L'esprit de Bozar se réveille la nuit
Chaque dernier jeudi du mois, de 18h à minuit, Bozar se livre tout entier aux noctambules pour 10 euros. Une fièvre qu'on n'avait pas connue depuis longtemps: essayer la nocturne, c'est l'adopter!
Les nocturnes à Bozar, qui permettaient aux visiteurs de découvrir les expositions chaque jeudi, jusqu'à 21 heures, n'ont rien d'une nouveauté. Mais l'arrêt forcé du covid a poussé l'institution de la rue Ravenstein à repenser l'exercice de fond en comble. D'autant que d'autres maisons avaient pris les devants pour donner à la formule late night une approche beaucoup plus événementielle.
Les nocturnes de Bozar, rebaptisées dans le jargon maison "Bozar All Over the P(a)lace", ne se donnent dorénavant que les derniers jeudis du mois, mais dans une formule étendue jusqu'à minuit et qui ajoute à la découverte des expositions une savante dramaturgie de visites guidées, lectures, performances, petits concerts et DJ-sets. Sans oublier une petite restauration desservie dans le hall Horta, épicentre de la nocturne, d'où on peut rayonner dans tous les coins et recoins du célèbre paquebot moderniste.
Atout non négligeable, l'entrée ne coûte que dix euros, et si on dispose déjà d'un billet pour une autre activité qui se déroule au même moment – un concert dans la salle Henri Le Bœuf, par exemple –, on a aussi accès à toutes ces activités nocturnes.
Public jeune
Et il faut le voir pour le croire: la formule fonctionne au-delà de toute espérance, notamment auprès des jeunes, petit bonnet de marin vissé sur la tête, jeans à ourlet, tatoo en exergue et semelles compensées. C'est toute une jeunesse branchée qui, d'un pas nonchalant, va et vient dans les salles d'exposition, s'assied sur des poufs pour entendre quelques notes de classique par un quatuor de guitares dont les instrumentistes, fagotés comme des rockeurs des années 50, ont leur âge. Et le pas se règle sur le beat d'un DJ qui s'échauffe sur sa console, plantée au milieu du Hall Horta. On ne verra pas son visage, remplacé par un petit miroir rond qui reflète le vôtre. Très cool!
"Il faut imaginer que les Ballets russes de Diaghilev se sont produit dans le Hall Horta, en 1929, un an après l'inauguration du Palais! La performance est inscrite dans la genèse de Bozar."
Pour une ou deux heures, l'auteur de ces lignes avait soudain quinze ans de moins et la sensation de revivre l'énergie du Bozar des grandes années, d'avant les crises financières, le covid, le clash social et l'incendie de 2021. Mais, il y avait surtout cette intuition de voir se concrétiser sous nos yeux le Palais des Beaux-Arts voulu par son nouveau CEO, Christophe Slagmuylder, qui, en venant du KunstenFestivaldesArts et des Wiener Festwochen, sait ce qu'une performance multidisciplinaire veut dire.
Multidisciplinaire
"Quand Christophe est arrivé, il a tout de suite vu qu'il y avait là une opportunité de faire évoluer la formule dans une grande soirée transdisciplinaire où nous pourrions montrer toute la diversité artistique de Bozar et attirer un autre public", confirme Évelyne Hinque, managerial head of exhibitions. "Et ce fut un succès d'emblée avec 700 personnes pour la première édition, organisée en février 2023".
Entre février et juin, plusieurs formules ont été testées, comme des visites guidées alternatives, des performances, des expériences littéraires, avant de procéder à l'engagement d'un programmateur dédié aux nocturnes.
"Quand Christophe Slagmuylder est arrivé, il a tout de suite vu qu'il y avait là une opportunité de faire évoluer la formule dans une grande soirée sensuelle transdisciplinaire."
"Je voulais qu'on travaille deux grands axes", enchaîne Paul Briottet, artistic associate to the CEO – l'heureux élu –, qui achève un mandat de 10 ans au Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence. "Je voulais renouer avec l'histoire du lieu et lui redonner une étincelle. Il faut imaginer que les Ballets russes de Diaghilev se sont produit dans le Hall Horta, en 1929, un an après l'inauguration du Palais! La performance est inscrite dans la genèse de Bozar qui n'a pas d'équivalent en matière de diversité artistique."
Il poursuit: "Ensuite, ce lieu est un vrai poumon au cœur de la ville, qui se traverse par plein d'entrées, plein d'espaces. En quatre heures, le public a l'occasion de s'approprier ce lieu, de naviguer d'un espace à l'autre, de se rencontrer et de se mettre à la disposition de la surprise. On se rencontre collectivement et c'est nécessaire: il suffit de voir comment va le monde aujourd'hui..."
Un récit dans le récit
Les nocturnes, qui font le trait d'union entre l'after hours et le monde de la nuit, s'enchaînent généralement comme suit: visites guidées des expositions, performances musicales ou chorégraphiques, projections, bar et DJ-set. "C'est tirer le fil d'une pensée", reprend Paul Briottet. "On construit une histoire avec des points d'entrée. Le public peut arriver n'importe quand, mais si on fait tout le parcours, on aura mieux compris Chantal Akerman."
Le programmateur fait référence à l'une des expositions du moment à Bozar, consacrée à la grande cinéaste belge, et qui fait l'objet du thème de la dernière nocturne de la saison, ce jeudi 23 mai. "DJ Chloé a évolué dans des clubs lesbiens de Paris avec toute une communauté artistique qu'aurait pu croiser Chantal Akerman. On ne cherche pas l'illustration, mais à étendre le récit autour de la thématique du moment", poursuit-il.
Quant à la Latifa Laâbissi, également au programme, elle exécutera une performance sur "Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce", le film culte d'Akerman.
Reste à savoir si ce format expérimental va infuser sur l'ensemble de l'organisation et sur l'intégration des équipes artistiques de Bozar. Réponse avec la grande "Opening Week" de la rentrée, qui s'achèvera, le 26 septembre, par... une nocturne.
Nocturne
"‘Bozar All Over the P(a)lace - Nocturne Akerman’"
Au programme: 3 expos (dont "Chantal Akerman - Travelling") - visites guidées - performances de Latifa Laâbissi - lecture de Circé Lethem - DJ-sets de CHLOE & Saphhist Eye
Bozar - 23 rue Ravenstein - 1000 Bruxelles
> Le jeudi 23 mai 2024, de 18h à minuit (dernière nocturne de la saison)
Prix: 10 euros tout compris
Note de L'Echo:
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