Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une véritable guerre froide technologique. Cette situation accroît la pression sur les chefs d'entreprise européens. Ceux-ci doivent faire entendre leur voix, estime le techno-entrepreneur Peter Hinssen.
La visite de trois jours du président français Emmanuel Macron en Chine a fait couler beaucoup d'encre. L'Europe ne devrait pas être impliquée dans l'hostilité croissante entre les États-Unis et la Chine, a-t-il déclaré aux journalistes de Politico et des Échos, plaidant pour une Europe plus autonome, troisième superpuissance entre les États-Unis et la Chine. “La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes” sur la question de Taïwan “et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise”, a-t-il lancé. Emmanuel Macron a par ailleurs évoqué l’ensemble de subventions vertes du président américain Joe Biden, d’une valeur de plus de 350 milliards de dollars, et son lourd impact sur l’économie européenne.
Les déclarations du président français ont suscité de vives réactions tant à Washington qu'en Europe, révélatrices du climat géopolitique et économique. Qu'il s'agisse de puces électroniques, de cloud ou de génétique, la concurrence entre les États-Unis et la Chine est féroce. Peter Hinssen, techno-entrepreneur, fondateur de nexxworks, auteur et conférencier, évoque ainsi l’intensification d'une guerre froide qui place l'Europe et les entreprises européennes dans une position difficile. “Les tensions avec la Chine étaient peut-être plus visibles sous Trump, mais sous Joe Biden, elles sont plus intenses. La Chine menace de ravir aux États-Unis son statut de première superpuissance et surtout de principal innovateur sur la scène mondiale.”
“Regardez la technologie. On évoque une interdiction de TikTok, qui est soudainement devenu l'ennemi public numéro un. Or, la semaine dernière aux États-Unis, les quatre applications les plus populaires en termes de nombre de téléchargements étaient chinoises: outre TikTok, il s'agissait de Temu, une application de social selling, de Shein, une application de mode, et de CapCut, une app de montage vidéo. Les Américains passent près de deux heures par jour à utiliser la technologie chinoise.” Et cela inquiète les États-Unis.
"La semaine dernière aux États-Unis, les quatre applications les plus populaires en termes de nombre de téléchargements étaient chinoises"
La Chine donne également du fil à retordre à l’Oncle Sam dans le domaine de la formation technologique. “La Chine produit plus de 4 millions d'ingénieurs par an, les États-Unis environ 500.000. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les innovations éducatives radicales se multiplient outre-Atlantique, dans une tentative de remporter la course technologique.”
Les exportations néerlandaises freinées
Le marché des semi-conducteurs est l’une des premières sources de tensions politiques entre les deux superpuissances. “Dans la lutte pour les puces, Taïwan, centre d'innovation majeur, joue évidemment un rôle-clé”, pointe l’expert. “Les États-Unis sont très polarisés sur cette question. Et l'Europe subit des pressions pour s'aligner.”
Les Pays-Bas, par exemple, ont restreint les exportations du fabricant de puces ASML vers la Chine. Selon le cabinet d'études Gartner, ASML contrôle plus de 90% du marché. La Chine a réagi avec fureur, évoquant les pressions exercées par les États-Unis sur leurs alliés pour empêcher l'accès du pays à la haute technologie. Les États-Unis ont de leur côté déploré l'acquisition du constructeur automobile suédois Volvo par l'entreprise chinoise Geely. Aux yeux de Peter Hinssen, la pression sur les entreprises européennes pour qu'elles choisissent leur camp ne fera que croître. “Son intensité est aussi forte que pendant la guerre froide, mais la situation est plus complexe.”
Les chefs d'entreprise européens feraient bien de s'y préparer, prévient-il. “La prise de conscience est un premier pas important. En tant qu'entrepreneurs, nous avons l'habitude de nous plaindre des conditions géopolitiques et de nous y adapter. En réalité, nous devrions réfléchir collectivement à la manière dont nous voulons que l'Europe se positionne, et faire pression sur les gouvernements. Bref, agir plutôt que subir.”
Lors du Never Normal Tour, du 18 au 23 juin à New York, accompagnez Peter Hinssen (nexxworks) et Isabel Albers (L’Echo) dans leurs entretiens avec entre autres Dana Peterson, Chief Economist et Center Leader of Economy, Strategy & Finance au sein du groupe de réflexion The Conference Board, qui exposera sa vision des perspectives économiques et géopolitiques. Inscrivez-vous ici.