Les marques et les commerçants ne s’intéressent pas beaucoup aux consommateurs musulmans, tant au niveau de l’offre que de la communication, estime Rachid Lamrabat. "Pourtant, les entreprises ne peuvent pas se permettre de négliger ce groupe de consommateurs potentiels". Petits conseils aux entreprises qui souhaitent toucher ce groupe de consommateurs.
Rachid Lamrabat est né au Maroc et est arrivé en Belgique à l'âge de trois ans. Il a d’abord travaillé comme fonctionnaire spécialisé en diversité et, depuis 2015, il gère avec son épouse une agence de communication qui conseille les entreprises belges et les multinationales qui souhaitent s’adresser aux populations d’origine étrangère. Lamrabat estime que les entreprises passent à côté de nombreuses opportunités. "La population allochtone devrait bientôt représenter 20% de la classe moyenne. De plus, son niveau de formation augmente. Résultat: le pouvoir d’achat moyen suit la même tendance et modifie les habitudes de consommation.
La population allochtone devrait bientôt représenter 20% de la classe moyenne.
Les anciennes générations dépensaient leur argent différemment des Belges. Par exemple, mes parents s’offraient peu de produits de luxe et de loisirs. Au contraire, les jeunes générations marocaines et turques achètent des produits de luxe, consacrent une partie de leur budget aux loisirs et investis sent dans leur maison." Le problème, c’est que les entrepreneurs ne semblent pas avoir pris conscience de ce changement ou, du moins, n’ont pas modifié leur offre pour répondre aux attentes de ce groupe-cible", constate Lamrabat. Les entrepreneurs ont-ils tendance à sous-estimer l’importance et le pouvoir d’achat de ce groupe? Ou ne savent- ils tout simplement pas comment s’adresser à lui?
Pour Lamrabat, c’est souvent la connaissance qui fait défaut. "Le nom de mon agence de communication, Tiqah, qui veut dire ‘confiance’ en arabe, n’a pas été choisi par hasard. La confiance est essentielle si l’on veut réussir dans l’ethnomarketing. Pour convaincre les consommateurs musulmans, la qualité du produit ne suffit pas. Ils ne prendront vos produits en considération que lorsqu’ils auront confiance en vous en tant que fournisseur." Ceux qui veulent gagner la confiance des consommateurs musulmans doivent savoir que ces derniers sont guidés dans leur choix par d’autres valeurs que les consommateurs belges. "Il ne suffit pas de proposer un produit qui soit bon, délicieux, amusant, luxueux ou d’un prix abordable. Il faut également qu’il soit conforme aux préceptes de l’islam. Il doit être ‘halal’, qui est une forme de label qui indique qu’il est autorisé. Le terme ‘haram’ au contraire, signifie qu’un produit est considéré comme nuisible par le Coran et donc interdit, comme l’alcool, la viande de porc, etc."
VERNIS À ONGLES
Proposer des produits et des services adaptés est une chose. Convaincre les consommateurs allochtones de les acheter en est une autre. Pour Lamrabat, la communication permet d’éviter les stéréotypes et de faire sentir aux consommateurs allochtones qu’ils sont les bienvenus. La chaîne de magasins Action en est un bel exemple. "Non seulement on y trouve une large gamme de produits halal à des prix intéressants, mais le port du foulard y est autorisé pour les vendeuses musulmanes. Cela permet à Action d’envoyer le signal que tout le monde est le bienvenu." Lamrabat recommande également d’éviter que les produits destinés aux musulmans soient spécifiquement présentés comme tels.
"Un bon exemple est le vernis à ongles Inglot. Il est idéal pour les musulmanes, car elles ne sont pas autorisées à utiliser des produits qui les empêchent de se nettoyer le corps à l’eau. Pourtant, Inglot ne présente pas ce vernis à ongles comme ‘spécialement conçu pour les musulmanes’: la marque se contente d’indiquer que le produit est perméable à l’air et à l’eau et donc parfait pour celles qui souhaitent garder des ongles en bonne santé." "Je constate aussi que les commerçants ont encore peur de présenter les produits halal parmi les autres", explique Lamrabat. "La plupart des grands magasins les regroupent dans des rayons séparés, parfois temporaires, voire même ‘exotiques’. Il vaut mieux intégrer ces produits dans le reste de l’assortiment et ne pas se limiter à des actions temporaires." Ensuite, poursuit Lamrabat, les musulmans se laissent moins séduire que les autres consommateurs par les beaux emballages. Cela vaut aussi la peine de se poser la question de la forme et de la taille des conditionnements proposés. "Les musulmans boivent beaucoup de thé et l’achètent en vrac: pourtant, les grands magasins proposent rarement du thé en vrac. Et les conditionnements habituels des olives (pour l’apéritif) sont souvent trop petits et trop chers pour les musulmans."
L’impact de cette publicité de bouche à oreille a augmenté avec les réseaux sociaux.
PUBLICITÉ
Un autre aspect à ne pas négliger: les consommateurs musulmans ne sont généralement pas fidèles à une marque, sauf si la qualité est confirmée par le bouche à oreille. "Les musulmans parlent davantage entre eux de leurs habitudes d’achat, non seulement parce qu’ils font souvent leurs courses en groupe, mais aussi parce qu’ils accordent beaucoup d’importance à l’opinion de leurs amis et de leur famille. L’impact de cette publicité de bouche à oreille a augmenté avec les réseaux sociaux." Cela ouvre de nombreuses possibilités pour une marque, comme l’a très bien compris la chaîne de magasins Wibra. Dasty, la marque la moins chère des produits pour la lessive de Wibra, contient un composant particulièrement efficace pour enlever les taches jaunes dues au curcuma, une épice largement utilisée dans la cuisine musulmane.
Wibra n’a jamais fait de publicité pour Dasty, mais dès que la propriété du produit a été connue au sein de la communauté musulmane, son chiffre d’affaires a littéralement explosé. D’après une enquête menée par Tiqah et bpost, la communauté allochtone est très réceptive aux dépliants publicitaires classiques et au direct mail. "Les dépliants publicitaires et les e-mails commerciaux sont plus populaires dans la communauté musulmane qu’auprès des Belges. Les musulmans discutent entre eux des promotions et l’impact des mails sur leurs choix de consommation est plus important que pour la moyenne des Belges. Par contre, toute ‘erreur’ dans un dépliant pourra tout aussi rapidement faire chuter le baromètre de la confiance. Si vous montrez des photos de mannequins masculins en sous-vêtements ou de jeunes filles en bikini, votre dépliant se retrouvera immédiatement dans la poubelle chez 50% des musulmans. Idem pour les dépliants qui proposent de la viande de porc ou qui font la promotion d’alcool."
ALIMENTATION
Lamrabat voit aussi de nombreuses opportunités dans le secteur alimentaire. "Pendant le ramadan, les musulmans jeûnent entre le lever et le coucher du soleil, mais, dès que la nuit est tombée, ils mangent copieusement. C’est aussi lors de cet événement annuel que les familles et les amis s’invitent mutuellement au point qu'un ménage musulman moyen dépense généralement trois fois plus que d’habitude pour l’alimentation. Si vous proposez quelque chose de spécial pour cette période en tant que fabricant ou commerçant, ce sera apprécié, mais la manière dont vous le communiquez doit être adaptée." "Concentrez-vous sur ce que le ramadan représente pour les musulmans et choisissez des illustrations qui présentent la réflexion, la fraternité et la persévérance. Si vous créez un stand spécifique pour le ramadan ou l’Aïd el-Fitr avec des faux palmiers, vous obtiendrez l’effet inverse. Les musulmans auront l’impression d’être considérés comme des étrangers et ne se sentiront pas les bienvenus."
Pour Lamrabat, le secteur de la mode recèle aussi son lot d’opportunités. Certaines marques (Mango et H&M) présentent des collections qui répondent aux règles du Coran en matière vestimentaire au moment du ramadan. "Chaque année, ces collections se vendent en moins de temps qu’il n'en faut pour le dire, mais, le reste de l’année, ces consommatrices musulmanes sont souvent négligées et elles ne se retrouvent pas dans la mode proposée. Ce serait le cas s'il y avait plus de diversité dans le choix des mannequins dans les étalages, les lookbooks et les publicités." Par ailleurs, les entrepreneurs peuvent aussi obtenir des résultats grâce à des petits aménagements. "Comme toutes les femmes, les musulmanes aiment aussi faire du shopping entre amies. Vous pouvez aménager votre boutique en tenant compte de ce ‘shopping social’, en proposant un endroit agréable où elles peuvent discuter entre elles d’un achat, en prévoyant des salons d’essayage plus grands où elles peuvent essayer des vêtements ensemble."
LES CONSEILS DE RACHID LAMRABAT AUX ENTREPRENEURS
o Proposez des produits adaptés auxmusulmans, mais ne les présentezpas explicitement comme tels.
o Proposez en permanence des produitshalal et intégrez-les au restede votre assortiment, au lieu de lesprésenter dans le rayon exotique.
o Prévoyez des conditionnementsdifférents et plus grands.
o Tenez compte du fait que le boucheà oreille joue un rôle très importantdans la communauté musulmane.
o Investissez dans des dépliantspublicitaires et dans le direct mail,mais utilisez le ton juste et desillustrations adaptées.
o Faites en sorte que tous lesconsommateurs se sentent les bienvenus.Quelques aménagementspratiques peuvent vous y aider.
o Soyez conscient que la confianceest capitale. On peut la perdrerapidement, mais il faudra beaucoupde temps pour la reconstruire.