Des centres culturels perdus dans le smog du Covid-19
Ils ne savent pas où ils vont. Les directeurs des centres culturels de Wallonie et Bruxelles sont dans le brouillard, inquiets pour les artistes, et incapables de prévoir ce qu'il adviendra de leur prochaine saison 2020-2021. Et pourtant, la vente des abonnements va démarrer.
Complètement perdus. Les centres culturels et autres lieux dédiés à la culture en Wallonie et à Bruxelles sont dans un brouillard complet depuis la mi-mars. Un dégât collatéral de plus du Covid-19 qui menace aujourd’hui leur prochaine saison, censée démarrer en septembre. Et l’annonce par la ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, Bénédicte Linard (Ecolo), d’un fonds d'urgence de près de 8,4 millions d'euros pour aider le secteur culturel ne les rassure qu’à moitié.
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La ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles revient sur le fonds d’urgence débloquant 8,4 millions d’euros pour soutenir le secteur culturel, qui a perdu en un mois 74% de ses recettes propres.
Car au-delà des aspects financiers, c’est tout leur programme qui est menacé, et les artistes et compagnies qui y sont liés. "On forme une chaîne. Les artistes sont les prestataires initiaux, mais il faudra assurer la pérennité des lieux qui les accueillent", dit la directrice du Centre culturel de Huy, Justine Dandois. "Il faudrait pourvoir aider tous les maillons pour que la chaîne résiste à cette crise."
Il suffit de faire un petit tour sur les sites des centres culturels pour ne plus y découvrir que des affiches barrées de rouge, et affichant en lettre capitale "annulation" ou "report". Sur le terrain, la situation est très différente d’un centre à l’autre. Selon l’agence culturelle BeCulture, 10.000 événements ont déjà été annulés suite aux annonces de confinement lié au Covid-19.
"Je dois contractualiser maintenant, sans avoir aucune vision pour l’avenir. Et que fera-t-on des 35 personnes qui travaillent chez nous?"
La Zinneke Parade bruxelloise (photo), qui devait fêter ses 20 ans le 16 mai prochain, a été annulée. Les organisateurs et l’Espace Senghor, à Bruxelles, espèrent pouvoir réinventer une autre formule pour le mois de septembre, histoire de ne pas perdre tout le travail déjà engagé par les artistes en préparation de l’événement.
Le Confluent Jazz Festival de Namur a connu la même déconfiture, tout comme Namur en mai. À Huy, l’incertitude pèse sur les Rencontres théâtre jeune public, qui ont lieu en août. La volonté à ce jour est de les maintenir, a annoncé la Province vendredi, qui promet également un soutien au secteur artistique, mais la situation sera réévaluée.
Des milliers d’euros perdus
Les équipes des centres culturels, comme des nouveaux paquebots culturels wallons comme le Delta à Namur ou la Sucrerie à Wavre tournent à plein régime (en télétravail) pour reprogrammer autant que faire se peut les événements prévus, ou rembourser les places. Avec parfois de grosses déceptions: "Nous devions inaugurer l’exposition de l’artiste américain Peter Saul (Pop art), on a dû bloquer toute l’opération. Des œuvres devaient venir de Berlin, des USA, de France. Un artiste international de ce type, c’est difficile à reprogrammer", dit Bernadette Bonnier, la directrice du Delta.
"Des œuvres devaient venir de Berlin, des USA, de France. Un artiste international du format de Peter Saul, c’est difficile à reprogrammer."
Les acteurs ont dans un véritable casse-tête, à la fois organisationnel et financier. "Chez nous, on envisage de recommencer la saison prochaine plus tôt pour faire un ‘focus rattrapage’ avant les Fêtes de Wallonie, mais il faut voir si, techniquement parlant, c’est réalisable", dit la directrice du Delta. En attendant, les tickets sont remboursés, et les montants à débiter s’accumulent.
"Toutes les locations de salles, une vingtaine, par les partenaires socio-culturels du Delta sont annulées, tout est reporté après l’été", explique encore la directrice. Pareil à La Sucrerie, à Wavre. L’espace culturel flambant neuf a pu recaser ses spectacles prévu en mars et avril à la rentrée. Mais le directeur administratif, Stéphane Crusnière, craint de devoir mettre son personnel au chômage économique si le confinement se prolonge après Pâques. La Sucrerie ne reçoit pas les subventions dont bénéficient les centres culturels, et qui leur permettent de maintenir à flot leur personnel. Il espère pourvoir compter sur l’aide de la FWB, sans certitude. À La Sucrerie, le manque à gagner pourrait atteindre les 60.000 à 70.000 euros si la situation dure jusqu’à l’été.
Pas de vision claire
L’autre casse-tête, c’est le manque de perspective. Les choses ne peuvent être décidées que de quinze jours en quinze jours, aux rythmes des annonces du Comité national de sécurité. Un flou qui provoque des angoisses nocturnes chez les directeurs.
À Huy, le centre s’autofinance à hauteur de 350.000 euros sur son budget global de 2,1 millions. "Plus longtemps on reste fermé, plus on perd en rentabilité", explique sa directrice, qui sait qu’elle va devoir lancer la nouvelle saison des abonnements 2020-2021 en juin sans savoir ce qu’il adviendra de l’affiche. "Je dois contractualiser maintenant, sans avoir aucune vision pour l’avenir. Et que fera-t-on des 35 personnes qui travaillent chez nous? Si on les met en chômage économique, on va perdre nos subventions liées à l’emploi. À court terme ce n’est pas intéressant. Mais à long terme, il faudra revoir tout le calcul. Donc, notre modèle budgétaire, on le refait tous les 15 jours…"
"On forme une chaîne. Les artistes sont les prestataires initiaux, mais il faudra assurer la pérennité des lieux qui les accueillent. Il faudrait pourvoir aider tous les maillons pour que la chaîne résiste à cette crise."
En attendant, le centre envisage de mettre à disposition des associations ses techniciens afin de soutenir le secteur médical et hospitalier, en les engageant à transporter des masques et des blouses confectionnés dans la région à destination des maisons de repos et centres de soins.
Les centres culturels, dont les subsides permettent le maintient des emplois, savent qu’ils ne sont pas les plus à plaindre. "En fait, si il ne se passe plus rien, mon budget est à l’équilibre. À zéro…" Le Delta namurois, qui dépend de la Province, n’est pas trop préoccupé par l’emploi non plus. "Certains de nos 30 travailleurs sont simplement mis en dispense de travail", dit la directrice.
Ce qui inquiète surtout les centres, c’est l’avenir des artistes et des compagnies. "Plusieurs lieux ont déjà tenté de trouver des accords avec les compagnies et les artistes pour qu’ils ne perdent pas toute leur rémunération", poursuit Liesbeth Vandersteene, responsable de la Fédération des centres culturels Astrac. Le secteur est fragile, sous-financé; certains n’ont aucune réserve. Cela laissera des traces", conclut la responsable.
Accès au fonds d’urgence > culture.be
Accès au fonds St’Art > start-invest.be
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