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Le Botanique expose Ernest Pignon-Ernest, l'un des pères du Street Art

©Ernest Pignon-Ernest /Galerie-Lelong & Co

Exposition | Le Botanique expose l’un des pères du Street Art. À 76 ans, Ernest Pignon-Ernest est toujours au chevet d’une humanité en péril et dénonce la récupération de son art par le City marketing et la publicité.

Si Ernest Pignon-Ernest n’apprécie que très peu la dénomination de "street-artist" regrettant "qu’il ait fallu attendre un vocable anglo-saxon pour parler d’une pratique lui préexistant de loin", il en assume néanmoins une forme de paternité. En effet, dans sa pratique artistique comme dans ce que l’on nomme aujourd’hui le Street art, les murs deviennent le médium d’un message ou d’un récit, parfois poétique, parfois politique. L’exposition que lui consacre le Botanique porte en elle ce paradoxe de figer un art éphémère et non-institutionnel (Ernest Pignon-Ernest n’a jamais demandé une quelconque subvention), mais elle prend également son sens lorsqu’on la considère comme "l’exposition d’une démarche". La démarche d’un artiste consciencieux, qui ne laisse rien au hasard, mis à part la durée de vie de ses œuvres.

"Empreintes" – Ernest Pignon-Ernest

Note : 4/5

Jusqu’au 10/2, au Botanique (Bruxelles).

À voir également, la puissante exposition de Michael Matthys, "Le long fleuve tranquille", un portrait charnel de Charleroi notamment peint avec du sang de bœuf et du charbon. Un pied de nez à la mort: www.botanique.be

Qu’on le connaisse ou non, Ernest Pignon-Ernest a déjà produit quelques images mythiques, notamment la représentation d’Arthur Rimbaud à taille réelle qu’il imprima à différents endroits sur la route entre Charleville et Paris. Sans doute aurez-vous également déjà vu sa représentation de Pasolini portant son propre cadavre imprimé à Naples. Avec Caravage et les Évangiles, Pasolini est la référence la plus importante de Pignon-Ernest. "Pasolini nous avait mis en garde sur le monde d’aujourd’hui, il avait prévu avant la mort de Mussolini que la télévision serait plus dangereuse pour la culture humaine que le fascisme. Dans cette image, j’interroge ce que nous avons fait de sa mort", nous expliquait l’artiste ce mercredi.

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Réveiller la mémoire

©Ernest Pignon-Ernest /Galerie-Lelong & Co

C’est cette inquiétude à l’égard d’un monde pétri de contradictions, de violences et d’amnésie qui semble être l’un de ses moteurs créatifs. Si la technicité du dessin est une composante absolument essentielle de son travail, Pignon-Ernest a compris rapidement que la peinture sur toile ne suffisait pas à capter la violence ni à l’incarner dans une dimension directe et collective. Cela lui a sauté aux yeux lorsqu’il a appris que la puissance de frappe nucléaire française allait s’installer à quelques kilomètres de sa résidence, dans sa douce Provence. C’est à ce moment qu’il a transféré sa pratique artistique dans l’espace public. "Les lieux portaient cette tension dramatique et il était impossible, à moins d’être Picasso et de faire un ‘Guernica’, de rendre compte de cette tension entre la beauté d’un paysage et la force morbide qui s’y installait." Cette prise de conscience l’a conduit à reproduire avec des pochoirs la fameuse ombre d’un homme figée dans un mur par l’éclair de la bombe atomique, à Nagasaki.

"Déjà, moi, un dessin monumental, je refuse par principe. C’est soit de la publicité soit du stalinisme."

L’ombre qui reste pour témoigner d’un drame est sans doute une belle entrée en matière dans l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest. En effet, en plus de la technique de dessin, de l’analyse du matériau des murs, l’artiste porte un intérêt absolument essentiel à l’histoire souvent oubliée des espaces que l’on traverse. Il a par exemple peint des cadavres sur les marches du Sacré-Cœur, à Paris, pour rappeler que ce lieu a aussi été le théâtre de massacres durant la Commune.

Haro sur le City marketing

©Ernest Pignon-Ernest /Galerie-Lelong & Co

Sa force poétique et politique provient d’un dialogue constant avec les artistes du passé mais aussi de sa manière singulière de rendre visible l’invisible. Cette volonté d’interroger ce que l’on ne voit pas ou que l’on ne veut pas voir lui a parfois posé problème, comme lorsque, pour manifester contre le jumelage des villes de Nice et de Cape Town en plein Apartheid, il a imprimé des corps d’hommes et de femmes noirs derrière des grilles dans la ville de Nice. Celle-ci (bien qu’elle lui ait rendu hommage et demandé pardon des années plus tard) le considéra comme persona non grata. L’impact de son œuvre n’en fut pas amoindri, au contraire. Il fut notamment reçu plusieurs fois par Nelson Mandela.

Un tel impact politique pose la question de ce qu’est devenu aujourd’hui le Street Art. Si Pignon-Ernest a salué un artiste comme Bonom et noté les quelques œuvres encore subversives présentes sur les murs de Bruxelles, il semble dépité par les commandes de Street Art. "Il y a un moment, à part de très rares exceptions, où c’est n’est plus si différent de la publicité. Déjà, moi, un dessin monumental, je refuse par principe. C’est soit de la publicité soit du stalinisme."

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