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“Les débats actuels sont trop axés sur le prix des nouveaux médicaments”

Willy Cnops, Life Science Advisor chez pharma.be © Christophe Ketels

L’innovation coûte cher, et ce constat s’applique plus que jamais au secteur pharmaceutique. Malgré tout, le débat sur le prix de toute une génération de médicaments innovants menace d’occulter leur immense impact individuel et sociétal. “Les bénéfices pour la société et le contexte global sont souvent laissés de côté”, confirment les trois experts du vécu que nous avons réunis autour de la table pour évoquer ensemble cinq postulats en la matière.

Postulat 1: Un médicament innovant et efficace peut améliorer radicalement la qualité de vie des patients. C’est pourquoi la société doit être prête à les financer.

Stefan Gijssels: “À mes yeux, le mot ‘radical’ signifie qu’un médicament augmente significativement l’espérance de vie des patients. Je préfère être moins catégorique. Pour moi, les innovations sont les bienvenues si elles améliorent la qualité de vie des patients. Le cas échéant, il faut en effet être prêt à mettre de l’argent sur la table.”

Stefan Joris: “À l’association Muco, nous avons vu apparaître, ces dernières années, de nombreux médicaments innovants. Ce qui m’a à chaque fois frappé est le fait que peu de chercheurs aient consulté les patients sur leurs priorités. Par exemple, la capacité pulmonaire est un indicateur médical important chez les patients souffrant de mucoviscidose mais, pour les patients-mêmes, le maintien de leur qualité de vie et la diminution de leurs séjours à l’hôpital sont généralement plus déterminants. L’approche des sociétés pharmaceutiques ne coïncide pas toujours avec celle des patients.”

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Inge Van de Velde: “Pour les patients souffrant comme moi de sclérose en plaques, il n’existe à ce jour aucun traitement curatif susceptible de réparer les lésions nerveuses. Dans le même temps, les médicaments qui freinent l’évolution de la maladie et dont nous disposons maintenant font déjà la différence. Si je ne les avais pas eus ces dernières années, je serais peut-être en fauteuil roulant, alors qu’aujourd’hui, je peux encore courir les 20 km de Bruxelles! Même si l’idée de simplement freiner la maladie n’est pas très sexy, ces médicaments peuvent considérablement améliorer la qualité de vie des patients. Leur impact est difficile à quantifier, notamment parce qu’il est souvent d’ordre psychologique ou qu’il se traduit par une diminution de la fatigue. Je ne peux donc que plaider pour une implication accrue des patients dans le développement de nouveaux médicaments.”

Stefan Gijssels a survécu en 2015 à un cancer métastatique du côlon. Auparavant, il travaillait dans l’industrie pharmaceutique. Il est aujourd’hui président du Patient Expert Center. C’est un ardent défenseur d’un système de soins de santé davantage centré sur les patients. © Christophe Ketels
Stefan Gijssels a survécu en 2015 à un cancer métastatique du côlon. Auparavant, il travaillait dans l’industrie pharmaceutique. Il est aujourd’hui président du Patient Expert Center. C’est un ardent défenseur d’un système de soins de santé davantage centré sur les patients. © Christophe Ketels

Postulat 2: Le débat de plus en plus vif sur le prix (trop) élevé des médicaments et traitements hautement innovants n’est pas pertinent. La vie humaine n’a pas de prix.

Stefan Gijssels: “Il ne faut jamais perdre de vue le tableau d’ensemble: nous devons continuer à soutenir l’énorme prise de risque des entreprises qui investissent massivement dans des recherches dont les résultats sont incertains. Cela ne peut pas se faire en leur brandissant sans cesse ces prix de vente élevés sous le nez. Pour schématiser: l’an dernier, l’industrie pharmaceutique a investi 212 milliards d’euros dans la recherche de nouveaux traitements. Le gouvernement américain a consacré 38 milliards d’euros à la recherche; en Europe, cette somme n’a pas dépassé 8 milliards d’euros. En matière d’innovation, nous dépendons dès lors totalement de l’industrie. Bien entendu, il convient de maintenir l’équilibre entre ces investissements et l’accessibilité des médicaments. Le gouvernement cherche essentiellement à conserver son propre équilibre budgétaire au lieu de privilégier les intérêts des patients. Nous constatons également que les médicaments dont la licence a expiré deviennent soudain très bon marché. J’estime que les pouvoirs publics doivent être prêts à combler cette période couverte par les brevets pour ensuite bénéficier des avantages de ces médicaments autrefois très chers.”

Stefan Joris: “Pour les maladies rares, cela semble bien entendu nettement plus compliqué, au vu du nombre, par définition, très limité de bénéficiaires de ces médicaments innovants et très chers. Mais en dehors de cela, que signifie précisément le concept value based? Comment fixer un prix? En outre, il faut tenir compte de l’éthique. Le gouvernement doit pouvoir demander à une société pharmaceutique de communiquer le montant exact de sa marge bénéficiaire.Sur ce plan, on observe de grandes différences difficilement justifiables. Pour des médicaments très innovants, je vois une solution au niveau européen. La Commission européenne a négocié le prix des vaccins contre le Covid et, à l’exception de quelques erreurs de débutant, elle s’en est tout de même bien sortie. Ce type d’approche européenne devrait permettre aux patients d’avoir accès plus rapidement aux nouveaux médicaments, en échange de quoi les groupes pharmaceutiques pourraient être dispensés d’introduire un dossier dans chaque pays.”

Inge Van de Velde: “En tant qu’économiste, je pense qu’il est essentiel de tenir compte du ratio coûts/bénéfices. Mon père souffrait lui aussi de sclérose en plaques, mais il n’avait bien entendu pas accès aux médicaments dont je bénéficie aujourd’hui. Par conséquent, il était totalement invalide à 60 ans et s’est retrouvé dans un centre de soins. Il était depuis longtemps hors de question qu’il travaille, et les hospitalisations se sont multipliées. Si l’on compare ces coûts à ma situation – je travaille encore –, les choses sont très différentes.”

Inge Van de Velde souffre de sclérose en plaques depuis 20 ans et a entre-temps suivi une formation de patient expert. Elle enseigne l'économie et le secrétariat médical au sein du programme d'éducation pour adultes du CVO Kisp. © Christophe Ketels
Inge Van de Velde souffre de sclérose en plaques depuis 20 ans et a entre-temps suivi une formation de patient expert. Elle enseigne l'économie et le secrétariat médical au sein du programme d'éducation pour adultes du CVO Kisp. © Christophe Ketels
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Postulat 3: Les débats actuels se focalisent trop sur les prix des médicaments et pas assez sur leur impact sociétal et leurs avantages au sens large.

Stefan Gijssels: “Je suis d’accord à 100%: les avantages sociétaux et le contexte global ne sont pas suffisamment pris en compte. Ils se retrouvent totalement en dehors du mandat des décideurs de l’INAMI. Les pouvoirs publics connaissent à un euro près les montants dépensés dans le système, mais personne ne peut dire ensuite ce qui se passe avec le patient et quels sont les plus-values concrètes des mesures de prévention ciblées ou de certains traitements. Il reste un immense chemin à parcourir sur le plan de l’orientation du patient.”

Stefan Joris: “Absolument. J’ai d’ailleurs eu une discussion à ce sujet au cabinet du ministre de la Santé, et ils l’admettent volontiers. Leur argumentation est qu’il est impossible de calculer combien nous économisons lorsqu’une personne travaille, continue de payer des impôts et des cotisations sociales pendant cinq années supplémentaires. Par ailleurs, les pouvoirs publics devraient aussi investir davantage dans les dépistages préventifs. De nombreuses études montrent qu’un traitement plus précoce des patients, par exemple ceux atteints de mucoviscidose, se traduit par une augmentation du taux de survie et une amélioration de la qualité de vie de ces patients.”

Inge Van de Velde: “La sclérose en plaques est une maladie qui touche surtout des jeunes, et la nouvelle approche consiste à leur administrer le plus rapidement possible des médicaments freinant son évolution. Tout simplement parce qu’ils peuvent avoir un impact positif majeur pendant des années.”

Stefan Gijssels: “Je le vois comme un grand défi pour le secteur pharmaceutique. Il faut beaucoup plus de recherches sur l’impact global des nouveaux médicaments.”

Postulat 4: Les sociétés pharmaceutiques qui sont les premières à développer un médicament véritablement révolutionnaire ou curatif et détiennent un brevet, ont tendance à abuser de cette situation et à encaisser un maximum d’argent pendant les premières années.

Stefan Gijssels: “Il est temps de dissiper un malentendu. Le prix d’un médicament n’est pas déterminé en fonction des coûts de recherche et de production, mais de sa valeur thérapeutique et de l’impact attendu. Un médicament particulièrement cher à produire mais qui offre une valeur ajoutée réduite ne sera jamais remboursé par la Sécurité sociale.”

Stefan Joris: “En réalité, la chaîne est inversée. Souvent, ce sont les petites start-up qui font réellement la différence grâce à leurs recherches et à leurs innovations. Elles sont ensuite rachetées par de grands groupes. Elles sont donc les premières à encaisser, mais ce modèle se perpétue ensuite dans la chaîne. L’écosystème dans son ensemble est particulièrement complexe et inflationniste, c’est pourquoi ce problème est extrêmement difficile à résoudre.”

Stefan Gijssels: “Le modèle doit être repensé, c’est vrai, mais dans le même temps, nous constatons que plus de 200 nouveaux médicaments contre le cancer ont été commercialisés ces 20 dernières années. Les patients ne peuvent que s’en réjouir.”

Stefan Joris est directeur général de l’association belge Muco et président du conseil d’administration de RadiOrg, une association qui défend les intérêts des patients souffrant de maladies rares. © Christophe Ketels
Stefan Joris est directeur général de l’association belge Muco et président du conseil d’administration de RadiOrg, une association qui défend les intérêts des patients souffrant de maladies rares. © Christophe Ketels

Postulat 5: La combinaison de nouvelles méthodes de traitement et de médicaments très innovants permet de réduire drastiquement le prix des soins ambulatoires. Cet aspect est trop fréquemment oublié dans les débats.

Inge Van de Velde: “C’est vrai. Je pense par exemple aux médicaments que l’on peut s’administrer soi-même et qui augmentent le bien-être des patients, tandis que le nombre de visites à l’hôpital et chez le médecin diminue. Aujourd’hui, mon traitement est en partie préventif: il ne me guérira pas mais fera en sorte que mon état reste stable et que je puisse continuer à mener une vie normale.”

Stefan Gijssels: “Les traitements contre le cancer, comme la chimiothérapie, exigent encore que les patients passent une journée complète à l’hôpital. Cela a aussi un coût. Ces traitements peuvent de plus en plus souvent être administrés à domicile, ce qui permet de réaliser d’importantes économies. À mes yeux, l’industrie peut également avoir une grande valeur ajoutée sur ce plan.”

Stefan Joris: “Je remarque que les pouvoirs publics en sont de plus en plus conscients et le Covid était, sur ce plan, un important déclencheur. Désormais, il est même possible de bénéficier de traitements de kinésithérapie à distance! Mais il est regrettable qu’il faille longtemps – parfois deux ans – pour changer une nomenclature ou en introduire une nouvelle. À l’INAMI, ils le regrettent tout autant, mais ils sont, hélas, confrontés à toute une série de procédures extrêmement chronophages.”

“L’industrie et les associations de patients peuvent se renforcer mutuellement”

“Lors du développement de médicaments innovants, les sociétés biopharmaceutiques sont en quête de terrains inexplorés et de nouveaux besoins médicaux chez les patients – elles essaient donc d’impliquer les patients autant que possible, ce qui se fait dorénavant mieux et de manière nettement plus consciente qu’auparavant”, avance Willy Cnops, qui a travaillé pendant 37 ans au sein de la société pharmaceutique belge UCB et dirige aujourd’hui le groupe de travail Patient Engagement chez pharma.be. Celui-ci conseille les entreprises du secteur quant à la manière d’approcher les associations de patients.

“Nous ne pouvons ignorer le fait qu'au cours du processus de développement d'un nouveau médicament, les patients ont parfois d'autres priorités que les entreprises pharmaceutiques. Il est donc particulièrement important que ces dernières prennent en compte, non seulement les aspect purement symptomatiques, mais aussi les préférences et l'expérience des patients lors de l’évaluation des essais cliniques. Nous devrions ainsi avoir formé d’ici à la fin de l’année une centaine de patients experts. Ceux-ci ont non seulement une bonne compréhension de l’écosystème des soins de santé, mais ils connaissent le jargon du secteur.”

À terme, ces experts devront être de plus en plus impliqués dans le développement des médicaments et les essais cliniques. “L’industrie et les associations de patients peuvent se renforcer mutuellement”, juge Willy Cnops. “Nous pourrons ainsi véritablement aider les associations de patients dans leurs campagnes et leurs programmes éducatifs. Pour des raisons déontologiques, ces associations ne peuvent dépendre financièrement de l’industrie pharmaceutique. C’est pourquoi nous comptons faire appel aux pouvoirs publics pour qu’ils leur apportent une aide structurelle lorsqu’elle est nécessaire.”

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Willy Cnops, Life Science Advisor chez pharma.be

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