Brigitte Giraud: enquête au cœur de l’intime
Brigitte Giraud est la 13e femme à être récompensée par le prestigieux prix Goncourt. Avec "Vivre vite", elle livre un récit sobre et sans concessions sur le drame de sa vie.
"Il n’y a pas d’ordre, ni chronologique ni méthodologique, à l’enchaînement des événements", déclare Brigitte Giraud au début de "Vivre vite", livre éblouissant dans lequel la romancière procède à une véritable enquête intime pour comprendre quels éléments ont mené à l’accident de moto qui a coûté la vie à son mari, Claude, le 22 juin 1999, sur un boulevard de Lyon. Pourtant, un ordre, il faut en trouver un pour lutter contre la folie, l’insondable tristesse qui la laisse "sidérée de chagrin" à seulement 36 ans.
Brigitte Giraud analyse finement son "obsession propriétaire", ce paradoxe de vouloir à la fois "vivre comme des punks" et s’embourgeoiser.
Le mot de veuve, Giraud n’en veut pas: ce qu’elle veut, c’est s’attaquer seule aux travaux pour rénover cette maison délabrée (et rêvée) qu’elle et son mari venaient d’acheter, dans laquelle elle et leur fils habiteront sans lui. Alors, elle abat des murs, elle pète des cloisons. Elle mesure sa colère à la résistance des matériaux. Ainsi s’ouvre le livre: sur ce que Giraud nomme la litanie des "si" qui l’a obsédée pendant toutes ces années. "Et qui a fait", dit-elle, "de mon existence une réalité au conditionnel passé."
"Foutu destin"
C’est avec tendresse et ironie (le temps a fait son œuvre, et vingt ans ont passé) que Brigitte Giraud revient sur ce "foutu destin" pour débusquer un à un, chapitre par chapitre, tous les signes qui ont mené à l’accident: un enchaînement d’événements imprévus qui dessinent en creux le portrait d’une époque – les années 90 – et d’un homme aimé, qui plaçait la musique au centre de sa vie, se souciait peu d’habiter cette maison ou une autre, tant qu’il pouvait aller chercher leur fils à l’école et recevoir leurs amis à dîner.
Le récit de Giraud est une réflexion sur l’amour et le couple. Un thème qui parcourt son œuvre depuis les débuts.
Peu à peu, grâce à l’écriture, émergent des liens, une géographie, le récit des dix années qui ont précédé l’événement. Brigitte et Claude viennent tous deux de la banlieue lyonnaise, d’une "ZUP" comme on les appelait. Pouvoir enfin la quitter, c’est un rêve qui se réalise. Pas seulement un luxe petit-bourgeois, mais aussi un besoin de se mettre à l’abri, de s’ancrer dans un lieu, pour eux dont les ancêtres ont souvent été poussés à devoir émigrer. Cette "obsession propriétaire", cette folie immobilière qui s’empare d’elle dans les mois précédant la mort de son mari, Brigitte Giraud l’analyse finement – comme tout le reste –, puisque cette maison qu’ils acquièrent alors qu’elle n’était même pas à vendre est au cœur de ce qui a provoqué l’accident. Un paradoxe que l’autrice assume avec honnêteté: celui de vouloir à la fois "vivre comme des punks" et s’embourgeoiser, de s’isoler en lisière de la ville pour écouter la musique à fond, loin de la rumeur urbaine, et le payer de sa vie. "Vivre vite, mourir jeune", comme l’avait écrit Lou Reed – et justement la phrase s’étale là, noir sur blanc, dans le dernier livre de chevet de Claude, abandonné sur le parquet.
Compte à rebours jusqu’à l’accident fatal demeuré inexpliqué, le récit de Giraud est aussi, et peut-être avant tout, une réflexion sur l’amour et le couple. Un talent que la romancière n’a cessé de déployer dans ses précédents livres (parus chez Stock puis Flammarion), elle qui se dit bouleversée par la fragilité des hommes, l’androgynie, la féminité assumée. Un thème qui parcourt son œuvre depuis les débuts, entamés peu de temps avant le drame – elle écrivait alors son deuxième roman. Une douzaine de livres plus tard, on se réjouit que le jury du Goncourt ait fait le choix de cette plume sensible et discrète!
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