Certains médicaments très innovants – connus dans le jargon sous le nom de médicaments de thérapie innovante (Advanced Therapy Medicinal Products, ou ATMP) – ont révolutionné le paysage pharmaceutique ces dernières années. “Non seulement ils augmentent les taux de guérison de plusieurs maladies, mais ils ont un impact majeur sur le traitement et le confort des patients”, déclarent Hanne Wouters (Market Access Advisor) et Nathalie Lambot (Public Health & Clinical Trials Advisor) chez pharma.be.
Les thérapies cellulaires et géniques font l'objet de recherches depuis des décennies. Or, la véritable percée des ATMP n'a eu lieu qu'il y a 15 à 20 ans. Où en sommes-nous aujourd'hui?
Nathalie Lambot: Les ATMP ont été définis et légalement réglementés au niveau européen voici une quinzaine d’années. Seize d'entre eux ont depuis été approuvés dans l'UE. Et dans un futur proche, dix à vingt devraient être approuvés chaque année.
Pourquoi les ATMP pourraient-ils à terme révolutionner la médecine?
Hanne Wouters: Plutôt que d'agir sur toutes sortes de symptômes – et d'essayer ensuite de les éliminer ou de les atténuer –, les ATMP s'attaquent à la cause même de certaines maladies. Par exemple en rétablissant complètement une fonction défectueuse de l'organisme. Les médicaments classiques peuvent aussi y parvenir, bien sûr, mais les chances de succès sont nettement plus élevées si le traitement cible la cause de la maladie. En outre, contrairement à la plupart des médicaments ou traitements conventionnels, les ATMP ne doivent souvent être administrés qu’une seule fois à un patient. C’est pourquoi on les appelle également des “one-time treatments”.
“Des traitements innovants existeront bientôt pour des maladies très courantes comme celles de Parkinson et d’Alzheimer.”
Nathalie Lambot: Prenez la thérapie génique. Si un gène déterminé de votre corps est défectueux et qu'il vous rend malade ou vous handicape, il peut être, dans certains cas, remplacé par un autre gène complètement intact.
Jusqu'où s'étend le potentiel des ATMP? Pourrions-nous en théorie traiter toutes les maladies?
Hanne Wouters: Les ATMP déjà approuvés visent principalement à traiter des maladies rares, pour lesquelles il n'existe pas ou peu de médicaments actuellement. Mais la donne va changer de manière significative à plus ou moins court terme. Le rapport annuel de l'Alliance for Regenerative Medicine dresse chaque année la liste des maladies que les ATMP peuvent traiter. Le rapport le plus récent montre clairement que des traitements innovants pour des maladies très courantes seront commercialisés dans les années à venir. Pensez au diabète et aux maladies de Parkinson et d'Alzheimer. Le potentiel est très important, notamment parce qu'il existe encore un grand besoin médical pour le traitement de ces maladies plus courantes.
Nathalie Lambot: Les thérapies conventionnelles ont fréquemment des effets secondaires, ce qui explique que certains patients les tolèrent moins bien. Si un ATMP peut offrir une solution entraînant beaucoup moins d'effets secondaires, le patient gagnera évidemment en confort.
Pour quelle maladie relativement courante pourrait-on trouver une meilleure alternative grâce aux ATMP?
Hanne Wouters: Le diabète est un bon exemple. S’il existe de nombreux médicaments pour contrôler le diabète, la maladie elle-même est incurable. En fonction du type de diabète, la thérapie génique ou cellulaire pourrait devenir une option prometteuse.
Peut-on espérer une amélioration significative de la qualité de vie de nombreux patients au fil du temps?
Hanne Wouters: Grâce à leur potentiel curatif, les ATMP auront un impact croissant sur cette qualité de vie. Un patient qui doit aujourd'hui se rendre à l'hôpital pour une thérapie, disons chaque semaine, ne devra probablement être suivi par son médecin que deux fois par an au maximum. Certains patients, qui sont souvent restés enfermés chez eux pendant des années à cause de leur maladie, pourront retourner à l'école ou au travail après un traitement par ATMP. L'impact familial et social est bien entendu considérable.
Comment envisagez-vous l'impact sur le secteur médical, et par extension sur l'ensemble de notre système de santé?
Nathalie Lambot: Les ATMP sont plutôt complexes dans leur développement et leur production. C'est là que j’entrevois un rôle majeur pour l'écosystème belge. Nous sommes très avancés en termes de recherche médicale dans ce pays. Nous disposons d'un écosystème médical bien développé qui facilite les essais cliniques, mais aussi l'administration de ces médicaments innovants et le suivi ultérieur des patients. Il faut absolument continuer d’œuvrer à l’expansion de cet écosystème! Pour le moment, les ATMP sont principalement administrés dans des hôpitaux spécialisés. Nous devons donc veiller à ne pas fixer un seuil trop élevé pour les patients.
“Guérir le cancer ou démence? Je ne l’exclus pas.”
Bien sûr, la dimension “coût” est à prendre en compte. Ces médicaments sont-ils abordables?
Hanne Wouters: Les thérapies cellulaires et géniques demeurent, pour la plupart, extrêmement coûteuses. Il y a certes des exceptions, mais le processus de production est aussi complexe qu'innovant, et cela a un prix. Ceci étant dit, beaucoup d'ATMP ne doivent être administrés qu'une seule fois. C’est pourquoi nous devons mettre en balance ce prix relativement élevé avec toutes les économies réalisées sur le long terme. Car un traitement à vie coûte très cher! En outre, les ATMP permettent aux personnes de réintégrer la société et de devenir productives. En revanche, il est presque impossible de mesurer l'effet complet d'un ATMP dans un essai clinique, précisément en raison de son effet potentiel à vie. Ces incertitudes cliniques constituent parfois une pierre d'achoppement dans la fourniture au patient d'une thérapie aussi innovante, ou dans son remboursement.
Le prix de la plupart des ATMP baissera-t-il avec le temps?
Hanne Wouters: De nombreuses recherches sont menées pour optimiser les processus de production, qui sont encore nouveaux. Cela aura sans aucun doute un impact sur le prix. Mais les ATMP restent des traitements hautement personnalisés et de haute technologie, et ce n'est évidemment pas bon marché.
Des maladies qui font des millions de victimes chaque année – pensez au cancer ou à la démence – pourraient un jour être traitées avec succès grâce aux nouveaux ATMP: utopie ou espoir raisonnable?
Nathalie Lambot: Je n'exclus certainement pas cette possibilité. Dans le traitement de l'hémophilie, par exemple, de très grands progrès ont déjà été accomplis.
Hanne Wouters: Plus de 50% des investissements dans les ATMP sont aujourd'hui destinés à l'oncologie, qu'il s'agisse de cancers rares ou plus courants. Le potentiel est donc réel.
Le développement des tout premiers médicaments de thérapie innovante (ATMP) remonte aux années 1970. Ceux-ci peuvent être globalement répartis en trois grandes catégories: la thérapie cellulaire, la thérapie tissulaire et la thérapie génique. Dans le premier cas, des cellules corporelles cultivées en externe sont utilisées pour guérir le patient ou restaurer la fonction altérée d'un organe particulier. La thérapie tissulaire va plus loin encore, puisque des cellules sont rassemblées pour reproduire un morceau de tissu entièrement nouveau. La thérapie génique, enfin, vise à rétablir la fonction du gène défectueux d'un patient en lui administrant une copie saine du gène.