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"Arte Povera" à la Bourse de Commerce (Pinault collection): la réalité libérée

La Rotonde, "Arte Povera", Bourse de Commerce - Pinault Collection, Paris, 2024 © Photo : Florent Michel / 11h45 / Pinault Collection ©FLORENT MICHEL

À la Bourse de Commerce – Pinault Collection, "Arte Povera", exposition orchestrale, comble les connaisseurs et attire les néophytes.

Carolyn Christov-Bakargiev, commissaire d'Anvers, capitale culturelle de l'Europe en 1993, puis conservatrice en chef du Castello di Rivoli Museo d'Arte Contemporanea, à Turin, le transforma en maison expérimentale de l'arte povera. Cette exposition avait longtemps mûri en elle quand Emma Lavigne, conservatrice générale et directrice générale de la Collection Pinault, lui proposa la Bourse de Commerce, le musée voulu par François Pinault, qui abrite dans sa collection nombre d'œuvres majeures d'arte povera. D'emblée, rappelle la commissaire, les tenants de ce courant ne séparent jamais "le corps et le cerveau, le conceptuel et le matériel". Emma Lavigne ajoute: "Cet art est totalement accessible tout en offrant quantité de strates invisibles."

Pour Germano Celant, penseur de l'art, commissaire d'expositions, inventeur de la formule "Arte Povera", il fallait "sortir du système" et reprendre "possession de la réalité".

La formule "Arte Povera" fut inventée par Germano Celant, penseur de l'art, commissaire d'expositions (mort soudainement du Covid 19 en 2020), avec une exposition séminale à Gênes en 1967, intitulée "Arte Povera — Im Spazio", raccourci d'"Imagine Spazio". En novembre, son article dans la revue Flash Art, "Arte Povera. Notes pour une guérilla", annonçait: "Il y a d'abord l'homme, puis le système, anciennement il en était ainsi. Aujourd'hui, la société produit et l'homme consomme." Il fallait "sortir du système" et reprendre "possession de la réalité". Sans lancer de mouvement tel le "Manifeste du Surréalisme" de Breton, ce texte inaugurait un maniement de la matière, de l'objet et de l'espace, hasardeux, improvisé (au sens du théâtre d'improvisation d'un Jerzy Grotowski).

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Mario, Merz ADAGP, Paris, 2024 Vue de l’exposition "Arte Povera", Bourse de Commerce.
Mario, Merz ADAGP, Paris, 2024 Vue de l’exposition "Arte Povera", Bourse de Commerce. ©Nicolas Brasseur / Pinault Collection

Miracle italien

Après la destruction, l'Italie connut l'industrialisation, des années 1950 à la fin des années 1960, la migration de millions de travailleurs du Mezzogiorno, Sicile, Pouilles, Calabre vers Turin, Milan, Gênes. De ce "miracle italien" déséquilibré, explique Carolyn Christov-Bakargiev, émergea un art en quête "d'équilibre entre esthétique et éthique", où les œuvres deviennent "les poids et mesures du corps social" et modifient le rapport entre objet d'art et regardeur. "Mario Merz [l'un des piliers de l'arte povera, NDLR] me répétait toujours: 'Je suis ancien et contemporain'. Pour lui, l'histoire n'est pas linéaire, mais circulaire, écho de la mythologie méditerranéenne de la métamorphose, d'Ovide et Héraclite", de la pensée présocratique où "tout est mouvement, circulation d'atomes, et aujourd'hui prolongée dans la pensée quantique".

"Ces œuvres redéfinissent un espace qu'on ne peut cerner."

Carolyn Christov-Bakargiev
Commissaire de l'exposition

La commissaire projette cette histoire circulaire dans la Rotonde centrale, au sol et aux parois de l'architecte japonais Tadao Ando, avec un ensemble de pièces inaugurant le rapport entre collectif et subjectif, à la genèse de l'arte povera. Tel une roue et ses rayons, cet espace choral mène aux 13 salles monographiques dédiées notamment à Marisa et Mario Merz, Michelangelo Pistoletto, Iannis Kounellis, Alighiero Boetti, Pier Paolo Calzolari, Gilberto Zorio, Giuseppe Pennone. Lors de l'installation de Direzione, de Giovanni Anselmo qui contient une aiguille magnétique telle une boussole, la commissaire, contemplant les fresques de la coupole, visions d'un monde passé, s'interrogeait: avec l'arte povera, où est le bord? Est-ce la Bourse? Paris? La France? L'Europe? "Ces œuvres redéfinissent un espace qu'on ne peut cerner."

La descente au Foyer mène à la première série de salles. Là, Gilberto Zorio, avec Confine (limite, frontière), rend visible le passage de l’énergie, en mobilisant le plomb, métal lourd, malléable, le cuivre, conducteur d'énergie, matériaux essentiels de l'alchimie, la physique et l'arte povera. Ces œuvres montrent leur réalité d'énergie en métamorphose, visible ou invisible, un art de la vitalité alliant la perception élémentaire à la tradition. Ainsi, l'igloo ancestral de Mario Merz (dans la Rotonde et la salle Mario et Marisa Merz), architecture nomadique, ne pèse rien. Dans une œuvre d'arte povera, conclut la commissaire, "le réel existe comme langage, imaginaire et symbolique. On ne la regarde pas au mur, on s'y engage avec son corps".

Expo

"Arte Povera"

Bourse du Commerce, 2, rue de Viarmes 75001 Paris.

Jusqu'au 20 janvier 2025.

Note de L'Echo:

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Paroles d'artistes

Giuseppe Penone, l'arbre comme point de départ

"L'arbre est une matière fluide qui se déforme avec le temps et peut être façonnée. Mon premier travail a consisté à poser une main sur l'arbre. En grandissant, l'arbre a créé l'empreinte de la main, inversant ainsi le principe de la sculpture, qui consiste à prendre une matière et à y laisser une empreinte. L'arbre a continué de croître, sauf au point de contact avec la main. Cela m'a amené à réfléchir à la rencontre de deux matières vivantes: le corps humain et l'arbre, qui ont des rythmes et des temporalités différents, tout en conservant une certaine égalité. Dans le contact, il y a toujours une égalité, car lorsque tu touches quelque chose, cette chose te touche en retour. Il y a donc un échange équitable."

Michelangelo Pistoletto, les tableaux miroir

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“Au début, je cherchais mon identité. J'ai poli la matière jusqu'à la transformer en un fond doré, argenté, ou noir vernis. En revisitant le thème de l'autoportrait et en me peignant, j'ai réalisé que le fond capturait toute la vie derrière l'œuvre d'art. Tout ce qui se passait entrait dans le tableau. L'extérieur de l'œuvre d'art et l'intérieur se sont donc inversés, jusqu'à gommer la distinction entre l'œuvre et le spectateur; ce que ce dernier voit devant lui, il le voit aussi derrière lui, se retrouvant au centre d'une double perspective. Les tableaux miroirs sont un autoportrait du monde."

Gilberto Zorio, l'inventivité de l'artiste forgeron

"À la bourse, il y a un éclair! Le monde est énergie. Ce qui m’intéresse depuis le début sont les effets de l'énergie sur la matière. Et la possibilité d'utiliser des matières qui existent depuis de milliers d'années, comme l'argile ou le cuivre, dans leur évolution industrielle contemporaine. L'artiste rend visible le passage de l'énergie que nous ne pourrions autrement percevoir."

Pier Paolo Calzolari, l'art comme pratique empirique

"Dans le contexte très difficile de l'Italie d'après le boum économique, il fallait repenser la manière de faire de l'art. Le public doit bien regarder où poser les pieds, il faut qu'il s'engage avec tout son corps, qu'il regarde les œuvres non pas au mur mais dans leur horizontalité. L'arte povera pour moi est surtout une façon de respirer, de partager le rythme de la matière."

La vidéo art de Grazia Toderi

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"J'utilise la vidéo pour interroger les espaces collectifs. Ici, c'est le théâtre à l'italienne, qui était très répandu dans toute la péninsule et qui, peu à peu, a été remplacé par la télévision et la vidéo. Je fais partie d'une génération qui a connu l'arrivée du satellite, j'ai donc intégré la nouvelle manière de regarder que cette technologie a apporté, avec un point de vue extérieur à la Terre, capable de la voir dans son ensemble. En résonance avec la pièce de Zorio sur la frontière, toutes les limites sont ainsi brisées, y compris celles entre le ciel et la Terre."

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