Le sanctuaire de nos chagrins et de nos espérances à la Collection Lambert
Conçue comme un jeu de l'oie, "Alchimie de la rencontre", la nouvelle exposition de la collection Lambert, en Avignon, déploie ses joyaux d'art contemporain en thématiques existentielles. Puissant!
Alors que le Festival d'Avignon bat son plein, c'est à un autre théâtre que nous convie la Collection Lambert. Derrière son enceinte, un hôtel particulier dans le plus pur style Grand Siècle abrite la somptueuse collection d'art contemporain d'Yvon Lambert. Ce collectionneur et marchand d'art, né à Vence en 1936, avait débuté comme chauffeur de taxi avant d'ouvrir sa première galerie avec sa mère dans sa ville natale, de monter à Paris, en 1966, où il en fonde une seconde, puis de se lier d'amitié avec la fine fleur de la création, notamment américaine.
Art minimal, Art conceptuel et Land Art forment d'ailleurs le socle d'un fond propre de plus de 500 pièces de premier plan (avec les dépôts, la collection permanente compte plus de 2.000 œuvres), qui s'enrichissent des peintres de la figuration libre dans les années 80, de la photo dans les années 90, de la vidéo et des installations à partir des années 2000.
C'est donc plus de 50 années d'art contemporain que l'on peut saisir au gré des accrochages qui suivent les protocoles d'avant-garde où les œuvres, lit-on, "fonctionnent comme des indices, comme autant de voies à suivre pour renouveler l'expérience du sensible dans des salles qui définissent leurs propres règles du jeu".
En l'occurrence, un jeu de l'oie pour "Alchimie de la rencontre", imaginée par François Quintin, le nouveau directeur de la collection. Une exposition qui s'imagine comme une spirale reliant des salles frappées d'une thématique existentielle – l'enseignement, l'emprisonnement, le déchirement ou l'amour – et entrecoupées d'espaces monographiques qui mettent en valeur les ténors de la collection – Cy Twombly, Marcel Broodthaers, Anselm Kiefer ou Richard Long.
Coups de foudre
C'est aussi l'histoire des coups de foudre d'un galeriste qui a eu le nez fin lorsqu'il fait venir le premier Basquiat à Paris, ou poussait "ses" artistes hors des sentiers battus comme Richard Long, pape du Land Art, lorsque celui-ci délaissait ses blocs de pierre habituels pour réaliser, au sol, un arc-en-ciel en paillettes multicolores. Une poésie éphémère dont le geste sublime a été reproduit d'après une photo de 1969, prise dans la galerie parisienne d'Yvon Toussaint. Tout à côté, même poésie de l'absurde avec "La Pluie", un film en noir et blanc du Belge Marcel Broodthaers, qui tente vainement d'écrire un texte sous une averse.
La salle suivante, qui fait toute la longueur de la façade, et à notre sens la plus réussie, travaille le thème de l'emprisonnement. Aux murs, des œuvres aux tonalités très sombres forment comme l'enceinte d'une prison intérieure. Une orchidée de Nan Goldin, photographiée durant son internement à Londres, est éclairée par une fenêtre, sur la gauche, comme un Vermeer. La reproduction de la prison Saint-Michel de Toulouse s'effrite et dépose de la suie au bas de sa cimaise. Un Robert Barry et un Jenny Holzer, tout aussi lugubres, achèvent de nous enfermer.
Mais il est aussi donné à l'esprit humain de toujours pouvoir s'extraire de sa condition. C'est la sensation que nous procure "Heaven" (2010): l'extraordinaire installation du Polonais Miroslaw Balka, au centre de la pièce, dont les filets en plexi multicolores tombent du plafond comme les rayons d'une lumière divine. C'est la seule œuvre de la collection que l'on peut toucher et les mains curieuses font miroiter à l'infini les gracieux rubans.
De l'obscurité au printemps
On retrouve cette même tension dans la dernière salle de l'hôtel particulier, dédiée à Anselm Kiefer, dont la biographie se confond avec l'histoire contemporaine de l'Allemagne et chez qui le plomb règne en maître. Mais il se trouve tout aussi vite contredit par la toile légère de Giuseppe Penone, maître de l'Arte povera, frottée à la fleur de sureau, qui fait naître le printemps.
En route pour la nouvelle aile de la collection, inaugurée en 2015, on y trouve une résonance dans la réflexion sur le temps qu'imposent les tissus colorés par les décoctions saisonnières de l'artiste émergent Adrien Vescovi. Fascinante salle, ensuite, dont l'accrochage en mouvement perpétuel suit les principes aléatoires de Johan Cage, traduits par un algorithme.
C'est aussi l'histoire des coups de foudre d'un galeriste qui a eu le nez fin lorsqu'il fait venir le premier Basquiat à Paris.
Et on ne quittera pas les lieux sans une visite de "Monte di Pietà", l'installation réalisée à la Villa Medicis par Lorraine de Sagazan et Anouk Maugein, en 2022, et qui reprend l'idée du mont-de-piété pour accrocher des objets témoignant de maltraitances diverses et variées.
Un martinet, un caleçon souillé, une épave de scooter calciné, des haltères ou un vieil enregistreur Fisher-Price font froid dans le dos, tandis qu'un métronome rythme, implacable, toutes ces réminiscences de violences intimes, mais aussi les espoirs d'une justice restaurative. Le sanctuaire de nos chagrins et de nos espérances.
EXPOSITION
"Alchimie de la rencontre"
5, rue Violette – 84.000 Avignon (France) - tél. +33 (0)4 90 16 56 23 ou +33 (0)4 90 16 56 13
Note de L'Echo:
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