologie; néanmoins, chacun doit comprendre et juger de la plus-value d’une technologie déterminée.”

Fabiaan Van Vrekhem: “En effet, tout ce que fait l'ordinateur, l'homme en est dispensé. Mais ce dernier doit encore comprendre ce que fait l'ordinateur et être capable d'évaluer ou d'interpréter correctement ses résultats. Le temps humain ainsi libéré peut être consacré à d'autres tâches. Ici aussi, les employés peuvent bénéficier d'un soutien et de conseils adaptés. Prenons l'exemple de l'opérateur qui commence à travailler avec des lunettes de réalité virtuelle ou de réalité augmentée dans le cadre des évolutions de l'industrie 4.0. Ce travailleur perd une partie de son autonomie et devient plus dépendant de cette technologie. Comment gérer cette évolution en tant qu'employé et en tant qu'employeur? Voilà les défis de demain.”

5. La mise en place d'une académie de formation interne ne fait pas partie du cœur de métier d'une entreprise: mieux vaut confier cette tâche à un spécialiste externe.

Shanna Jacobs: “Cela dépend largement de l'entreprise. Nous avons créé notre Elia Academy en avril 2022 afin de regrouper sous un même toit toutes les formations. Un lieu où nos experts se réunissent pour réfléchir aux compétences et aptitudes techniques, de sécurité et humaines. Quelles sont les compétences dont nous disposons aujourd'hui et de quelles compétences aurons-nous besoin à l'avenir? Pour quelles compétences un effort supplémentaire sera-t-il de préférence consenti? Cet exercice, réalisé en étroite collaboration avec l'entreprise, se traduit par une feuille de route d'apprentissage par unité opérationnelle, liée au plan d'entreprise et qui, à son tour, soutient la stratégie d'Elia. Cela nous permet en outre de cartographier les besoins transversaux à travers les Business Lines, au sein d'Elia et du groupe. La formation peut être dispensée par des formateurs internes, mais aussi par des formateurs/plateformes externes. Avec GoodHabitz, LinkedIn Learning et DataCamp, nous disposons d'une offre numérique très fournie. Par ailleurs, la nature de notre activité requiert des aptitudes très différentes. Nous disposons de nombreuses formations techniques et de sécurité développées tout spécialement pour nous parce qu'elles sont spécifiques à notre activité. Et une fois par an, nous sélectionnons des employés qui ont la possibilité de suivre des programmes Executive.”

Caroline Plichart: “Nous offrons à nos collaborateurs l'accès à une plateforme d'apprentissage qui leur permet de suivre des cours et des formations à la carte en fonction de leurs besoins, et ce, selon plusieurs méthodes d'apprentissage: en classe, via des e-learnings, des podcasts, etc. Ils peuvent ainsi rechercher du contenu didactique de façon autonome, intuitive et conviviale. Les personnes obtiennent un aperçu de leur profil et savent ainsi quelles compétences sont nécessaires à quel niveau pour leur poste actuel ou leurs futures fonctions, et ce sur quoi elles peuvent encore travailler précisément. Ces possibilités et ces informations ont une valeur ajoutée indéniable.”

Fabiaan Van Vrekhem: “Les deux méthodes de travail présentent des avantages. L'exigence est bien sûr d'avoir une approche professionnelle et de prendre en compte les styles d'apprentissage des individus. Une académie interne peut travailler rapidement et de manière ciblée. Le consultant externe, quant à lui, présente l'avantage d'intégrer des cadres de référence extérieurs dans ses formations. Dans un scénario idéal, les entreprises combineront académie interne et spécialistes externes.”

6. De nombreuses entreprises proposent des cours et des formations mais n'en mesurent guère l'impact. Elles ignorent dès lors à quel point ils sont efficaces.

Caroline Plichart: “Nous mesurons la qualité de nos formations. Les participants peuvent recourir à un système d'étoiles pour en juger. C'est ainsi que nous maintenons la qualité de l'offre de formation à un niveau élevé. Mesurer l'impact est une autre histoire: l'impact à court terme peut être évalué sur la base de certains paramètres, mais qu'en est-il à plus long terme? Que reste-t-il des connaissances acquises quelques mois après une formation? Et quelles conclusions en tirer? C'est un défi pour toute entreprise.”

Shanna Jacobs: “Est-il réellement nécessaire de mesurer cet impact? En consacrant du temps à cette mesure, l’entreprise dispose de moins de temps pour agir concrètement et lancer de nouvelles initiatives. L'attraction, la rétention, la satisfaction des employés: voilà les paramètres qui revêtent une importance réelle.”

Fabiaan Van Vrekhem: “On peut réaliser une analyse coût-bénéfice, mais c'est une donnée très statique. Les entreprises feraient mieux de se demander pourquoi elles proposent certaines formations. Est-ce pour développer une certaine culture, pour renforcer la volonté de changement des employés? Il faut se poser les bonnes questions. Fréquemment, on ne juge pas les paramètres réellement importants.”

7. Suivre une formation exige une forte implication et un investissement en temps, ce qui perturbe l'équilibre vie professionnelle-vie privée des employés.

Shanna Jacobs: “Cette affirmation est très extrême. Selon moi, la formation est toujours un investissement, mais il s'agit d'un investissement en soi-même. En outre, pour de nombreuses personnes, le travail et la vie sont de plus en plus imbriqués. La formation peut s’y intégrer de manière harmonieuse.”

Caroline Plichart: “L'organisation de formations est un défi pour nos services opérationnels, qui doivent être en permanence à la disposition des clients par téléphone. Envoyer toute une équipe à une formation est impossible. Nous comprenons la soif d'apprendre de ces personnes, mais aussi leur souci de continuer à accomplir leurs tâches. Ce dilemme peut constituer un point de rupture pour certains, qui finissent par abandonner la formation.”

Fabiaan Van Vrekhem: “Les entreprises devraient aborder cette question sous l'angle du contrat moral avec leurs employés: quel rôle est-ce que je veux jouer, en tant qu'organisation, dans la vie de mes travailleurs? Ce rôle doit être confirmé par la culture de l'entreprise. Lorsque les employés réalisent qu'ils font partie d'une entreprise dotée d’une ambition sociale, ils sont généralement plus motivés pour œuvrer à leur propre développement – après les heures de travail si nécessaire.”

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