Les entreprises ne peuvent plus se contenter de penser uniquement aux produits et services destinés à leurs clients. Elles doivent aussi accorder de l’attention à leur purpose – leur raison d’être, le sens de leur activité – et à leur pertinence sociale. Cela ne facilite pas le travail des dirigeants, prévient Fabiaan Van Vrekhem, président de Valpeo et d’Accord Group, qui nous parle de la recherche de bons dirigeants. “De moins en moins de patrons sont aujourd’hui capables de gérer la complexité croissante de la réalité.”
Les organisations sont confrontées à des attentes de plus en plus complexes de la part de leurs parties prenantes. Il suffit pour s’en convaincre de lire le rapport rédigé par McKinsey sur le purpose des organisations, ou le Global Risks Report 2022 du Forum économique mondial. Ils évoquent la problématique environnementale mais aussi de nouvelles tendances comme l’intérêt grandissant pour la cohésion, tant sociale qu’au sein des organisations. “Il ne suffit plus de réfléchir aux produits et services susceptibles de servir au mieux les clients”, estime à ce titre Fabiaan Van Vrekhem.
Quelle évolution constatez-vous dans la façon dont les entreprises proposent leurs produits et services?
“La révolution industrielle a permis aux entrepreneurs de produire à grande échelle, tandis que les consommateurs étaient heureux d’avoir accès à davantage de produits. La segmentation des produits est née aux alentours de 1930. Elle avait pour objectif de mieux faire coïncider les produits et services avec les besoins des clients et le contexte dans lequel ces produits et services étaient utilisés. La segmentation a envahi le marché, ce qui fut très ‘disruptif’. Mais dans les années 1980, il ne suffisait déjà plus de miser sur certains segments: il a fallu s’intéresser aussi au ressenti généré par un produit.
La customer experience et la symbolique des marques ont gagné en importance. Tout l’art consistait à conquérir le cœur des clients. Et pour faire la différence, il était devenu indispensable de s’intéresser à leurs émotions. Dans les années 1990 et 2000, une nouvelle tendance est apparue: miser sur le lifestyle. De nouveaux produits modifiant profondément notre façon de vivre ont fait leur apparition sur le marché, comme ceux d’Uber, Nespresso et Apple: ils ont créé un nouveau style de vie. Il ne faut plus une demi-heure pour se préparer un café. Et vous trouvez le taxi le plus proche grâce à une simple app.”
Sur quels domaines les entreprises se concentrent-elles en ce moment?
“Lors de nos discussions avec nos candidats, nous cherchons à identifier le nombre de dimensions de la réalité qu’ils peuvent expérimenter.”
“Au cours de la décennie écoulée, les organisations sont surtout parties à la recherche de leur ‘raison d’être’ et de leur pertinence sociale. Après le changement de siècle, la concurrence au sein des industries s’est déplacée vers la concurrence avec les nouvelles industries. Les nouvelles sciences ont autorisé le développement de nouvelles industries dotées d’un impact sur le purpose des secteurs traditionnels. Je pense ici à Airbnb. Par ailleurs, des évolutions sociales ont modifié les normes éthiques. L’attention portée au développement durable et aux critères ESG est montée en puissance.
Désormais, on attend des organisations qu’elles offrent un ‘plus’ à la société sans lui porter préjudice. Qu’on le veuille ou non, la course au ‘net zéro’ se retrouvera bientôt à l’agenda de tous les conseils d’administration qui souhaiteront que leur entreprise reste pertinente, et imposera des exigences inédites à ceux qui souhaitent se profiler en tant qu’administrateurs.”
Qu’est-ce que cela signifie pour les leaders actuels?
“À la suite des évolutions de la dernière décennie, on attend d’eux qu’ils réfléchissent en profondeur à la façon dont ils peuvent créer de la valeur pour la société. De nombreux dirigeants y parviennent et amènent leur organisation à ce niveau supérieur. Mais leur vie n’en est pas facilitée pour autant. Ils se sentaient déjà seuls au sommet… et ils sont encore plus seuls. Car de moins en moins de personnes sont en mesure de gérer une telle complexité et de tels changements.”
Quel est l’effet de cette évolution sur la recherche du leader du futur?
“Traduire la complexité croissante en stratégie et mobiliser ensuite l’ensemble du personnel exige d’immenses qualités.”
“L’expérience et un CV solide restent un must, bien sûr. Mais il est ici question d’un changement de paradigme fondamental, car la capacité des candidats à gérer la complexité est devenue au moins aussi cruciale. Cela signifie que vous devez comprendre dans quelle mesure un candidat est conscient de ce qui se passera dans l’avenir au plan sociétal et dans quelle mesure il saura l’anticiper. L’expérience doit être complétée par ‘la capacité à vivre quelque chose qui ne s’est pas encore produit’. Et ce quelque chose devient de plus en plus complexe.”
Pourquoi est-il tellement difficile de trouver ces leaders?
“Les leaders doivent disposer de nombreuses compétences pour faire face à la réalité d’aujourd’hui. C’est pourquoi il n’est pas facile de trouver le bon profil. Vous ne pouvez pas vous fier uniquement aux ‘lettres de noblesse’ du passé. Traduire la complexité croissante en stratégie et mobiliser l’ensemble du personnel autour de cette stratégie exige d’immenses qualités.”
Comment Valpeo relève-t-il ce défi?
“Nous regardons au-delà du CV et du comportement des candidats. Nous essayons de comprendre l’origine de ces comportements et pourquoi une personne réussit ou échoue. Nous pouvons ainsi mieux connaître la personne, ses valeurs et la façon dont elle est capable de s’adapter à ce qui l’entoure, et, partant, mieux prédire quelle sera sa valeur ajoutée pour l’organisation.
Nous aidons en outre les dirigeants à comprendre le pourquoi de leur entreprise et son environnement. Sont-ils là pour optimiser le système, pour créer une nouvelle expérience ou pour bâtir une nouvelle identité? Il existe une différence fondamentale entre faire en sorte que l’on investisse demain dans des panneaux solaires et revoir le modèle d’exploitation dans le contexte de la nouvelle réalité ‘net zéro’.”
“Les leaders se sentaient déjà seuls au sommet… et ils sont encore plus seuls aujourd’hui.”
Comment procédez-vous très concrètement?
“La base de notre travail consiste à avoir une discussion approfondie avec nos candidats sur le nombre de dimensions de la réalité qu’ils peuvent expérimenter, en particulier leur capacité d’abstraction et de conceptualisation des évolutions futures. Bien entendu, nous examinons également les affinités culturelles entre le candidat et l’entreprise, ainsi que ses compétences en leadership. Être capable d’anticiper la complexité croissante est une chose; mobiliser une entreprise dans son ensemble autour de la même ambition en est une autre! Nous cherchons ensuite une adéquation entre le candidat et l’entreprise. Tous les associés de Valpeo appliquent cette méthode de travail au niveau mondial.”
Quelle est la théorie qui fonde votre approche?
“Nous nous appuyons sur plusieurs théories, notamment celle de Mahrer, qui explique comment les personnes se créent des mondes symboliques. Elliott Jaques montre comment la complexité évolue et comment les personnes abordent cette complexité sur le plan cognitif. Sans oublier la théorie de Robert Kegan de Harvard, qui parle des niveaux de conscience des personnes et de leurs gradations. Du côté des valeurs, nous nous tournons vers la théorie de Shalom Schwartz, qui a consacré sa carrière à l’identification des valeurs universelles de l’homme.
“Un vrai leader doit être capable de ‘vivre’ quelque chose qui ne s’est pas encore produit.”
Il s’agit ici de valeurs que l’on acquiert dans toutes les cultures, qui sont présentes dès la naissance et grandement influencées par l’environnement dans lequel la personne grandit. Pour la personnalité, nous utilisons le Big Five, parce que cette méthodologie est la plus reconnue dans le monde lorsqu’il s’agit des caractéristiques de base de la personnalité. Réfléchir et comprendre comment les gens pensent, ce qu’ils ressentent et pourquoi ils se comportent de telle ou telle manière, est au cœur de notre modèle. Il permet de déterminer ce dont ils sont et seront capables, aujourd’hui et demain.”
À qui les CEO peuvent-ils s’adresser pour obtenir des conseils?
“Lorsque je rencontre une personne dotée d’un niveau de conscience élevé et capable d’anticiper les évolutions sociétales, je lui demande toujours: qui pourrait vous inspirer? Les leaders ont surtout besoin de rencontrer des personnes qui partagent les mêmes idées et avec lesquelles ils peuvent échanger à un niveau plus profond. Non seulement sur la façon dont ils peuvent construire l’expérience ultime pour leurs clients ou leurs collaborateurs, mais aussi sur la manière d’anticiper les grandes tendances qui auront un impact sur leur industrie ou leur secteur.
Or, le nombre de ‘sparring-partners’ diminue au fur et à mesure que la complexité augmente. Ceux qui souhaitent connaître l’étendue de leur propre appétence pour la complexité et bénéficier d’une meilleure compréhension de leur propre cadre de valeurs et de leurs qualités de leader, peuvent s’adresser à nos associés accrédités. Le développement personnel commence souvent par une prise de conscience de ce dont on ne tient pas compte.”