Le bestiaire loufoque d'Euripides Laskaridis danse à Liège et Charleroi
Liège et Charleroi accueillent la nouvelle création d’Euripides Laskaridis: avec "Lapis Lazuli", l’inclassable performeur grec poursuit ses errances entre épouvante et drôlerie.
Le tonnerre gronde, des jeux d’ombre dévoilent la danse macabre d’un squelette et de clowns inquiétants. Et puis le voilà. Le plus bouffon des loups-garous de tous les temps! Avec ses yeux rouges et son gros blair, son costume d’épouvantail à moineaux, sa queue velue, ses dents pointues et ses longs ongles manucurés, le féroce prédateur s’installe dans un transat pour siroter un Coca en serinant bêtement «beautiful beautiful beautiful».
Le cheveu qu’il a sur la langue, et les litres de choses qu’il régurgite dans une bassine (il vomit même du linge et une carabine) finissent, entre fascination et dégoût, par le rendre imbuvable. Mais hilarant. Infiniment. Ce loup-là appartient bien au bestiaire excentrique et loufoque d’Euripides Laskaridis, et s’ajoute sans nul doute à la collection d’invraisemblables créatures qui peuplent son univers, depuis que le chorégraphe grec s’amuse à les incarner, à tour de rôle, dans des spectacles totalement hors norme. Une forme hybride unique (à la croisée de la performance, de la danse et des arts visuels), qui mêle grotesque, comique et horrifique, et qui explore sans fin les thèmes de la métamorphose et du ridicule.
Du rêve au cauchemar
Comme les héros des précédentes créations de l’artiste, toutes gorgées de non-sens – «Relic» (2015), «Titans» (2017) et «Elenit» (2019) – qui poursuivent par ailleurs leurs insolentes tournées mondiales, le loup de «Lapis Lazuli» montrera ses crocs à Charleroi et Liège. Logique, puisque c’est en bord de Meuse qu’il serait né: un Laskaridis peu bavard, comme exténué après la première du spectacle à Athènes, en avril dernier, expliquait que la vision de cet ultime faune affreux lui était apparue en songe, à Liège, précisément, peu après la pandémie de covid…
L’œuvre semble chercher à explorer une multitude de dualités intrigantes, creuse la relation existentielle que chaque être humain noue au fond de sa panse avec ses propres terreurs, puis se dérobe, comme ça, à la raison.
Tissant sur scène un réseau dense d’antithèses qui mixent le conscient à l’inconscient, le matériel au spirituel, le rêve au cauchemar, «Lapis Lazuli», dont le titre se réfère à la roche semi-précieuse homonyme (son nom latino-persan, qui signifie «pierre azur», évoque simultanément une origine terrestre et céleste), n’en reste pas moins une énigme intégrale: l’œuvre semble chercher à explorer une multitude de dualités intrigantes, creuse la relation existentielle que chaque être humain noue au fond de sa panse avec ses propres terreurs, puis se dérobe, comme ça, à la raison.
C’est poétique et troublant.
Entre malaises et éclats de rire, des décors bizarres (un boudin gonflable, sorte de condom géant, pénètre et sort d’un cercle de lumière) souvent teintés de bleus, laissent apparaître, fulgurantes, des réminiscences du masque de Toutankhamon, des peintures Renaissance du Titien ou des travaux monochromes d’Yves Klein. Mais ce loup-là, même très cartoonesque, nous paraît bien antipathique.
Ds une scène forte, qui rappelle la tuerie du Bataclan, le loup abat tout ce qui bouge autour de lui, après avoir été attaqué au moyen d’une… lime à ongles, brandie par une danseuse somnambule hystérique…
Il est même parfois résolument inquiétant: dans une scène forte, qui rappelle la tuerie du Bataclan, l’animal abat tout ce qui bouge autour de lui, après avoir été attaqué au moyen d’une… lime à ongles, brandie par une danseuse somnambule hystérique…
Lui vient ensuite l’idée de décapiter, fleurs sur la tête, une montagne de poulets, de cochons et de moutons en peluche, d’où s’écoulent des flots de pièces d’or. C’est poétique et troublant. Hallucinant. Désespérant. Comme marmonne le loup grimaçant, qui ne parle quasiment pas durant 75 minutes d’intenses extravagances, «it’s a difficult difficult difficult life». Il n’a pas tort.
Performance - danse - arts visuels
"Lapis Lazuli"
Mise en scène d'Euripides Laskaridis (compagnie Osmosis)
Création pour 5 danseurs
Note de L'Echo:
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