Étienne Davignon: "Il y a un problème Dujardin à Bozar"
Après le licenciement du directeur du département musique, le 22 septembre dernier, d'autres pertes d'emploi sont annoncées à Bozar où syndicats et certains membres-patrons sont vent debout contre le management du CEO, Paul Dujardin.
Sophie Wilmès (MR), intronisée jeudi ministre des Affaires étrangères du nouveau gouvernement fédéral, garde sous sa tutelle le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar) et les deux autres institutions culturelles bicommunautaires (La Monnaie et l'Orchestre national). Un outil de softpower et de diplomatie internationale non négligeable. Mais c'est sur la scène intérieure qu'elle va devoir agir, demandant d'emblée au conseil d'administration de Bozar, présidé par Étienne Davignon, un rapport sur les remous sociaux qui déstabilisent l'institution depuis le 22 septembre dernier, date à laquelle on apprenait par voie de presse le licenciement abrupt d'Ulrich Hauschild, le directeur du département Musique, pilier principal, avec les Expositions, de Bozar.
Directement relayée par des médias internationaux, Forum Opéra et France Musique, l'annonce inaugurait une séquence syndicale dont la dramatisation est allée crescendo, au rythme de la formation de la coalition fédérale "Vivaldi". Il fallait en effet attendre un gouvernement de plein exercice pour statuer sur le renouvellement de la direction générale du palais des Beaux-Arts, assurée ad interim depuis un an et demi par le directeur actuel et candidat à sa propre succession. Or les syndicats, en front commun, ne veulent pas d'un 4e mandat de six ans pour Paul Dujardin. Le traitant d'abord de Macbeth, du nom du personnage fourbe et sanguinaire de Shakespeare, dans un tract distribué au personnel, les syndicats demandaient ensuite à l'intéressé de démissionner, puis à Sophie Wilmès de ne pas renouveler son mandat.
Audit interne
Le licenciement de M. Hauschild intervient en effet deux ans après celui du rédacteur Xavier Verbeke, qui réalisait les programmes du département musique, suscitant une motion de défiance, validée en assemblée générale du personnel, à l'encontre de 3 membres du comité de direction de Bozar, MM. Wastiaux, De Breuck et Dujardin, respectivement, directeur opérationnel, DRH et CEO. Motion renouvelée en 2019 tandis qu'un audit interne mettait au jour les dysfonctionnements de l'institution et qu'un nouveau règlement de travail, entré en vigueur le 1er janvier, était censé calmer le jeu en clarifiant la structure décisionnelle, le fonctionnement opérationnel et la concertation interne.
"La vraie raison de ce licenciement, et que les syndicats n'ont pas voulu croire, c'est que nous avons un problème budgétaire important en 2021."
On le voit, il n'en est rien, d'autant que les syndicats ne sont plus les seuls à monter au créneau. À l'autre bout du spectre, les membres-patrons (Bozar Patrons) qui soutiennent l'institution à hauteur d'un million d'euros par an sont aussi échaudés par le licenciement de M. Hauschild. Le 19 septembre, soit trois jours avant la diffusion du malencontreux communiqué de presse, ils étaient conviés à un concert en leur honneur à l'issue duquel Paul Dujardin et son bras droit, Jérôme Giersé, directeur transversal artistique, tressaient sur scène des louanges à M. Hauschild, avant d'apprendre, par un mail du département funding, son éviction puis son remplacement par ledit Jérôme Giersé.
"Problème budgétaire important"
"Une erreur technique", a dû rectifier Étienne Davignon, dans un autre message à leur intention. Mais le mal était fait. "J'ai reçu la vidéo de la scène d'un membre-patron qui ne décolère pas de s'être senti manipulé", témoigne Pascale Vallois, permanente syndicale FGTB. "Nous avons des alliés inattendus."
Étienne Davignon, président du conseil d'administration de Bozar, n'en campe pas moins sur la justification du licenciement donnée à l'issue du comité de direction de lundi dernier. "La vraie raison de ce licenciement, et que les syndicats n'ont pas voulu croire, c'est que nous avons un problème budgétaire important en 2021, pour les raisons que vous avez devant les yeux. Or, nous sommes dans l'obligation légale d'avoir un budget en équilibre, ce qui veut dire que nous devons diminuer les coûts si nous ne voulons pas réduire la production artistique qui est notre raison d'être. À partir de ce moment, le coût de M. Hauschild pour 2021 - car il ne part pas avant 2021 pour faire la transition avec la nouvelle direction artistique - réduit d'autant l'économie sur d'autres membres du personnel."
"Licenciement non négociable"
De source syndicale, deux listes de personnes à licencier circuleraient. 25 employés seraient concernés si l'ensemble du personnel ne renonçait pas à sa prime de fin d'année et 10, en l'occurrence, où figurerait le nom de M. Hauschild. "Le licenciement de M. Hauschild était non négociable", affirme Pascale Vallois. Interrogé par nos soins, Paul Dujardin a d'abord récusé l'existence d'un plan de départs, avant de dire: "Pas 10". "4 personnes", tranche, laconique, Étienne Davignon, "M. Hauschild compris."
"Il y a un sentiment que M. Dujardin s'occupe trop de tout et ne laisse pas assez de liberté aux chefs de département et à l'intérieur de ces départements."
Une fois les faits posés, les interprétations divergent. Pour le président du CA, le licenciement de M. Hauschild est justifié par la crise budgétaire engendrée par le Covid et non par une volonté de mainmise de Paul Dujardin sur le département Musique, comme en attesterait la nomination d'un nouveau directeur, Jérôme Giersé, et d'un adjoint, Roel Vanhoeck. Le licenciement de M. Hauschild servirait de prétexte aux syndicats pour demander la tête de Paul Dujardin au moment où se pose le renouvellement de la direction du palais. "Il y a un problème Paul Dujardin, il n'y a pas de débat là-dessus", a toutefois concédé Étienne Davignon. "Il y a un sentiment que M. Dujardin s'occupe trop de tout et ne laisse pas assez de liberté aux chefs de département et à l'intérieur de ces départements. Ce sentiment est partagé. Il y a un malaise qui dépasse la position des syndicats."
Une source interne confirme ces propos. "L'une des lignes de force qu'a révélée l'audit approfondi de 2019, c'est la confiscation du pouvoir décisionnel des chefs d'équipe et une ingérence artistique dans les départements. Le middle management est vidé et amorphe face à un pouvoir autocratique qui balaie tout sur son passage."
"On a toujours trouvé les fonds pour se financer"
Une attitude aiguillonnée par le modèle économique de l'institution dont les subsides confondus ne représentent que 45% des revenus (chiffres de 2019) contre 59% pour la billetterie, les aides à la production, le mécénat, le sponsoring et la location de salles. La dotation fédérale de 12,5 millions d'euros, ne couvre même pas les 15 millions que pèsent les 357 collaborateurs de Bozar (dont 299 équivalents temps plein).
"Au 1er janvier, Bozar a quasi 20 millions de frais certains et 16 millions de recettes certaines. On doit trouver ces quatre millions en plus des 13 à 15 millions pour financer les projets artistiques, pour un budget total compris entre 30 et 35 millions", explique Alain Jollivet, chef comptable, délégué syndical et, durant 6 mois, directeur financier ad interim. "Il y a toujours eu ce débat: faut-il maintenir le projet artistique au niveau des ressources fixes ou fallait-il le développer en trouvant l'argent nous-mêmes? Les dernières années ont donné raison à Paul Dujardin parce qu'on a toujours trouvé les fonds pour se financer. Mais on se rend compte qu'au moindre couac - et le Covid en est un! - le système vacille. D'où, je crois, une certaine nervosité et une pression permanente sur les équipes et sur tout le monde, car on est toujours sur le fil du rasoir."
"Il y a ceux qui ont peur et les rebelles"
"Cela a toujours lancé Paul Dujardin dans une course frénétique aux projets développés par sa garde rapprochée", reprend notre source interne, "qui en ponctionnant sur les ressources opérationnelles du palais apportent une surchauffe d'événements complètement éclatés sous couvert de recueillir des subsides." "Ce système a été supprimé", tempère Étienne Davignon. "Nous avons maintenant une situation beaucoup plus effective qui repose sur le comité de direction. On est dans une situation simple où les activités artistiques sont promues par les départements ce qui permet d'avoir une vue artistique et budgétaire globale."
"Je suis parmi les rebelles dans un monde culturel très conservateur et allergique au changement. Je ne suis pas le fou qu'on décrit ou qui crée de la confusion."
Attablé au Café Victor, Paul Dujardin préfèrerait faire profil bas en reconnaissant plusieurs erreurs de communication. "Mais le monde change à toute vitesse. Je vois ces changements, je suis rationnel, je ne suis pas dans la révolution, mais nous sommes dans une culture de la transformation. Il y a ceux qui ont peur et les rebelles. Moi je suis parmi les rebelles dans un monde culturel très conservateur et allergique au changement. Je ne suis pas le fou qu'on décrit ou qui crée de la confusion. Ça, c'est de la jalousie des syndicats." Ainsi justifie-t-il en filigrane la nécessité de bousculer un département musique trop conservateur. "Aujourd'hui, on parle d'inclusivité, de genre, de décolonisation. Il faut poser ces questions et pouvoir réagir aux opportunités sans être trop élitaire. On dit que j'ai révolutionné le palais il y a 20 ans, mais je le révolutionne tous les ans!"
Ulrich Hauschild, auquel Paul Dujardin a appris son licenciement le 28 août dernier, s'interroge toujours sur ses motivation. "Je n'ai pas de réponse. Nous n'avons pas discuté de son changement d'orientation. Cette discussion n'a jamais eu lieu. Que nous ayons été unis dans le département n'était pas une source de problèmes. Bozar Music dégageait du surplus. Il est ainsi faux de dire que les salles étaient à moitié vides, comme il est faux de dire que nous ne soutenions pas les artistes et institutions belges. Nous avons même planché sur une saison qui tire parti du covid. C'était de notre responsabilité, partagée avec mon équipe."
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