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Le pianiste liégeois Grégoire Gerstmans explore la lenteur avec son album "Hypnagogie"

Grégoire Gerstmans associe le piano "à l’enfance, à la pureté des notes et des sentiments". ©Antéia Dujardin

Propice à l’apaisement, le premier album du pianiste liégeois ralentit le tempo de nos vies pressées. Dans le sillage de Nils Frahm, Joep Beving ou Yann Tiersen, l’artiste belge s’affirme dans l’épure et la contemplation.

De passage dans un troquet bruxellois, Grégoire Gerstmans nous rappelle que, parfois, les apparences sont trompeuses. En le voyant s’attabler avec son café à la main, il serait tentant de lui inventer des vies parallèles, de l’imaginer star du nu metal, poids lourd du gangsta rap ou leader d’un groupe de punk-hardcore. Bras incrustés de tatouages, dégaine de bûcheron, le grand barbu qui se tient là, face à nous, se complaît pourtant dans la lenteur et la fragilité des émotions. Architecte de bandes-son délicates et rêveuses à souhait, le pianiste liégeois est, à l’instar de figures comme Nils Frahm, Ólafur Arnalds ou Hania Rani, l’un des maillons du mouvement néo-classique.

"Après les cours à l’académie, je rentrais chez moi ou j’allais chez mes grands-parents. Dans les deux cas, je tuais le temps en jouant du piano."

Grégoire Gerstmans
Musicien

En dialogue avec son piano, Grégoire Gerstmans sort aujourd’hui un premier album intitulé "Hypnagogie". Mais avant d’enregistrer ce disque, le musicien a déjà vécu mille vies. Né en 1985 à Liège, il cultive un riche héritage familial. À Hannut, l’académie de musique porte d’ailleurs le nom de son grand-père, Julien Gerstmans. "Il est à l’origine de l’institution", indique le petit-fils. "Il était directeur et prof de violon. Mon père a suivi son exemple." Pilier de l’Orchestre Philharmonique de Liège, le violoniste Éric Gerstmans s’est par ailleurs distingué sur des disques signés Alain Bashung, William Sheller, Niagara, Einstürzende Neubauten ou Dominique A. "Moi, étrangement, je n’avais aucun don pour le violon", s’étonne Grégoire. "Je me suis donc tourné vers la batterie. Après les cours à l’académie, je rentrais chez moi ou j’allais chez mes grands-parents. Dans les deux cas, je tuais le temps en jouant du piano. J’associe cet instrument à l’enfance, à la pureté des notes et des sentiments."

Grégoire Gerstmans - Hypnagogie

Il était une fois en Amérique

Au terme d’un cursus de dix ans à la batterie, le percussionniste classique découvre "Smells Like Teen Spirit", Nirvana et l’odeur du grunge. Sur un coup de tête, il revend ses cymbales et sa grosse caisse pour acheter une guitare électrique. Pied enfoncé sur une pédale de distorsion, Grégoire Gerstmans appréhende la culture rock et ses origines. "J’ai commencé à me passionner pour le blues", explique-t-il. "J’ai entamé une série de périples aux États-Unis pour assimiler les bases de ce genre indissociable de l’histoire afro-américaine." Parti à la rencontre des plus vieux bluesmen du pays, l’artiste arpente les routes de l’Arkansas, de Louisiane et du Mississippi. À Clarksdale, au confluent du Delta, là où Robert Johnson aurait vendu son âme au diable, c’est la révélation: "Au coin de la rue, à même le trottoir, un gars était posé avec sa guitare. Il jouait en prise directe avec le réel. Sans tricher. Je n’avais jamais entendu quelque chose d’aussi authentique."

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"Mon rapport à l’instrument est assez insouciant. Je ne suis pas un virtuose, loin de là. Je fonctionne à la sensibilité. Ce qui m’anime, c’est de retranscrire la pureté du son et de l’instant."

Grégoire Gerstmans
Musicien

De retour en Belgique, Grégoire Gerstmans entame une carrière de professeur de guitare à l’Atelier Rock, à Huy. En marge de ses leçons, le musicien produit également des disques et réalise des clips pour d’autres artistes (Dan San, Aucklane, Condore, etc.). Secouée par la crise sanitaire, sa trajectoire bifurque subitement avec le confinement. "J’étais seul à la maison. J’en ai profité pour faire le point et réfléchir à ma musique. J’aspirais à une forme d’expression beaucoup plus épurée." Il se glisse alors derrière un piano et compose une petite ritournelle intitulée "Aujourd’hui". "Sans explication, ce morceau est apparu au casting de 'Piano Chill', une playlist disponible sur Apple Music Classical. Un demi-million de personnes l’écoute chaque semaine. C’était assez déstabilisant... Parce que, de prime abord, je n’ai ni la prétention ni la légitimité de me présenter en tant que pianiste. Mon rapport à l’instrument est assez insouciant. Je ne suis pas un virtuose, loin de là. Je fonctionne à la sensibilité. Ce qui m’anime, c’est de retranscrire la pureté du son et de l’instant."

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Oiseau de nuit

Mis en œuvre à l’aide d’un vieux piano Schimmel rafistolé avec passion, "Hypnagogie" enferme neuf compositions alanguies, toutes enregistrées sous les voûtes en bois d’un grenier. L’endroit participe à l’atmosphère du disque. Entre deux notes, le craquement du plancher ou le chant lointain d’un oiseau s’invitent en effet à l’expérience contemplative orchestrée par Grégoire Gerstmans. "J’ai placé des micros partout dans la pièce. J’ai tout enregistré en une prise, sans rien retoucher. Le moindre mouvement s’entend", précise-t-il. "Cet album s’est construit de nuit ou aux premières lueurs du jour. C’était la seule façon d’esquiver les bruits du trafic routier."

Imaginé en marge des tensions du monde, "Hypnagogie" explore l’espace et le temps qui s’égrène. Seul au piano, l’artiste belge creuse ainsi, à sa façon, le sillon néo-classique déblayé par des personnalités comme Max Richter, Yann Tiersen ou Jóhann Jóhannsson. "Quand je joue, je pense davantage à Thom Yorke qu’à Chopin", souligne-t-il. "Je réfléchis avec des codes totalement extérieurs à la musique classique." Le titre de son premier album, "Hypnagogie", est une référence à l’état semi-conscient qui précède l’endormissement. "C’est un moment éphémère, intercalé entre l’éveil et le sommeil. Cela me semblait parfaitement indiqué pour évoquer ma musique." À écouter de jour comme de nuit.

Néo-classique

"Hypnagogie"

Composé par Grégoire Gerstmans

Label: Pias

Note de L'Echo:

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