Critique de "Strip-tease intégral": quand nos égo-trips nous déshabillent
Nouvelle fournée pour les fans de l’émission culte qui déshabille nos contemporains. "La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui, on fait ça en format cinéma", nous dit Jean Libon, le créateur de "Strip-tease".
Au départ, il y avait les reportages officiels de la RTBF, tournés aux quatre coins du monde, bien propres et bien nets, mais qui manquaient de peps, de substance, d’authenticité. En 1984, deux caméramen maison, Jean Libon (interview ci-dessous) et Marco Lamensch, proposent une autre recette. Ce sera "Strip-tease". Pas de journaliste. Pas de voix-off. Et toujours filmés «à hauteur des yeux». Ce qui ne devait être qu’un coup d’essaiva se révéler un coup de maître.
Voilà ce que tout le monde attendait: un peu de différence, de liberté, de vérité vraie. Car le montage des sujets n’essaie surtout pas de flatter les filmés, mais bien de les montrer avec leurs défauts, leurs contradictions, leurs singularités. Et les défauts, notre petite humanité n’en manque pas. Ce qui fera dire à quelques fâcheux que «Strip-tease» fonctionne parfois, derrière l’intimité et la tendresse, sur un certain voyeurisme…
À revoir les anciennes émissions disponibles sur Auvio ou YouTube, on est épastrouillés par le degré de poésie, d’absurde, et de belgitude proposés, avec une concentration des goûts étonnante. Sans parler du précieux tableau sociologique, qui nous immerge en quelques secondes seulement au cœur du sujet, de l’époque, du milieu social abordé.
"C’est ultra simple. Pas de commentaires, pas de musiques, pas d’interviews. Autre règle: on ne demande jamais aux gens de recommencer quelque chose. Jamais!"
L’émission s’est arrêtée en 2012. Mais l’esprit Strip-tease est resté. Comment? Grâce à des documentaires au format plus long: «Ni Juge Ni Soumise» (2017), soit le portrait d’une juge d’instruction hors-normes, Anne Gruwez. Un film auréolé d’un Magritte, puis d’un César… «Poulet Frites» (2021) suivait à nouveau la juge, documentant très profondément l’une de ses affaires (avec présomption d’assassinat) pour un mélange entre brûlot sur la justice, et véritable film de suspense.
L'inconscient en plein écran
Quel est le point commun entre deux influenceuses en goguette à Dubaï où elles enchaînent les opérations de chirurgie esthétique, une cinquantenaire qui tracte dans les rues d’Avignon pour son premier spectacle, une mère au foyer (cousine de Lemercier dans «Les Visiteurs») qui essaie de faire entrer ses enfants dans le «zéro déchet», ou cet homme qui se croit atteint de pathologies mortelles et multiplie les rendez-vous médicaux?
"Je demande à mon équipe de tout connaître de la vie des gens. Comment ils vivent, d’où ils viennent, leurs envies, leur chat, leurs secret, tout."
L’égo-trip, pardi. Cet espèce de moment «sans limites» où on s’autorise inconsciemment à affirmer sa propre personnalité, au détriment de tout ce qui nous entoure. "Strip-tease" a toujours su admirablement capter ces moments «regardez-moi/non, ne me regardez pas!», ces moments «parce que je le vaux bien», où notre inconscient et nos pulsions enfouies émergent tout à coup. Le genre de moment où il faut surtout ne rien faire. À part être là. Avec sa caméra. À hauteur de regard.
Car la réussite "Strip-tease", ça a toujours été une question de précision dans les points de vue, une question de choix esthétiques, une certaine rigueur dans l’approche – qui fait qu’on reconnaît le ton "Strip-tease" après seulement quelques secondes (et une petite musique de générique entêtante) – malgré la noyade dans les émissions et des magazines qui ont voulu lui ressembler… sans jamais y parvenir.
Documentaire
"Strip-tease intégral"
Par Jean Libon, Clémentine Bisiaux, Régine Dubois, Stéphanie De Smedt, Mathilde Blanc et Yves Hinant
À voir à partir du mercredi 29 janvier 2025
Note de L'Echo:
Y a-t-il une recette?
Jean Libon: Plutôt une bible! C’est ultra simple. Pas de commentaires, pas de musiques, pas d’interviews. Ensuite, ce qu’on a promis aux filmés en terme de limite, on le tient. Autre règle: on ne demande jamais aux gens de recommencer quelque chose. Jamais! Soit on a su le capturer, soit pas. Ça se passe une fois, et puis c’est tout.
Il y a une grande importance accordée à la préparation. On cherche beaucoup, avant de filmer. Vous savez, pendant le développement d’un film, on demande toujours des notes d’intention, que ce soit les chaînes, les diffuseurs, etc. Éh bien, moi, je ne fais pas ça, mais je leur montre des repérages filmés, comment les gens réagissent en vrai. Ici, pour le premier segment qui se passe à Dubaï, Stéphanie (la réalisatrice) est partie une semaine.
Elle a filmé l’influenceuse Cassi à la plage, elle se rend compte qu’elle a oublié une partie de son bikini. Enveloppée dans un essuie, elle fait toute une gymnastique pour corriger le tir, c’était formidable. Éh bien ça n’apparaîtra pas dans le film. Si le même genre de chose s’était reproduit, on aurait adoré l’intégrer au montage. Ça ne s’est pas fait, tant pis. «Strip-tease» ne triche pas.
On sent une grande intimité avec les «filmés»…
Je demande à mon équipe de tout connaître de la vie des gens. Comment ils vivent, d’où ils viennent, leurs envies, leur chat, leurs secret, tout. C’est comme ça qu’on élabore le point de vue de ce qu’on va raconter. On ne peut pas se permettre d’être surpris à la fin d’un tournage par un élément qui changerait toute la donne, et notre manière d’aborder le sujet. Les réalisateurs et réalisatrices, eux aussi, changent avec le tournage. Ils s’impliquent énormément, l’expérience va rejaillir sur leur vie. Rejoindre l’équipe, c’est un peu entrer dans une secte!
On vous sent très engagé, comment passez-vous le flambeau?
Je suis encore un peu le pape, rien ne se fait sans moi. Ici, nous avons une équipe très féminine, tant mieux. On se renouvelle: après 60 sujets, est-ce qu’on va encore trouver le bon angle? Le monde a changé, moi, je suis un vieux monsieur – on a tous pris 30 ou 40 ans – et c’est leur monde à eux qu’il faut raconter à présent. Les vieux sujets, c’est un peu de l’archéologie sociologique.
La bonne nouvelle, c’est qu’aujourd’hui, on fait ça en format cinéma, donc on peut prendre le temps de vraiment penser à tout. La télé, c’est pauvre. S’il n’y avait pas eu France 3, on mettait la clé sous la porte en 1991, car la RTB n’indexait pas nos budgets. Le cinéma donne le confort de la réflexion. Il y a un sujet qu’on a commencé en 2020, on a encore tourné la semaine dernière. Il faut du suivi. Il faut de l’amour.
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