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Une valse oubliée de Chopin retrouvée dans un coffre-fort à New York

Un manuscrit autographe de Chopin, 1810-1849. ©The Morgan Library & Museum

Une partition inédite de Chopin dormait dans un coffre-fort new-yorkais depuis près de 200 ans. Une découverte exceptionnelle? Pour le pianiste italien Costantino Mastroprimiano, il faut tempérer cet enthousiasme.

Elle ne dure qu’une bonne minute, mais on ne parle plus que d’elle dans les milieux mélomanes. Une valse inédite de Frédéric Chopin se trouvait dans les précieuses archives de la Morgan Library and Museum de New York, où elle a été découverte par le conservateur Robinson McClellan.

Frédéric Chopin
Frédéric Chopin ©Louis-Auguste Bisson

Contée au New York Times, publiée le 27 octobre, l’histoire a fait le tour de la planète en moins de temps qu’il n’en faut pour lire le précieux manuscrit. Qui, s’il était validé, porterait à vingt, et non plus à dix-neuf, le nombre de valses composées par Chopin, décédé en 1849 à Paris, à l’âge de 39 ans.

Rétroactes. C’est en triant des collections que le conservateur de la bibliothèque new-yorkaise a eu le regard attiré par une partition où étaient inscrits le mot "valse" (ou "waltz") et le nom de Chopin. Doutant néanmoins de la paternité de cette pièce, il n’aurait, selon ses dires, "pas reconnu la musique". Mais n’en aurait pas moins consulté Jeffrey Kallberg, spécialiste du compositeur polonais à l’université de Pennsylvanie.

Cette valse, il faut le reconnaître, n’est sans doute pas la plus pétillante de Chopin. Mais est-elle vraiment de lui?

S’appuyant sur "un examen en profondeur de l’encre et du papier de la partition, mais aussi sur une analyse de l’écriture musicale et du style", le verdict est tombé: c’est bel et bien une partition autographe de Chopin, une valse composée entre 1830 et 1835, et qui ne compte que 48 mesures. Affaire pliée donc, et déjà sur les pupitres de certains pianistes (et YouTube). L’article publié sur le web par le New York Times est d’ailleurs accompagné d’une vidéo de Lang Lang interprétant cette valse, qui, il faut le reconnaître, n’est sans doute pas la plus pétillante de Chopin. Mais est-elle vraiment de lui?

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La valse en question interprétée par Lang Lang

Doutes plausibles

Cette question, nous l’avons posée au pianiste italien Costantino Mastroprimiano, fin connaisseur de Chopin dont il a analysé nombre de partitions autographes.

Le pianiste italien Costantino Mastroprimiano relève plusieurs bizarreries sur la forme et sur le fond.
Le pianiste italien Costantino Mastroprimiano relève plusieurs bizarreries sur la forme et sur le fond. ©BeCulture

Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa réponse tempère le triomphalisme du communiqué copié-collé à l’infini dans les médias et sur les réseaux sociaux. Selon lui, en effet, il y a trop d’éléments troublants, tant sur le plan de la graphie que de la musique, pour pouvoir être aussi assertif.

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"Ce manuscrit est dédicacé, il n’est pas signé. Or Chopin signait toujours ses partitions dédicacées."

Costantino Mastroprimiano
Pianiste

"Il y a encore du travail pour les experts en graphologie, affirme-t-il d’emblée. Au premier coup d’œil, je relève déjà trois bizarreries. Le "s" de l’abréviation "cres" (crescendo) n’est pas celui que fait Chopin d’habitude. De plus, la double barre finale est très différente de toutes celles présentes dans les partitions de Chopin. Enfin, alors que ce manuscrit est dédicacé, il n’est pas signé. Or Chopin signait toujours ses partitions dédicacées. »

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C’est cependant sur le plan musical que Costantino Mastroprimiano réalise des constats troublants. "Ainsi, il écrit la notation "3 F", qui signifie jouer très fort, ce qui est plutôt bizarre au début d’une petite valse. De plus, ce "3 F" ne porte pas sur des notes graves ou moyennes comme très souvent, mais sur des notes aiguës, ce qui était très difficile à obtenir avec les pianos Pleyel de l’époque de Chopin. En fait, une telle indication n’aurait pas été très professionnelle de sa part!"

"Certains passages sont rythmiquement inexacts. Or Chopin est toujours très précis à chaque étape de ses compositions."

Costantino Mastroprimiano

Même interrogation quant à "des triolets dans lesquels il manque la valeur d’une croche pour compléter la mesure". Inexactitude peu crédible de la part d’un tel compositeur, d’autant plus, souligne encore Mastroprimiano, "que certains passages sont rythmiquement inexacts. Or Chopin est toujours très précis à chaque étape de ses compositions." Autre fait troublant, l’indication d’un doigté, c’est-à-dire des doigts à utiliser: "Chopin ne met presque jamais d’indication de doigté, sauf quand le passage est très difficile ou inhabituel. Or ici, il y a une indication sur un passage très facile…".

Sage hypothèse

S’il ne nie pas les évidentes affinités avec les partitions autographes de Chopin, Mastroprimiano préfère retenir le communiqué qu’il estime "fort sage" publié par le directeur de l’Institut Chopin de Varsovie.

"Il semblerait donc que la valse découverte à New York était plutôt un exercice réalisé par un(e) élève de Chopin, réalisé sous son contrôle."

Costantino Mastroprimiano

"Il cite un précédent qui doit nous interpeller, souligne le pianiste. On a, en effet, longtemps pensé que le Nocturne en do mineur et la Valse en la mineur publiées par la Baronne de Rothschild étaient de Chopin. Or, l’on est à peu près certain aujourd’hui qu’il s’agissait très vraisemblablement d’œuvres écrites par la baronne et corrigées par Chopin, qui était son professeur…"

Conclusion de Mastroprimiano: "Il semblerait donc que la valse découverte à New York était plutôt un exercice réalisé par un(e) élève de Chopin, réalisé sous son contrôle." Si tel était le cas, on reconnaîtra au moins à l’élève un don certain.

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