Le monde de la grande distribution s’est transformé ces dernières décennies, et avec lui le métier de marketeer dans le retail. Dans ce premier épisode du nouveau podcast CMO voices, Aude Mayence (Delhaize Belgium) revient sur sa carrière et l’évolution de son secteur, ses coups durs et ses coups de cœur. Et livre sa règle d’or du marketing.
La carrière d’Aude Mayence est celle d’un aller et retour, puisqu’après avoir débuté dans le secteur de la grande distribution, elle s’est plongée dans le domaine des produits de grande consommation avant de faire son retour dans le retail chez Delhaize Belgium.
“Ce qui me passionne dans la grande distribution, c'est la palette, la largeur des territoires concernés: le branding, bien sûr, mais aussi de nouveaux domaines comme le retail média. Et lorsqu’on travaille pour une enseigne qui voit passer 5 millions de visites clients chaque semaine, on se dit qu'on peut faire la différence dans la vie de tous les jours!”
Hyperpersonnalisation
Aude Mayence a vu le retail profondément évoluer ces dernières années et décennies, et avec lui le marketing, qui pouvait parfois se limiter, selon ses propres termes, à “un folder et des prix”.
“Le secteur de la grande distribution est devenu de plus en plus compétitif. Outre nos compétiteurs directs, nous affrontons désormais toutes ces personnes qui peuvent mettre à disposition de la nourriture au quotidien, les Deliveroo, Uber Eats et autres.”
Le marché s’appuie nettement plus le digital qu’auparavant, ajoute-t-elle. “Cela a un effet certain sur la manière de gérer une enseigne. Et l’on dispose aujourd’hui de quantités de data, ce qu'on avait peu il y a une vingtaine d'années. Cela rend l’expérience encore plus riche pour le client, puisqu'on entre dans le monde de l'hyperpersonnalisation.”
Les facteurs pour lesquels il choisit Delhaize plutôt qu’une autre enseigne est un bel exemple de cette connaissance plus fine du consommateur. “Si le prix reste un élément majeur, la santé arrive en deuxième position, suivie d’autres critères. Ce qu’il est intéressant d’observer, c'est que l'importance que le client accorde à chacun de ces critères a augmenté. Autrement dit, le client est de plus en plus informé et exigeant. En retour, cela nous demande d'être de plus en plus transparent à son égard.”
Inspiration
Comment une spécialiste du marketing s’assure-t-elle que son offre répond aux attentes des consommateurs? “Il existe plusieurs sources d'inspiration, et notamment les nombreuses tendances en matière alimentaire. La data client, ensuite. Ce que j'adore dans le retail, c'est qu’il permet de prendre le pouls de la consommation. Prenez l'exemple du Covid. Pendant la pandémie, on a vite remarqué ce qui se passait au sein des ménages belges, avec des ventes de maquillage qui diminuent drastiquement en une fois… Lorsqu’on regarde nos ventes, on sent aussi ces tendances. C’est hyper-passionnant. Donc la data, les tendances… et quand on n'est pas certain, toujours aller demander aux clients!”
2002 : Executive Master in Marketing & Advertising à la Solvay Business School
2002-2007 : Product Manager puis Negociator chez Carrefour Belgium
2007-2010 : Category Manager puis Brand Manager chez Kraft Foods
2010-2014 : Senior Brand Manager puis Marketing Manager chez Danone
Depuis 2014 : Brand Director puis VP Marketing & Digital chez Delhaize Belgium
2018 : Marketer of the Year
Le client est définitivement la source d’inspiration privilégiée d’Aude Mayence. Ce fut le cas lors du repositionnement de la marque Delhaize, la plus grande fierté de la VP Marketing & Digital.
“Lorsque nous avons travaillé sur cette plateforme, nous avons fait le tour de la Belgique pour demander aux consommateurs ce sur quoi ils achoppent quand ils réfléchissent à la façon de mieux manger. Des mamans ont insisté sur le fait que placer un brocoli dans la bouche de leurs enfants en bas âge n’est pas facile, d'autres nous ont dit: c'est sympa, mais de toute façon, quel que soit le produit, il est bourré de sucre… Ce qui nous inspire au quotidien, et ce qui doit inspirer chaque marketeer, c’est d’identifier ces points de tension et d’aider les consommateurs à les résoudre.”
Elle reprend ici l’exemple de la santé, qui a occupé une place importante dans le repositionnement de la marque Delhaize. “Il s’agit en réalité de créer un fil rouge qui s’inscrit peu à peu dans le subconscient du client, afin que celui-ci finisse par associer Delhaize à la santé. Nous avons commencé avec les ‘légumes magiques’, une action formidable. Nous avons travaillé sur l'imaginaire des enfants pour les aider à manger davantage de fruits et de légumes, sur la réduction du sucre et du sel sur nos produits, sur Junk Fruit pour la rentrée. Et nous avons implémenté le Nutri-Score – les premiers sur le marché belge!”
La carte de fidélité SuperPlus a permis à l’enseigne à la fois de personnaliser son lien avec le consommateur et de renforcer la dimension “santé” en proposant des réductions sur des produits sains, avec un Nutri-Score A et B.
“Tout ce travail fait vraiment ma fierté. On ne soupçonne pas à quel point c’est un effort de longue haleine! Lancer le Nutri-Score dans le retail, cela signifie changer le packaging de plus de 5.000 produits. Cela représente un impact énorme en interne, mais pour créer de la valeur pour le client.”
S’ancrer dans la culture locale
La carrière d’Aude Mayence n’a pas été émaillée que de coups de grâce. Elle contient son lot de coups durs, parmi lesquels le lancement des pralines Milka à l’international.
“Dès le début, quand j’analysais le territoire de la marque Milka, les feedbacks des clients et les résultats des focus groupes, je voyais que ce produit n'allait pas répondre aux attentes des consommateurs. Peut-être cela aurait-il fonctionné sous la marque Côte d’Or, par exemple, mais avec Milka, ce n'était pas très relevant pour le client. J'ai donc fait du mieux que j'ai pu avec un mix média assez traditionnel. Voilà quelque chose que je ne ferai plus jamais, car mon intuition, fondée sur les feedbacks des clients, était la bonne: cela a été un vrai flop.”
Sa conclusion? “On doit toujours trouver une connexion avec le client, car le client est roi. La marque est-elle relevante? Est-ce bien son territoire de marque? Et si je suis en Belgique, comment puis-je me connecter avec le client local? Prenez AXA: pour leur plateformede communication portée par un ambassadeur, , ils devaient avoir Serena Williams. Ils lui ont pourtant préféré Nafissatou Thiam! Je trouve qu'un marketeer doit toujours se battre pour ancrer le produit, le service dans le quotidien de son client et dans la culture locale.”
Un marketeer a deux vitesses, conclut-elle: “Il doit avoir l’agilité de constamment jouer entre le long terme et le court terme. Certes, je dois assurer mes ventes d'aujourd'hui, mais pas à n'importe quel prix, parce que je dois construire ma marque sur le long terme.”