Le plus grand vignoble belge fête ses 20 ans
En 20 ans, le vignoble des Agaises est devenu le plus important de Belgique avec ses 35 hectares de vignes et son mousseux "méthode traditionnelle" aujourd’hui culte, la Cuvée Ruffus.
C'est l'histoire de trois amis qui décident, un soir d'apéritif, dans la maison de l'un d'entre eux, en Provence, d'investir un peu d'argent dans un vignoble du grand Sud français. La vigne, le soleil, la gastronomie méridionale… Finalement, ce sera en Belgique que leur rêve deviendra réalité avec la création d'un vignoble près de Binche.
Rentabilité
Le Domaine des Agaises, créé voici 20 ans, est devenu le plus grand vignoble du pays avec 35 hectares de vignes. Sa production annuelle, qui dépend bien sûr des aléas de la météo, oscille entre 150.000 et 300.000 bouteilles. Est-il rentable? "Oui, mais nous réinvestissons tous nos bénéfices et les administrateurs ne sont pas rémunérés; seuls une dizaine de salariés le sont. Nous avons investi dans les bâtiments en 2014, des frais aujourd'hui amortis. Mais ils doivent être agrandis afin de doubler la surface de stockage, d'où un coût estimé à 1.500.000 euros", explique Arnaud Leroy, responsable marketing et commercialisation.
De 35 hectares, il souhaite encore l'agrandir pour arriver à une cinquantaine d'hectares. "En augmentant progressivement les plantations. Le prix de la terre, aujourd'hui, est devenu plus cher que pour une agriculture classique. Il a quadruplé par rapport à nos premiers hectares historiques. Certains agriculteurs souhaitent devenir partenaires, ce que l'on ne souhaite pas", poursuit le fils de Raymond Leroy, l'initiateur du Domaine. Et puis, désormais, il y a la concurrence.
Concurrence
Aujourd'hui, l'ensemble du vignoble wallon s'étend sur 350 ha pour 120 vignerons dont une quinzaine que l'on peut qualifier de professionnels. Le Hainaut est la province viticole la plus importante du pays, représentant un tiers des vins belges, soit environ 800.000 bouteilles. En Wallonie, la vigne représente un chiffre d'affaires de 25 millions d'euros.
Pierre Rion, président de l'association des vignerons de Wallonie, résume l'histoire contemporaine du vignoble wallon. "Dans les années soixante, ce furent les 'folkloriques' qui s'amusaient avec quelques ares de vignes. Les années nonante virent arriver des pionniers amateurs comme le Domaine que j'avais créé avec deux amis, le Domaine de Mellemont sur quatre ha, alors un des plus grands de Wallonie. Ensuite, les années deux mille avec des professionnels comme le Domaine des Agaises, le pionnier des vins mousseux, et celui de Philippe Grafé dans le Namurois (Domaine du Chenoy). Et, dans la foulée, ce fut la création de vignobles dans un esprit d'investissement, comme celui de Bousval, le Domaine du Chapitre à Baulers ou encore La Falize à Rhisnes".
"Avec Chant d'Éole, nous sommes devenus deux références pour les vins mousseux produits en Belgique."
L'on produit maintenant aussi des vins mousseux en province de Namur (Domaine du Ry d'argent) et de Liège (Coopérative des vins de Liège). "Les habitants de ces provinces souhaitent aussi acheter local", constate Arnaud Leroy. Mais le plus grand concurrent de la Cuvée Ruffus se situe à quelques kilomètres du vignoble d'Haulchin.
"La région, avec son sol calcaire, est excellente pour produire des vins mousseux. Avec Chant d'Éole, nous sommes devenus deux références pour les vins mousseux produits en Belgique. Notre (presque) voisin se vend plus cher que Ruffus, et nous augmentons notre prix de un à deux euros tous les ans et restons encore sous la barre des 20 euros".
Marketing
Tous les deux participent à des concours, incontestablement des arguments commerciaux lorsque l'on décroche des récompenses, des médailles. Entre les deux Domaines, affirmer que l'entente est cordiale ne reflèterait pas la réalité. Arnaud Leroy déplore la stratégie de son concurrent.
Tous les clients, privés ou professionnels, reçoivent des allocations. Et la liste d'attente est impressionnante.
"Affirmer que lors d'un concours, une cuvée confidentielle par sa production a été sacrée 'meilleur mousseux du monde' est faux. Les organisateurs du Concours mondial de Bruxelles avaient d'ailleurs envoyé un communiqué en ce sens. Mais les médias suivent la communication de notre concurrent", affirme Arnaud Leroy.
Une bouteille de Ruffus est consommée toutes les deux minutes
Une véritable communauté s'est créée autour du Ruffus. Des particuliers, bien sûr, mais aussi de très nombreux cavistes et sommeliers de restaurants prestigieux étoilés comme le Comme chez soi, Bon bon, le Château du milord, Les Gourmands, le Pilori, L'air du temps, Eric Fernez… Si 99% des ventes sont effectuées en Belgique, on retrouve Ruffus servi dans des réceptions diplomatiques aux ambassades belges à Paris, Tokyo, Kinshasa, Johannesburg, Le Caire… Et aussi dans des événements internationaux comme les Jeux Olympiques (Tokyo) et l'Expo universelle de Dubaï.
De ce succès commercial découle un constat qui désole les aficionados de cette "méthode traditionnelle". Tous les clients – aussi bien privés que professionnels – reçoivent des allocations. Et la liste d'attente est impressionnante. 15.000 clients achètent tous les ans en direct au Domaine. Et un petit millier espèrent tous les ans se procurer ne fut-ce qu'une caisse de ce mousseux. "Pour vendre du Ruffus, on ne doit pas faire grand-chose. On n'a jamais été dans la peau d'un représentant de commerce qui doit défendre son produit. Le seul problème, certaines années, c'est le manque de bouteilles. Nos clients sont habitués à avoir une allocation qu'ils reconduisent", constatent les cavistes.
Avec 70.000 visiteurs par an, le Domaine des Agaises souhaite également développer l'oenotourisme dans la région.
Oenotourisme
Sur le plan financier, le chiffre d'affaires de 1.872.606 euros en 2017 est passé à 3.280.279 l'an dernier. L'irrégularité des récoltes peut faire chuter le bilan financier comme en 2019 avec 1.273.265 euros. Les cinq actionnaires ne reçoivent pas de salaire. Tout l'argent gagné est réinvesti. Et les frais sont nombreux. En 2021, le total du bilan sur 20 ans conclut à un investissement de 6.081.349 euros, dont 3.344.706 payés par les actionnaires.
Avec 70.000 visiteurs par an, le Domaine des Agaises souhaite également développer l'oenotourisme dans la région avec des visites culturelles et des rendez-vous gastronomiques en lien avec les chefs hennuyers. Une croisière Ruffus en Méditerranée est aussi au programme des festivités de cette année liées à l'anniversaire. Au départ, 250 personnes étaient prévues. Les réservations ont à présent atteint le double.
Raymond Leroy, négociant en vin, avait déjà planté 600 pieds de pinot noir dans le jardin de sa maison à Fauroeulx en 1985. Son idée? Créer un véritable vignoble à quelques kilomètres, au lieu-dit des Agaises. Sur 60 mètres de profondeur, le sol y est composé de calcaire, similaire notamment à celui de la Champagne. Il convainc à la fois les propriétaires, Joseph et Etienne Delbeke, et les amis rejoints par quelques autres. En 2001, la société Vignoble des Agaises est créée et, l'année suivante, les deux premiers hectares de chardonnay sont plantés. Un producteur champenois est dans le coup. Thierry Gobillard, devant le souhait des associés de ne planter qu'un demi-hectare, leur dit: "Je n'ai pas envie de faire du jardinage. Commençons par deux hectares." Sans le savoir, ils allaient tous contribuer grandement à la renaissance de la viticulture en Wallonie.
- Créé voici 20 ans, le Domaine des Agaises produit annuellement entre 150.000 et 300.000 bouteilles
- Le vignoble de 35 hectares voudrait s'agrandir à 50 hectares
- 99% des ventes du célèbre Ruffus s'effectuent en Belgique
- Avec 70.000 visiteurs par an, le Domaine des Agaises souhaite également développer l'oenotourisme dans la région
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