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interview

Aurore Fattier (metteuse en scène): “Il faut entrer en discussion avec les dinosaures”

La comédienne et metteuse en scène Aurore Fattier. ©Laetitia Bica

À 43 ans, Aurore Fattier quitte Bruxelles pour la Normandie où elle prend la direction de la Comédie de Caen. Elle veut y insuffler un climat de travail bienveillant et redonner au slogan “la culture pour tous” tout son sens.

Aurore Fattier a marqué les théâtres de Belgique francophone par ses mises en scène de pièces, souvent issues du répertoire classique. «Phèdre» pour commencer. «L’Amant» d’Harold Pinter. «Elisabeth II» de Thomas Bernhard. «Othello» de Shakespeare. «Hedda» d’Ibsen. Complice du Théâtre de Liège, du Théâtre de Namur ou du Varia, elle s’en retourne créer et assurer la direction artistique d’une scène nationale (CDN) dans son pays d’origine.

Vous arrivez à la tête de la Comédie de Caen en même temps que Rachida Dati au Ministère de la Culture. Vous pensez que vous avez des points communs?

La question piège! (Rires) Sa caractéristique principale étant qu’elle vient du gouvernement de Nicolas Sarkozy, je ne pense pas qu’il y ait de points communs. Mais il va falloir qu’on travaille ensemble. J’attends de voir.Je n’ai pas vraiment de points de comparaison. Comme vous le savez, j’étais en Belgique depuis vingt ans où les liens entre ministère et théâtres sont moins pyramidaux. On peut facilement accéder aux gens, ce qui permet une communication plus limpide entre opérateurs et politiques via les syndicats qui nous représentent.

Ici, les relations entre les centres dramatiques nationaux (CDN) se passent à travers les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), censées appliquer la politique culturelle dans les régions.

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À ce propos, le Ministère a présenté des chiffres montrant qu’il dépense neuf fois plus d’argent en Ile-de-France que dans toute autre région…

Moi, je me perçois comme l’instrument de la décentralisation. C’est un combat quotidien d’obtenir autant de moyens en région, ça devient de plus en plus compliqué, même s’il y a une volonté ministérielle d’aller dans ce sens, et même si, en Normandie, l'échiquier centre-droit est extrêmement soutenant. Ce qui n’est pas le cas partout en France.

"La "culture pour tous', c’est aussi sortir de nos lieux et de nos certitudes pour aider les gens à accéder de manière philosophique mais aussi économique au théâtre."

Aurore Fattier
Directrice artistique de la Comédie de Caen

On touche là au fameux slogan repris par Dati de la «culture pour tous» dont Le Monde dit qu’en un basculement vertigineux, il est devenu un slogan de droite “fumeux et aux résultats incertains, qui cacherait une attaque contre la création”. Vous en pensez quoi?

Il y a une crainte des syndicats que ça deviennent le maître-mot du nivellement par le bas de la culture, qu’on arrête de prendre des risques [de création], etc. Je pense qu’on peut ne pas l’entendre comme ça. On peut y voir une volonté tout à fait fondamentale d’attirer des publics empêchés vers le théâtre, de revoir nos politiques tarifaires, de renforcer le “pass culture”. C’est aussi sortir de nos lieux et de nos certitudes pour aider les gens à accéder de manière philosophique, mais aussi économique au théâtre.

Aurore Fattier.
Aurore Fattier. ©Gael Maleux

Quelle sera votre stratégie par rapport aux publics empêchés?

En tant que metteuse en scène, j’ai pu travailler avec de grosses maisons de production européenne, mais je viens aussi de terminer mon premier spectacle en itinérance avec la Comédie de Reims. Ce concept n’existe quasiment pas en Belgique. On vous envoie en résidence sur un territoire parfois très rural ou paysan. Vous répétez, avec les moyens des mairies ou d’autres partenaires locaux, dans des lieux parfois pas du tout équipés: maisons de retraite, maisons culturelles, écoles. Vous organisez des médiations, lectures avec les personnes âgées, les scolaires, etc. que vous intégrez à la création. En tant qu’artiste, il faut avoir cette vocation-là de s’adapter à des lieux non dédiés, de faire des rencontres humaines autres qu’artistiques.

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"En tant qu’artiste, il faut avoir cette vocation-là de s’adapter à des lieux non dédiés, de faire des rencontres humaines autres qu’artistiques."

Aurore Fattier
Directrice artistique de la Comédie de Caen

Cela donne beaucoup de sens, et c’est aussi une façon de court-circuiter les idées d’extrême droite de manière sensible. C’est mon projet aujourd’hui: amener des artistes de toute l’Europe à Caen, aller vers le territoire en produisant des spectacles participatifs et en itinérance. Une restitution de l’ensemble des formes se ferait ensuite à Caen lors d’une journée européenne qui permettrait aux gens de se rencontrer. Puis, pour nous aider à repenser l’institution de l’intérieur, à décloisonner les spectacles tels que présentés habituellement, je ferai appel à des personnes extérieures au théâtre: par exemple, une historienne de l’art, un architecte, une journaliste qui vont permettre de produire d’autres formes, de proposer d’autres formats.

Aurore FATTIER, metteure en scène de Hedda, interview par Marie-Laure BARBAUD pour M La Scène

En 2022, Jan Fabre a été condamné pour agression sexuelle et violences. C’est quelqu’un avec qui vous aviez (très brièvement) travaillé. Comment garantir la sécurité de toutes et tous dans le milieu théâtral?

Je pense qu’un virage s’est enclenché, notamment dans les écoles par rapport au corps des comédiens et des comédiennes. Il y a de gros problèmes de harcèlement sexuel et moral à tous les niveaux. Comme dans tant d’autres secteurs, le risque de burn-out est aussi élevé dans notre milieu. Il faut changer les choses et c’est aussi ma responsabilité: que les équipes artistiques qui traversent le théâtre soient respectées, et que le personnel ici soit respecté. Les réglementations existent. Je crois qu’il faut essayer d’entrer en discussion avec les dinosaures avant qu’il ne soit trop tard. S’emparer du problème avant qu’il ne s’envenime.

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