Les achats durables sont plus qu’une manière de réduire l’impact d’une entreprise sur l’environnement: c’est une décision stratégique qui emporte les clients et les fournisseurs dans une dynamique favorable à l’innovation, la réputation et la fidélité.
La notion n’est pas encore établie, mais tout fournisseur devant répondre à des appels d’offre a déjà rencontré le terme "achats durables". De plus en plus d’entreprises y prennent les critères qui fixent leurs exigences en matière d’environnement et de politique sociale. Ces critères ont ensuite un impact plus ou moins important sur l’attribution du marché.
Un service d’achats durables demandera, par exemple, de ne fournir que des produits portant certains labels écologiques ou exigera de collaborer avec des organisations d’économie sociale. Les entreprises peuvent franchir un pas supplémentaire en imposant que les produits ou matières premières livrés soient intégralement recyclables ou repris par le fournisseur. On parle alors d’achats circulaires.
Le service des achats est un département stratégique. Vu la tendance à l’externalisation, les acheteurs gèrent un budget qui peut atteindre 80% du chiffre d’affaires. Ils sont un point névralgique dans les relations entre les clients et les fournisseurs. La décision d’adopter les achats durables circulaires n’est jamais prise isolément.
Innovation
"En effet, c’est une décision stratégique qui n’a de sens que si elle s’inscrit dans une politique de développement durable qui implique tous les départements et toutes les parties prenantes", explique Sabine Denis, directeur de Business&Society, le réseau des entreprises socialement responsables. "Louer des meubles de bureau au lieu de les acheter exige d’adapter le budget d’entretien et d’achat." Il faut également collaborer avec les fournisseurs. "L’offre doit être lisible. Dès lors, il est utile de voir avec les fournisseurs si les critères sont réalistes. Ce sont de nouveaux marchés: il arrive qu’un seul fournisseur réponde aux critères."
Acheter, c’est choisir un certain niveau de qualité. Par son poids, le service des achats peut jouer un rôle plus important dans la création de valeur. Et même favoriser l’innovation. "Il y a quelques années, les pouvoir publics ont imposé des critères écologiques très stricts sur la papeterie et le matériel scolaire. À l’époque, nous craignions qu’ils ne soient pas tenables", explique Jo Versteven de l’Institut fédéral pour le Développement durable. "Aujourd’hui, les fournisseurs parviennent à avoir du papier qui répond à ces exigences: ils ont même déclenché une vague d’innovations constantes."
Fidélité des clients
L’avantage concurrentiel que peuvent tirer les entreprises de cette innovation n’est que l’un des nombreux avantages des achats durables. Les entreprises pour qui les déchets représentent un poste au coût élevé y trouveront un avantage financier. La publication de chiffres sur les réductions d’émissions de CO2 et de déchets est excellente pour la réputation d’une entreprise. Et la relation avec les clients et les fournisseurs peut aussi en bénéficier. "Cela renforce la fidélité des clients", explique Sabine Denis. "L’entreprise à laquelle nous louons nos chaises de bureau passe chaque année pour un entretien. La probabilité que nous nous adressions à elle pour l’achat suivant est donc plus grande."
La grande crainte des PME est que les nouvelles règles entraînent des charges administratives supplémentaires. Elles sont injustifiées, constate-t-on sur le terrain. "Les entreprises choisissent elles-mêmes quels critères elles font figurer dans leurs appels d’offre. Cela ne demande qu’un certain apprentissage", explique Sabine Denis. "Plusieurs départements sont impliqués et les contrats doivent être adaptés ici et là: une formation peut donc être nécessaire."
Pour autant, cela ne doit pas effrayer les PME. "C’est plus facile pour les petites entreprises, parce que les distances entre les départements sont réduites et que le sommet est très proche de la base. Et, comme les grandes entreprises, les PME peuvent tirer profit d’une politique d’achats durables si elle leur permet de se démarquer de la concurrence ou de fidéliser leurs clients."
Grâce à cette relation entre clients et fournisseurs, les achats durables pourraient arriver plus vite qu’on ne le pense au menu d’un dirigeant. "La plupart des entreprises sont à la fois clientes et fournisseurs. Les appels d’offres assortis de critères durables sont de plus en plus nombreux. Les entreprises doivent juste suivre l’évolution. C’est une question de survie."
Empreinte écologique
Des entreprises comme PMC-Holding sont l’exemple-type de la réaction en chaîne que peut déclencher le développement durable. Lors de sa création, en 1997, le petit groupe familial basé à Vilvoorde était une entreprise de déménagement de bureaux. À la demande de ses clients, elle a rapidement étendu ses activités: d’abord un bureau d’études responsable de la coordination des déménagements, puis une division qui prend à son compte la gestion logistique et, enfin, un département de gestion de projets qui assure l’ensemble de l’aménagement des bureaux. "Déménager, c’est vider et jeter 20%. Avant on emportait une grande quantité de meubles, mais aujourd’hui, le déménagement est de plus en plus synonyme de réaménagement global", explique Didier Pierre, administrateur délégué de PMC-Holding.
1re phase: analyser
- Comprenez et déterminez vos objectifs
- Évaluez votre chaîne d’approvisionnement et vos achats
- Réalisez une analyse des risques
- Collectez des informations sur les principaux risques
2e phase: développer
- Élaborez une politique de chaîne responsable sur base de critères propres
- Travaillez en concertation avec l’équipe des achats
3e phase: implémenter
- Intégrez la responsabilité sociale dans le processus d’approvisionnement
- Collaborez avec vos fournisseurs
- Collaborez avec vos clients pour boucler la boucle
4e phase: mesurer et communiquer
- Mesurez les résultats et communiquez-les à l’extérieur
(*source : Guide pratique “Sustainable purchasing and supply chain management”, Business&Society, 2012)
Titillé par ce qu’il avait lu sur le changement climatique, Pierre a fait évaluer l’empreinte écologique de son entreprise en 2005. "Cette mesure a révélé que nous pouvions réduire notre consommation d’énergie et notre production de déchets en encourageant le recyclage".
Ce constat a débouché sur la création d’une nouvelle division dans l’entreprise: un atelier de fabrication de meubles où l’on réaffecte les vieux meubles de bureau, Nearly New Office Facilities (NNOF) qui se base sur le souhait du client. "S’il prévoit des chaises de bureau noires, nous allons recycler les chaises existantes. Mais nous pouvons éventuellement remplacer la garniture, les roulettes ou la pompe", explique Didier Pierre.
On peut également choisir de réutiliser des pièces sans modifier leur fonction. Et d’anciens éléments sont parfois intégrés dans un meuble ayant une tout autre affectation. "Une armoire et un coussin peuvent devenir une chaise, des pieds de table peuvent être intégrés dans une étagère, un meuble à tiroirs peut être transformé en vestiaire. Le résultat est un meuble neuf."
Des chercheurs de l’Université de Liège et de la TU Delft ont réalisé une analyse du cycle de vie des nouveaux produits. Ils ont constaté que NNOF permettait de réduire les émissions de CO2 et la consommation de matières premières de 70 à 80%. Plus de 80% des "meubles de sol" viennent des clients, qui sont ainsi libérés des problèmes logistiques et des déchets. L’entreprise n’achète que les produits de la couche finale, comme la peinture, les tissus et le laminé. Ceux-ci sont, de préférence, produits localement et recyclables.
"Les clients participent à la décision. La plupart sont sensibles à l’aspect environnemental, mais c’est le prix de revient qui est déterminant."
Principal obstacle? Les achats durables ne sont pas encore totalement intégrés. "Aujourd’hui, chaque entreprise a une charte de responsabilité sociale. Pour nous, c’est pratique, car c’est en quelque sorte un marchepied. Mais, lorsque nous rencontrons les acheteurs, c’est souvent pour constater que seul le prix compte", explique Didier Pierre. Une taxe CO2 rendrait le marché plus honnête. "Au sens strict, les meubles chinois sont moins chers. Mais, si l’on intègre les émissions au coût total, ce n’est plus le cas: une taxe CO2 relancerait la production locale."
La transformation d’une simple société de déménagements en une entreprise logistique diversifiée a également exigé la refonte de sa politique de recrutement. "Nous avions besoin d’ouvriers qui avaient avec un profil technique mais qui soient également capables d’établir un inventaire ou de réparer des meubles détériorés."
Pour NNOF, le marché du travail a beaucoup de potentiel. Didier Pierre ajoute: "Prenez les demandeurs d’emploi senior. Non seulement ils ont beaucoup d’expérience, mais ils ont également grandi dans une culture du recyclage et de la réparation."
Malgré la pression sur les prix, l’entreprise est parvenue à quadrupler son chiffre d’affaires ces deux dernières années, passant de 850.000 euros en 2013 à 4 millions d’euros. "Heureusement, nous sommes moins chers que le neuf. À intervalles réguliers, nous concevons un nouveau service et nous le testons sur un groupe de clients intéressants. Parallèlement, nous devenons de plus en plus durables. En interne, mais aussi en externe, parce qu’un nombre croissant de clients adhèrent à notre philosophie."