“Au cours du processus de sélection, il arrive trop souvent que des candidats soient rejetés ou engagés pour de mauvaises raisons”, déplore Stephan Soens, Partner chez Accord Group, une société de conseil en leadership. “Les affinités culturelles entre un candidat et un employeur potentiel et la plus-value qu’une personne peut apporter à l’entreprise sont bien plus importantes que l’expérience ou les compétences qui ont fait l’objet de tests psychométriques. Malgré tout, nous utilisons encore à l’excès les concepts et méthodes traditionnels, même s’ils ne nous apportent tout au plus qu’un faux sentiment de sécurité.”
La relation entre un travailleur et son employeur est très différente de ce qu’elle était il y a 20 ans. Pourquoi?
“Plusieurs tendances ont contribué à cette évolution. Tout d’abord, la plupart des entreprises et organisations ont nettement gagné en complexité. Elles ne peuvent plus se contenter de proposer un produit, de préférence avec une valeur ajoutée pour le client: elles doivent être pertinentes d’un point de vue sociétal et sur le plan de la durabilité. En conséquence, elles placent la barre plus haut en matière de recrutement ou, du moins, exigent d’autres qualités que la simple capacité à suivre le rythme et à être productif. Le degré d’autonomie et d’interaction demandé aujourd’hui pour faire face à l’augmentation de la complexité a grimpé en flèche. En outre, les employés s’attendent de plus en plus à ce que leur travail ait un purpose: comment faire en sorte que mon travail ait du sens pour moi? À cause de l’amélioration du bien-être, un nombre croissant d’employés ne considèrent plus leur travail uniquement comme une source de revenus, mais aussi comme une source potentielle d’épanouissement et de réalisation personnelle. Un environnement où ils peuvent réaliser certains rêves, voire contribuer à la transformation de notre société. Sous l’influence de tous ces facteurs, le contrat de travail évolue vers une forme de partenariat.”
Au cours du processus de sélection, il arrive trop souvent que des candidats soient rejetés ou engagés pour de mauvaises raisons.
Comment les entreprises peuvent-elles réagir à ces tendances au cours du processus de recrutement?
“Le contrat psychologique avec l’employeur gagne sans cesse en importance, tandis qu’on parle de moins en moins des employés comme étant des subalternes. Cette ‘subordination’ a fait place à la ‘participation’ afin de réaliser des ambitions partagées. Les employeurs doivent réfléchir aux relations de travail et à la répartition de la valeur: comment mesurer le prix d’un employé – encore très souvent considéré comme un coût – par rapport à la valeur ajoutée qu’attendent les actionnaires? Tout commence bien entendu par une politique de sélection et de recrutement appropriée. Lorsqu’il n’existe pas d’emblée une adéquation suffisante entre l’identité d’un candidat, la culture de l’entreprise et la complexité des défis, il est plus que probable que l’entreprise décidera après six mois qu’il n’existe aucune réelle affinité entre les deux parties. Les entreprises doivent dès la première phase du recrutement examiner avec plus d’attention l’identité des candidats: ce qu’elle représente, ce que la personne attend de son travail, le niveau de complexité auquel le candidat peut répondre. Les employeurs considèrent fréquemment les employés d’un point de vue purement hiérarchique: je propose un travail et je cherche quelqu’un capable de le réaliser de manière aussi efficace que possible. Les entreprises qui se basent encore sur des tests de raisonnement classiques ou des exercices comportementaux au lieu de partir du cadre de valeur, des attentes et du potentiel d’un candidat, sont malheureusement légion. Nous nous appuyons trop souvent sur les concepts et méthodologies traditionnels, même s’ils ne nous apportent tout au plus qu’un faux sentiment de sécurité.”
Avez-vous l’impression que les entreprises ont compris la nécessité de changer leur approche?
“Certainement. Nous nous situons à un point de basculement. Si une entreprise a compris qu’elle devait changer, notre tâche est de rendre ces changements possibles. Cela exige bien entendu davantage d’empathie: à l’heure actuelle, les employeurs ne peuvent plus se contenter de quelques critères superficiels et statiques sur une échelle linéaire; ils doivent identifier la dynamique, les émotions sous-jacentes, les valeurs et le niveau de conscience d’un individu, et s’assurer que ces dimensions correspondent à celles de l’entreprise.”
Comment mesurer le prix d’un employé – encore très souvent considéré comme un coût – par rapport à la valeur ajoutée qu’attendent les actionnaires?
Que signifie tout ceci pour vous, chasseurs de têtes, en particulier au moment où une nouvelle guerre des talents s’annonce, notamment pour les fonctions de cadre exécutif?
“L’individualisation grandissante de notre société a beaucoup fait évoluer notre métier. Nous tentons de nous identifier autant que possible à l’employeur pour fournir aux candidats un maximum d’informations sur la culture de l’entreprise et sur la valeur ajoutée qui sera attendue de leur part. Ce n’est qu’ensuite que nous pouvons déterminer s’il existe une adéquation entre les deux parties. C’est là que se situe notre principale valeur ajoutée. Au même moment, nous essayons de fournir à l’employeur des informations aussi correctes et approfondies que possible sur la dynamique personnelle d’un candidat et sa valeur ajoutée potentielle. Quel est le contexte idéal pour qu’il ou elle puisse apporter une vraie contribution? Et inversement, qu’est-ce qui pourrait faire obstacle à une adéquation optimale? Pour y parvenir, nous travaillons sur trois niveaux: l’orientation mentale, les valeurs et le comportement. Nous cherchons un équilibre entre les ambitions de l’entreprise et celles de l’individu. Dans l’intérêt des deux parties. Auparavant, les chasseurs de têtes se basaient surtout sur les capacités et les compétences nécessaires pour assumer la fonction, et les candidats devaient tout simplement s’y adapter. Depuis lors, nous avons appris que, si les valeurs ne sont pas suffisamment proches et que la complexité de la fonction est trop ou pas assez importante, il ne pourra jamais y avoir une bonne adéquation à long terme, car les points de friction seront trop nombreux.”
La question-clé est donc: les entreprises sont-elles suffisamment conscientes des valeurs qu’elles défendent?
“Pas toujours, mais nous les y aidons. Que représente l’entreprise? Comment offre-t-elle de la valeur ajoutée à ses clients? Où en est le secteur et comment évolue-t-il? Au final, quelle est la complexité du défi à relever?”
Les employeurs considèrent fréquemment les employés d’un point de vue purement hiérarchique: je propose un travail et je cherche quelqu’un capable de le réaliser de manière aussi efficace que possible.
Dans nos sociétés occidentales, les intérêts des individus, leur recherche d’autonomie et l’expression individuelle s’imposent peu à peu. Quel sera l’impact de ces tendances sur le marché de l’emploi?
“Je m’attends à ce que les contrats de travail classiques cèdent la place à d’autres formes de collaboration – par exemple sur la base de contrats de freelance – qui permettent également aux employés de réaliser leurs objectifs individuels dans un contexte professionnel. Aujourd’hui, la plupart des employeurs optent pour des contrats avec des indépendants à cause de leur flexibilité et de leur caractère temporaire, mais à terme, d’autres motifs seront de plus en plus pris en compte. Les employeurs les plus performants seront ceux qui, d’une part, offriront à leurs collaborateurs de s’épanouir pleinement, et d’autre part, recruteront des employés capables d’apporter une valeur ajoutée maximale. Notez bien qu’il n’y a aucun mal à ce que les employés soient parfaitement heureux s’ils peuvent travailler 38 heures par semaine sans perdre le sommeil à cause de leur développement personnel. Plus encore, cela peut être une forme d’objectif! Mais l’époque où l’on pouvait mettre tous les employés dans le même panier est définitivement révolue.”