Les multiples voix d’Eddy Bellegueule à l’Atelier 210
L’adaptation théâtrale du premier roman d’Édouard Louis, "En finir avec Eddy Bellegueule", en fait bien plus qu’une autofiction.
Eddy Bellegueule est le vrai nom de l’auteur Édouard Louis. «En finir avec Eddy Bellegueule» marque, en 2014, son entrée en littérature. Il a 22 ans. Dans un premier roman écrit à cet âge, on se raconte. Et ce que fait Édouard. Il revient sur son enfance dans un village du nord de la France, Père ouvrier à l’usine. Mère au foyer, comme on dit. Un milieu plus que modeste où un père se doit de transmettre certaines valeurs à son fils, comme celle de devenir «un dur».
Cette injonction masculiniste, Eddy ne peut la satisfaire. Au foot, il préfère les chansons de Céline Dion. Eddy est ce que son père appelle avec mépris une «gonzesse», une «tarlouze», un «pédé». Pour ne pas décevoir, pour ne pas être différent des autres et ne pas appartenir au groupe qui l’a vu naître, il va essayer d’être «normal». En vain. Adolescent, il comprendra assez vite que son salut, s’il existe, réside dans la fuite. Il doit quitter ce milieu.
L’adaptation théâtrale du roman d’Édouard Louis est née du désir des trois comédiennes du collectif LaBécane: Janie Follet, Louise Manteau et Sophie Jaskulski. Il ne s’agissait pas de seulement porter les mots de l’auteur sur une scène mais aussi de faire entendre d’autres voix, d’autres histoires. En particulier les leurs. Un roman comme «En finir avec Eddy Bellegueule» est de ceux qui libèrent une parole. Celle de l’auteur, celle aussi des lecteur·rices.
Toutes les peurs
Dans cette adaptation, où elles interprètent tous les rôles tour à tour avec François Maquet, tout le monde se raconte. Tout le monde peut se reconnaître. Parce que le texte ne parle pas que l’homophobie, il aborde aussi toutes les formes de rejet, de racisme. Toutes les peurs. Peur de manquer, peur des regards, peur des différences. Mais il y a de l’amour aussi dans les rapports qu’Eddy entretient avec ce père rustre et violent qui ne trouve pas les mots justes. Trop de pudeur à dire «Je t’aime» à un homme, fût-il de son sang.
Jessica Gazon réussit avec le texte d’Édouard Louis à rendre universel un propos autocentré par essence.
En mettant ce projet en scène, Jessica Gazon creuse le sillon de l’autofiction au théâtre. Après avoir créé «Celle que vous croyez» de Camille Laurens avec Valérie Bauchau, elle réussit avec le texte d’Édouard Louis à rendre universel un propos autocentré par essence. Et même si le récit est terrible (parfois terrifiant), «En finir avec Eddie Bellegueule» est traversé par une joie et un humour souvent féroce. On rit beaucoup. Mais attention pas «de»: «avec» les personnages.
Théâtre
"En finir avec Eddy Bellegueule"
Écrit par Édouard Louis
Mis en scène par Jessica Gazon
Avec Janie Follet, Louise Manteau et Sophie Jaskulski (collectif LaBécane), et François Maquet
Jusqu'au 29 avril 2023
Chaussée Saint-Pierre 210, 1040 Etterbeek (Bruxelles)
Note de L'Echo:
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