Le reporting financier est trop souvent considéré comme une obligation administrative fastidieuse. Le département financier doit idéalement se muer en un business partner qui apporte une valeur ajoutée à toutes les parties prenantes, internes et externes. Martine Blockx, Nicolas Valette et Koen Van Haudt, trois spécialistes d’EY, en expliquent le comment et le pourquoi.
Quels sont les principaux défis du reporting financier ?
Blockx : La crise a accru la nécessité d’un reporting fiable. La pression des parties prenantes externes s’accroît, chacun souhaite avoir une idée claire du fonctionnement de l’entreprise. Les banques et les investisseurs, surtout, se montrent de plus en plus exigeants. Ils demandent souvent des rapports mensuels, des modèles d’affaires détaillés et des prévisions. Les entreprises qui ont besoin de liquidités pour financer leur croissance ont donc tout intérêt à disposer d’un reporting robuste. L’affinage des procédures peut cependant représenter une énorme quantité de travail. Sans oublier, bien entendu, les actionnaires qui cachent de moins en moins leur volonté de disposer d’informations fiables, mises à jour fréquemment.
Van Haudt : La nécessité d’un reporting de qualité s’accroît également au niveau interne, même si ces exigences diffèrent selon la taille de l’entreprise et la nature de ses activités. Dans bien des cas, les marges sont sous pression depuis la crise. Or, dans le secteur bancaire et du retail particulièrement, il faut pouvoir suivre votre clientèle de très près. L’action d’un concurrent ou l’apparition d’un nouveau produit peut imposer une réorientation stratégique à très court terme. Le management doit donc pouvoir réaliser une analyse rapide de la situation présente.
Reporting quotidien
Comment les CFO gèrent-ils cette pression ?
Valette : Une enquête menée dans le cadre de notre dernier baromètre CFO (pour le baromètre CFO complet relatif au reporting, voir www.cfobarometer.be) révèle que la plupart des entreprises sont relativement satisfaites de leur reporting quotidien. Toutefois, j’ai quelques doutes concernant cet optimisme. Dans la pratique, nous sommes trop souvent confrontés à un reporting sous-optimisé.
Van Haudt : Les entreprises cotées en Bourse peuvent également perdre le contrôle de leur reporting. Voyez par exemple Imtech, un prestataire de services techniques coté sur Euronext Amsterdam. Son action s’est effondrée en raison de problèmes concernant la filiale active en Allemagne et en Pologne. L’identification et la communication tardives des problèmes ont entraîné une chute du cours de l’action et une rupture de confiance. Outre le fait que ces événements ont mené Imtech au bord de la faillite, le rétablissement de la confiance va nécessiter un investissement significatif.
Blockx : J’ai récemment aidé une plus grande entreprise qui voulait comprendre la perte enregistrée dans une de ses filiales, dans son rapport trimestriel. Les processus en place n’étaient en fait pas prévus pour capter les résultats de la filiale en question de manière suffisamment rapide et détaillée. Ils ont donc été incapables de répondre à leurs actionnaires.
Van Haudt :Ne faites pas aveuglément confiance à vos systèmes. Vous devez régulièrement prendre de la distance par rapport au reporting existant et analyser de manière rationnelle si les processus et le reporting existants contiennent bien les informations indispensables àvotre pilotage. À l’inverse, nous observons, surtout dans de plus grandes organisations, plusieurs ressources dédiées au reporting d’informations au final jugées superflues ou redondantes entre départements.
Valette : Souvent, on constate un manque de focalisation. On mesure de trop grandes quantités de paramètres, et on perd de vue ce qui compte vraiment. D’autant qu’une telle recherche d’exhaustivité consomme énormément de temps et d’énergie. Conséquence ? Des données qui ne sont pas fiables ou sont disponibles trop tard. De plus, le temps peut alors manquer pour prendre le recul nécessaire et les analyser de manière suffisamment précise.
La pression s’accroît-elle également sur les entreprises de taille inférieure ?
Valette : Un nombre croissant d’entreprises non cotées en Bourse doivent également expliquer leurs résultats et perspectives à des parties externes. Lorsque de nouveaux investis seurs font leur entrée dans le capital, ils ont souvent des exigences très strictes par rapport aux indicateurs dont ils veulent disposer et à la fréquence à laquelle ceux-ci doivent leur être communiqués. Pour des entreprises familiales, cela peut exiger un énorme changement de mentalité.
Processus et outils
Quel regard portez-vous sur les nouveaux processus de reporting ?
Blockx : Le management doit procéder à un exercice stratégique, destiné à définir ses objectifs et ce qu’il souhaite mesurer. Il peut également identifier les autres parties prenantes, afin de déterminer les indicateurs qui doivent être mesurés pour eux. On ne peut imaginer la phase d’implémentation que lorsque l’on a une idée claire des indicateurs à suivre. Dans cette phase d’implémentation, on veillera à l’alignement des KPI aux données comptables, à l’optimisation du processus de production des données, à l’harmonisation des systèmes informatiques afin d’obtenir des données cohérentes, etc. Il arrive fréquemment que l’on consacre trop peu d’attention à la phase de conception, ou que l’on perde le concept initial de vue lors du trajet d’implémentation.
Valette : Depuis peu, certaines entreprises cotées en Bourse ne sont plus tenues de publier un rapport trimestriel. De nombreuses entreprises ont accueilli favorablement cette évolution, parce qu’elles estiment ces tâches administratives étouffantes et préfèrent se concentrer davantage sur le long terme. Elles perdent souvent de vue le fait qu’un reporting régulier est la seule manière de maintenir les (petits) actionnaires externes informés de leurs heurs et malheurs. Je trouve que l’argument de la surcharge administrative n’est pas pertinent. Pourquoi serait-il si difficile de fournir ces informations ? Le management a besoin de ces chiffres a priori sur base mensuelle. Les traduire pour un public un peu plus large n’est pas une tâche astreignante outre mesure.
Qu’en est-il des outils techniques qui soutiennent ce reporting ?
Blockx : Les outils utilisés ne sont qu’une partie du problème. La gestion des processus est beaucoup plus déterminante. Pour autant, la collecte de données constitue parfois un problème pour les plus petites entreprises qui n’ont pas la taille requise pour implémenter un système ERP complet. Souvent, les données doivent alors être collectées manuellement, avec toutes les conséquences que cela implique en termes de qualité d’information.
Van Haudt: Aujourd’hui, un certain nombre de solutions sont disponibles dans le cloud. Ce peut être utile pour les entreprises de taille moyenne. Les grands fournisseurs de solutions ERP proposent aujourd’hui des applications dans le cloud, de sorte que les entreprises n’ayant pas encore la taille suffisante pour supporter le lourd investissement d’un système ERP complet puissent tout de même disposer d’une solution ERP. Pour notre clientèle, l’impact de ces solutions est encore réduit à ce stade, mais cette tendance est vouée à se développer à l’avenir. Les services basés sur le cloud peuvent également apporter une solution pour les plus petites entreprises. Hélas, les coûts sont généralement encore trop élevés. Et c’est précisément sur ces petites entreprises, souvent familiales, que s’accroît la pression exercée notamment par les banques et autres bailleurs de fonds externes, qui souhaitent des informations complémentaires.
Valette : Les Big Data constituent une autre tendance. L’importance des Big Data est cependant limitée à un profil donné d’entreprise. Dans les secteurs où l’on collecte de grandes quantités de données sur les clients, comme dans le secteur financier et dans le secteur " retail ", il est possible de les utiliser pour réorienter sa stratégie et fonder son approche commerciale. Les entreprises qui ont un caractère plus industriel ou dont les activités sont davantage axées sur des projets ont moins besoin d’intégrer de grands volumes de données dans leur reporting.
Quel est l’impact de la tendance à la responsabilité sociale des entreprises ?
Valette : On demande de plus en plus de reporting sur des données non financières. Aujourd’hui, même des entreprises de taille moyenne publient leurs scores de satisfaction des clients. Parmi les multinationales, de plus en plus d’entreprises choisissent un reporting entièrement intégré. Les indicateurs environnementaux et sociaux ne sont plus réduits à la portion congrue. Ils sont publiés avec les informations financières, et ont un impact sur le calcul du bonus de manager.
Blockx : La manière dont les données non financières sont collectées et analysées peut être très différente. Elles nécessitent une modification des systèmes et procédures, ce qui consomme beaucoup de temps et d’énergie. Ces tâches sortent du domaine d’expérience des départements financiers traditionnels. Il leur est alors indispensable de collaborer avec d’autres départements. Un département HSE (Health, Safety & Environment) devrait avoir une bonne idée des KPI à suivre dans son domaine de compétence. Grâce à son expérience en la matière, le département financier pourra l’aider à mettre sur pied les processus de reporting nécessaires à une collecte efficace des données nécessaires.
Acquisitions
Le reporting est très complexe lors des acquisitions. Comment le CFO peut-il le gérer ?
Valette : Les problèmes peuvent avoir de nombreuses origines. Souvent, il est nécessaire d’intégrer des outils et des processus de reporting totalement différents. Parfois, on est confronté à des normes comptables différentes. Il arrive aussi que les KPI surveillés par la cible soient difficilement transposables à ceux du repreneur potentiel. L’intégration n’est pas non plus facile en ce qui concerne la collecte de données. Vous êtes confrontés à une autre culture, à un autre niveau de maturité du département financier. Le temps constitue un facteur important : il faut intégrer le plus rapidement possible l’entreprise rachetée dans le groupe afin de réaliser les synergies – c’est le défi à relever. Vous devez donc pouvoir intervenir rapidement en cas de problème d’intégration. La nécessité d’un reporting rapide et précis est particulièrement importante dans de tels cas de figure.
Van Haudt : Souvent, les problèmes commencent à se poser après l’acquisition. Pendant la phase de due diligence, le département financier consacre traditionnellement beaucoup de temps à la livraison d’informations financières. Dès que l’acquisition est bouclée, d’autres départements reprennent l’initiative et l’accent est placé sur l’intégration des opérations. Les problématiques de processus et de système apparaissent alors que certaines auraient pu être identifiées lors de la phase de DD.
Blockx : Une grande partie des acquisitions ne permettent pas d’obtenir les synergies visées, souvent à cause d’une intégration lacunaire du reporting. Demandez-vous à temps comment harmoniser suffisamment rapidement le fonctionnement de deux entreprises qui suivent potentiellement la performance différemment et utilisent des procédures et des systèmes différents.
Van Haudt : J’ai accompagné une acquisition où les deux entreprises utilisaient le même logiciel ERP, mais avec des processus de reporting totalement différents. Il a fallu six mois pour que les processus soient affinés et que les chiffres révèlent les problèmes : trop tard pour réaliser la synergie prévue.
Business partner
Le reporting est souvent considéré comme un mal nécessaire. Est-il possible de changer cette vision des choses ?
Valette : Le reporting doit être une responsabilité partagée. Tous les départements de l’entreprise doivent apporter leur pierre à l’édifice. Sans une bonne collaboration, les informations présentes dans les rapports ne seront pas correctes, et le processus accusera un retard. Une combinaison de facteurs qui mène irrémédiablement à la prise de mauvaises décisions.
Blockx : Le département financier doit se concentrer sur la création de valeur ajoutée pour toute l’entreprise. Il a intérêt à automatiser ou externaliser les tâches répétitives. Il pourra alors se focaliser sur le support des processus décisionnels des différents départements de l’entreprise. C’est possible grâce à un reporting de qualité, des analyses sur mesure et des contrôleurs proches du business. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.