Une communication transparente et adéquate est essentielle pour une politique de santé efficace: cette constatation gagne du terrain dans le secteur pharmaceutique. Hakima Darhmouch (partenaire au sein de l'agence de communication Akkanto et ancienne journaliste) et David Gering (porte-parole de pharma.be) identifient plusieurs possibilités d’amélioration. “Nous devrions oser mettre nettement plus en avant la dimension humaine du secteur.”
Le secteur pharmaceutique souffre-t-il d’un problème d'image?
Hakima Darhmouch: Pas plus que d’autres secteurs. Pourtant, la pharma se sent souvent attaquée ou critiquée. Certes, les marges bénéficiaires de certaines entreprises pharmaceutiques sont parfois pointées du doigt, mais il faut savoir répondre à cette critique: ces solides marges bénéficiaires sont essentielles pour financer des recherches fréquemment très coûteuses et très longues! Osez donc présenter et défendre cette vérité, et faites comprendre au grand public que notre santé collective en dépend. Cela dit, un peu plus de transparence sur le coût de développement des nouveaux médicaments ne gâcherait rien.
David Gering: C'est vrai, et c'est également confirmé par les enquêtes annuelles sur la réputation que nous menons en Belgique en tant que fédération sectorielle. La volonté de communiquer de manière transparente est certes réelle mais malheureusement, la recherche pharmaceutique n'est pas une activité assimilable à la fabrication de biscuits! Les processus complexes sont en général difficiles à expliquer. Un exemple: la recherche et le développement d'un nouveau médicament peut être un processus de pollinisation croisée, dans le cadre duquel la R&D d'un médicament profite parfois à d'autres méthodes de traitement. Quel pourcentage de cet investissement peut-on exactement attribuer à quel produit? En outre, on ne sait pas encore assez qu'en moyenne, neuf médicaments sur dix n’atteignent jamais le marché. L'investissement dans la R&D est par conséquent très risqué.
“ Le public accueille toujours le prix d’un médicament différemment de celui d’un nouveau smartphone”
Outre la dimension des coûts, j'aimerais que l'on accorde plus d'attention aux bénéfices du dur labeur des plus de 42.000 personnes travaillant dans les entreprises biopharmaceutiques belges. Grâce à elles, nous vivons tous mieux et plus longtemps.
Entendez-vous cependant la demande d'une plus grande transparence sur les coûts de développement ou les prix des médicaments?
David Gering: Oui, bien que l'impact des médicaments efficaces sur les patients, leur environnement et la société ne soit d’ordinaire pas intégré dans l'équation… L'image est dès lors simplifiée à l'extrême, à l’inverse d'autres secteurs. Le public accueille toujours le prix d'un médicament ou d'une méthode de traitement différemment de celui d'un nouveau smartphone, par exemple.
Hakima Darhmouch: Effectivement, la discussion ne devrait pas se limiter aux marges bénéficiaires, le secteur pharmaceutique devrait davantage mettre en avant la dimension humaine au cœur du projet. Pourquoi les entreprises pharmaceutiques ne se présentent-elles pas davantage comme des “entrepreneurs de la santé”? Derrière ces sommes-considérables, il y a avant tout des personnes qui travaillent chaque jour pour notre bien le plus précieux: notre santé.
Pour beaucoup de gens, le secteur pharmaceutique est symbolisé par de puissantes multinationales qui amassent des quantités considérables d'argent grâce à leurs blockbusters. Or, cette image est totalement fausse: dans notre pays, 90% du secteur est constitué de PME, et les grands blockbusters font de plus en plus place à une médecine de précision hautement spécialisée.
David Gering: Ces PME méritent en effet d'être mieux connues. Toutefois, elles n'ont souvent qu'un seul produit en portefeuille, qui représente plusieurs années de recherche et des investissements très lourds. Tout dépend de ce seul médicament, et l’on comprendra qu'elles évitent de trop communiquer prématurément. Par ailleurs, nous avons affaire, notamment sur les médias sociaux, à toutes sortes de légendes urbaines difficiles à pourfendre. Un exemple? L'industrie pharmaceutique veut tuer des personnes ou les utiliser comme cobayes. Il est incroyablement difficile d'avoir une conversation constructive avec les personnes qui tiennent ce genre de discours.
Hakima Darhmouch: C'est un problème auquel beaucoup d'entreprises ou de secteurs sont confrontés aujourd'hui. Au travers des médias sociaux, n'importe qui peut livrer sa propre opinion, sans filtre ni nuance.
Comment le secteur peut-il se présenter sous un jour plus positif dans les années à venir?
Hakima Darhmouch: J’entrevois surtout une valeur ajoutée dans une approche de vulgarisation et d’éducation. Un grand nombre de technologies innovantes sont en cours de développement, comme les prometteuses thérapies cellulaire et génique. La communication doit être préparée de façon plus proactive: tout le monde n’est pas au courant des derniers développements technologiques en termes de contenu, il faut déployer une communication un peu plus accessible. Donner de l'espoir. Et faire preuve de transparence. Chaque jour, le secteur investit 140 millions d'euros dans la R&D dans notre pays. Il est tout aussi important de savoir qui et quels projets sont derrière ce montant gigantesque.
“ Un peu plus de transparence sur le coût de développement des nouveaux médicaments ne gâcherait rien”
David Gering: Tout à fait d'accord. Il s'agit de construire des ponts. Nous nous efforçons de mettre en place une communication accessible et crédible qui interpelle et touche le public. Cela dit, je pense aussi que le message peut être encore plus fort s'il provient directement d'“experts du vécu”, comme des médecins, des patients ou un institut de recherche indépendant. Un écosystème tel que la pharma valley belge, dans lequel tous les acteurs-clés sont réunis, serait intéressant dans ce cadre.
Et par rapport aux médias professionnels?
David Gering: Nous privilégions un dialogue ouvert et transparent, même sur les sujets difficiles. Le point de départ du message est que nous n'avons rien à cacher et que nous sommes disposés à éclaircir toutes les questions, même les plus simples en apparence, pour permettre au public de mieux appréhender la complexité de l'“entrepreneuriat de la santé”. Cette approche ne peut que favoriser le respect mutuel.
Hakima Darhmouch: Cette transparence est absolument cruciale. Quelle rédaction ne serait pas curieuse des percées scientifiques décisives dans un secteur particulier, surtout si elles peuvent potentiellement sauver des milliers de vies à long terme? Peut-être le secteur pharmaceutique doit-il aussi être plus proactif en s'adressant aux écoles et aux jeunes. Les professionnels du secteur pourraient se présenter comme « des entrepreneurs de santé », ce qui pourrait, dans le contexte actuel de tension sur le marché du travail, ouvrir de nouveaux horizons en termes de recrutement.