De physique à digitale, de formelle à informelle, d’orientée “contenu” à orientée “contexte”: chez Cefora, la formation professionnelle évolue à grande vitesse. Pour l’entreprise comme pour l’employé, l’enjeu est de rester agile dans un monde en changement permanent.
Dirigeants et employés ont-ils tous pris conscience de l’importance de l’apprentissage tout au long de la vie?
Gisèle Dedobbeleer (en charge de la communication RH chez Actiris et administratrice de l’ASBL Epsilon, association des professionnels de la formation en Belgique francophone): “Il est vrai que, même si le concept du lifelong learning existe depuis longtemps, beaucoup d’organisations l’ont considéré comme moins stratégique que d’autres aspects de la politique RH et organisationnelle. D’ailleurs, du côté des entreprises, c’était parfois un des premiers budgets à diminuer en cas de restriction budgétaire. Depuis une quinzaine d’années cependant, il est monté en puissance, et le Covid a encore accéléré les choses. Une grande majorité de CEO sont désormais conscients qu’il est essentiel d’investir constamment dans les compétences des collaborateurs.”
Jérôme Robyns (Head of Learning & Tools chez Cefora): “La disparition des carrières linéaires en accentue le besoin. Aujourd’hui, on peut être amené à changer de job, de département, de société à tout moment. Voire à effectuer plusieurs jobs en même temps. Pour les sociétés comme pour les individus, cette mise à jour permanente est rendue encore plus indispensable par l’accélération technologique. Des études montrent que, là où il fallait autrefois en moyenne 20 ans pour rendre certaines compétences obsolètes, il n’en faut plus que deux ou trois. Et à l’heure où nombre de baby-boomers partent à la pension, la rétention devient un vrai sujet. Transmettre un savoir ou une compétence pour ne pas les perdre, cela se conçoit également à l’intérieur d’une politique de formation.”
De quelles compétences parle-t-on?
G.D.: “On pense spontanément aux compétences techniques, mais il n’y a pas que celles-là, loin de là. La pensée critique et la résolution de problèmes, l’adaptation, la coopération, la créativité, la communication sont des compétences très recherchées dans des environnements en changement constant.”
J.R.: “De fait, en tant que partenaire de la commission paritaire 200, qui regroupe 60.000 entreprises et 500.000 employés, nous voyons augmenter la demande pour ces compétences transversales. En particulier le développement de l’esprit critique, notamment face à l’irruption de l’intelligence artificielle.”
En tant que partenaire de la commission paritaire 200, qui regroupe 60.000 entreprises et 500.000 employés, nous voyons augmenter la demande pour ces compétences transversales. En particulier le développement de l’esprit critique, notamment face à l’irruption de l’intelligence artificielle.
Comment la digitalisation a-t-elle changé la donne?
J.R.: “Le Covid a singulièrement accéléré la digitalisation de notre offre. Jusque-là, beaucoup pensaient que le format présentiel, avec des sessions de 9 h à 17 h, était le seul pertinent. Aujourd’hui, 40% de nos formations sont entièrement digitales. Le reste combine présentiel et distanciel. Même si, en principe, tout peut se faire à distance, nous avons toujours évité d’opposer ces deux dimensions. On peut prendre le meilleur des deux mondes! La formation asynchrone, où l’on ne rassemble pas tout le monde en même temps dans une classe, permet d’aller chercher des contenus de son côté et de communiquer avec les autres apprenants de façon informelle et à des moments libres. La façon dont un individu s’approprie une formation professionnelle s’apparente de plus en plus à ce qu’il ferait pour son apprentissage personnel, par exemple lorsqu’il prépare un voyage ou découvre une activité. Avec des tutoriels, des exposés et du partage en ligne… À cet égard, le vocable anglais learning & development reflète mieux cette réalité que le terme ‘formation’. Du coup,les formats que nous proposons doivent être irréprochables, en particulier pour les digital natives qui consomment tous les jours des contenus de très haute qualité dans le cadre de leurs loisirs.”
G.D.: “De façon très pragmatique, le digital réduit par ailleurs les temps de déplacement. Parce qu’il est centralisé, on a aussi la garantie que le contenu dispensé est parfaitement identique pour chaque participant quand c’est nécessaire. Une fois mis en ligne, chacun peut activer un contenu à n’importe quel moment. On n’est donc plus tributaire d’un calendrier, comme pour des sessions en présentiel. Et quand de telles sessions ont lieu, on peut autoriser chacun à acquérir les prérequis par le biais de capsules; les participants arrivent alors à la formation en groupe avec un niveau de connaissances plus uniforme, et l’on peut avancer plus vite. Pour autant, la dimension sociale du présentiel demeure souvent très appréciée par les apprenants. C’est pourquoi il convient de la conserver dans de nombreux cas. On parle alors d’hybridation.”
Chacun est ainsi plus libre de se former à son rythme…
G.D.: “Oui, mais cela ne va pas de soi dans toutes les organisations. Le défi, c’est aussi d’outiller les managers afin qu’ils jouent un rôle de relais, de stimulant et de modèle, notamment en permettant de libérer du temps pour que chacun puisse se former, y compris eux-mêmes. Sinon, on se retrouve dans une situation où les sociétés placent des catalogues d’e-learning à disposition sur leurs serveurs, mais personne ne s’y connecte jamais, faute d’un réel contexte qui facilite cet apprentissage permanent.”
J.R.: “Un autre enjeu est de déplacer le focus du contenu – qui était transmis par des experts – vers le contexte. On trouve des masses de contenus partout, bons ou mauvais. Or, être compétent, ce n’est pas forcément être bardé de connaissances, mais pouvoir agir efficacement en situation de travail. Dès lors, la vraie plus-value d’un département formation réside dans sa capacité à bien saisir ces situations individuelles, ce dont l’employé a réellement besoin, quels sont les éléments qui peuvent bloquer son développement ou le favoriser.”
Le défi, c’est aussi d’outiller les managers afin qu’ils jouent un rôle de relais et de modèle, en permettant de libérer du temps pour que chacun puisse se former – y compris eux-mêmes.
Comment, plus largement, instiller une culture de l’apprentissage en entreprise?
J.R.: “Il n’y a rien de plus inefficace qu’une formation à laquelle un individu n’a pas la possibilité de donner une suite concrète. Parce qu’il ne voit guère ce qu’il pourrait mettre en place, ou parce que la société ne lui donne pas l’espace pour le faire, notamment en n’envisageant pas l’idée de procéder par tests ou par essais et erreurs. Pour qu’une formation ait un impact, l’implication des RH est indispensable afin de la concevoir, de la susciter et de la valoriser dans une perspective de développement. Mais il faut surtout un réel engagement de l’apprenant, qui doit vouloir prendre en main son employabilité, et du manager, en soutien, un peu comme un copilote. Enfin, on ne rend pas l’organisation ‘apprenante’ simplement avec des outils classiques de formation. Cela dépendra aussi d’une culture de l’échange et du mentorat à tous les niveaux. Institutionnaliser cet apprentissage est crucial. Il faut parvenir à formaliser l’informel, en quelque sorte.”
G.D.: “J’ajoute que la formation est une question de performance, individuelle, d’équipe, organisationnelle, mais aussi de durabilité. La pire des situations est celle où de grandes entreprises sont amenées à licencier brutalement des milliers d’employés et à les remplacer pour cause d’obsolescence des compétences. Tout cela parce qu’elles ne l’ont pas suffisamment anticipé. Pour une entreprise, qu’elle soit publique ou privée, assurer l’employabilité des individus exige d’assumer son rôle sociétal. Le Deal pour l’emploi, qui stimule désormais les entreprises de plus de 20 salariés à reconnaître le droit à cinq jours de formation minimum par an et par employé, devrait inciter les dirigeants à réfléchir de façon plus stratégique au développement des compétences de leurs employés. Ils y ont d’autant plus intérêt que les jeunes challengent de plus en plus les employeurs sur ce point avant de se décider à les rejoindre. Cette possibilité de développer ses compétences contribue pleinement à la promesse employeur.”