Payer, assurer, vendre, ... À peu près toutes les transactions seront bientôt possibles sans intermédiaires coûteux grâce à la blockchain. Les PME feraient mieux de s’y mettre aussi.
La blockchain est une technologie de stockage et de transmission transparente et sécurisée. Le terme est aussi tendance qu’il est complexe: cinq TED-talks ne suffisent pas à l’expliquer clairement. "Un réseau de toute confiance" serait la définition la plus simple et la plus complète. C’est celle de Dimitri De Jonghe, cofondateur de Ascribe, une entreprise qui participe à la conception de la banque de données blockchain BigChain.
"Le réseau se compose de noeuds remplis de données et de règles décisionnelles. Il est décentralisé dans la mesure où chaque noeud applique indépendamment les règles et possède sa propre copie des données. Chaque transaction cryptée envoyée au réseau est validée par tous les noeuds du réseau sur base des règles sauvegardées. Les transactions ainsi validées sont ajoutées aux données de chaque noeud, sans jamais modifier l’historique de toutes ces transactions. Ainsi le système est transparent et toutes les transactions demeurent traçables."
Saper le réseau demanderait la moitié de la consommation d’énergie annuelle de l’Irlande.
Résultat? Un réseau où règne la confiance car elle n’est plus nécessaire. "Jusqu’à présent, lors de l’achat d’un bien immobilier ou mobilier, un intermédiaire agréé était nécessaire, une confiance institutionnelle pour lever toute incertitude. Grâce aux transactions inchangeables de la blockchain, l’intermédiaire est devenu inutile." Dimitri De Jonghe parle de ‘trustless exchange’.
Infaillible
L’exemple le plus connu d’application blockchain est le bitcoin, un réseau de crypto-currency comptant un peu plus de 6.000 noeuds. "Saper l’ensemble du réseau demanderait la moitié de la consommation d’énergie annuelle de l’Irlande. Économiquement, ce n’est pas faisable. Tout au plus, le piratage pourrait toucher un noeud."
Les transactions peuvent contenir des devises (crypto-coins) mais aussi d’autres valeurs comme des actions, des propriétés intellectuelles, des oeuvres d’art, des données personnelles, etc. Les transactions à votre nom arrivent dans votre portefeuille d’actifs numériques, le 'wallet'. Vous seul en avez la clé qui permet de les échanger dans de nouvelles transactions.
Quid du blockchain pour les PME?
La disparition de l’intermédiaire ouvre également des perspectives pour les PME,. «Sans intermédiaires coûteux, nombreux sont les marchés à forte intensité capitalistique qui se retrouvent à la portée des petites entreprises », reconnait Dimitri De Jonghe. «Vous pourriez découper et négocier un bien immobilier ou mobilier, ou financer n’importe quel type d’activité par crowdsourcing.» Il sera également possible de simplifier des processus administratifs complexes, et ainsi d’en réduire le coût. «Au lieu de la comptabilité actuelle, en partie double, les factures échangées entre A et B aboutiraient directement dans leur comptabilité. Un processus automatique qui ferait aussi l’objet d’une vérification authentique et d’un audit par le réseau.» Tant Jef Cavens que Dimitri De Jonghe estiment qu’il est encore trop tôt pour investir dans des applications blockchain. «On peut le comparer à l’Internet des années ‘90. À l’époque aussi, une entreprise ne pouvait que se créer une adresse e-mail ou un site Web sans photo», ajoute Jef Cavens. Les PME ne devraient pas patienter pendant longtemps. «Cela ira plus vite qu’avec Internet, il faut déjà sonder ce terrain.»
L’infaillibilité des transactions entre A et B et l’absence d’intermédiaire sont lourdes de conséquences: elles favorisent la vitesse et l’efficacité des transactions, mais aussi la transparence. "Songez aux achats en ligne. Le modèle que nous appliquons est loin d’être idéal", affirme Dimitri De Jonghe. "Vous achetez un produit, vous transférez l’argent et vous espérez qu’il n’y ait pas de problème. Une transaction blockchain permettrait de “programmer” votre argent: il serait placé dans une sorte de coffre-fort qui intégrerait toutes les conditions de la transaction. Celle-ci n’interviendrait que si le produit acheté satisfait aux conditions et alors, libèrerait l’argent disponible dans votre ‘wallet’."
L’instrument que nous avons développé pour un assureur le rendait totalement superflu.
Les paiements ne sont qu’une des applications. "Vous pourriez également placer des diamants dans une blockchain ", explique Dimitri De Jonghe. "Chaque pierre se retrouverait dans un coffre avec les renseignements sur son origine. Le ‘wallet’ ferait office de passeport qui en donnerait l’historique complet sur base des transactions effectuées. Nous saurions ainsi si une pierre est clean."
Idem pour les produits issus du commerce équitable pour en attester l’origine ou à des fins de contrôles sanitaires. Plus encore: le ‘wallet’ peut faire office de preuve d’identité. "Dans ce cas, ce ne serait ni Google, ni Facebook qui conserverait votre identité générale dans un silo de données et pourrait ainsi la revendre, car toutes vos données seraient enfermées dans un coffre-fort auquel vous seul auriez accès."
Premiers balbutiements
La blockchain offre donc de nombreuses possibilités, mais cela ne signifie pas pour autant que les entreprises peuvent déjà y recourir. Il y a quelques années, Jef Cavens a travaillé à la première plateforme de crowdfunding bitcoin Swarm. Il fait aujourd’hui partie des initiateurs de OneUp, une petite entreprise établie à La Haye qui crée des noyaux blockchain, des espèces de start-ups, dans de grandes entreprises. "On peut comparer cette évolution à l’Internet du milieu des années 90, quand les vidéos YouTube n’avaient aucun succès. Elles ne l’ont acquis qu’au moment où le haut débit s’est généralisé et que l’on a pu les visionner sur les PC, smartphones et tablettes."
Quel est le prix d’une application blockchain?
Pour la conception d’une application blockchain, comptez entre 50.000 et 100.000 euros. «Ce n’est pas rien, mais si cinq PME investissent ensemble, l’opération devient accessible», reconnaît Dimitri De Jonghe. «Pour ce montant, vous avez une démo sur laquelle vous pouvez continuer à travailler.» Dans certains secteurs comme l’énergie, les investissements dans la blockchain sont réservés aux grands acteurs. «Une application qui permette de charger votre voiture sur une borne de rechargement tant que vous avez de l’argent dans votre ‘wallet’ me semble envisageable, mais, en raison de l’accès aux données et de la production du hardware, ce sont les entreprises de distribution qui sont les mieux placées pour développer un modèle économique exploitable sur cette base.»
Les grandes entreprises, conscientes que la blockchain est plus qu’une mode passagère, louent les services de consultants comme OneUp pour développer des applications. À leur niveau, le bouleversement est tel qu’elles doivent repartir à zéro. "Nous voulons importer la mentalité des start-ups dans ces entreprises. Le point de départ est toujours la technologie: c’est elle qui détermine à quoi ressemblera le modèle économique. Notre équipe reste au sein de l’entreprise pendant 18 mois en moyenne, pour développer l’application qui sera ensuite la propriété du client", explique Jef Cavens.
Tous les secteurs sont possibles: construction, énergie, industrie aéronautique, transport. "Nous trouvons chaque fois une application: la blockchain n’est pas encore assez mûre pour établir un modèle économique." Pour une compagnie d’assurances, OneUp a créé un système qui assure chaque partie. "C’est une forme d’assurance P2P sans intermédiaires. Pour cette société, le constat a été rude: notre instrument la rendait totalement superflue."
L’abécédaire de la blockchain
BLOCKCHAIN Une plateforme logicielle pour les valeurs numériques ou une base de données de l’historique de toutes les transactions, composée de noeuds qui peuvent exécuter, vérifier et ajouter aux données -après signature- des transactions codées (comme une chaîne, donc).
BITCOIN Devise électronique -crypto currency- qui porte le nom du logiciel open source qui l’a conçu. C’est la première application de la blockchain, en production depuis 9 ans déjà. Les bitcoins peuvent s’échanger sans intervention des banques ni des services de trafic de paiement.
P2P Une transaction ‘peer-topeer’, autrement dit de pair à pair, soit entre deux parties individuelles sans intermédiaire.
TRUSTLESS EXCHANGE Type de transaction qui caractérise la blockchain: décentralisée, inaliénable et donc sans qu’il ne faille de confiance en contrepartie. Aucun tiers n’est nécessaire (notaire, banque, service public) pour en assurer la validité. La confiance est inscrite dans le système même.
WALLET Les bitcoins (ou devises) sont stockés dans le réseau. Tous les noeuds en ont une copie exacte. Le ‘wallet’ est cette partie des données du réseau auxquelles l’utilisateur a accès avec une clé privée qui lui permet d’ouvrir son ‘wallet’, en extraire un élément et définir une nouvelle transaction programmable.