"Il est grand temps, en Belgique, de retrouver l'esprit de l'Expo 58"
L'apéro de L'Echo avec Thierry Geerts (Google Belgium)
D’accord, c’est beau. D’accord, c’est grand. D’accord, c’est brillant ce petit morceau de la Belgique d’antan. Mais bon, se taper l’Atomium un jeudi matin polaire en ce début d’automne, c’est l’horreur quand même. C’est pas tellement les tunnels, fermés. C’est pas tellement le site, protégé. C’est pas tellement les touristes, gelés. Non, c’est plutôt qu’à l’Atomium, folies de grandeurs sans doute, on a aménagé le site comme à Barcelone.
Du genre petit corner café à l’intérieur, chauffage à fond et grandes fenêtres ouvertes sur une gigantesque terrasse; le tout dans un pays où la température moyenne est de 10°, là où celle de la ville catalane carbure à du 17 de moyenne. Non, franchement, c’est intelligent. Visiblement, la vague verte n’a pas mouillé les pieds du géant de fer mais la bonne nouvelle, c’est que si la ministre de l’Energie cherche toujours comment nous chauffer cet hiver, elle pourra toujours venir y fermer les fenêtres.
Que buvez-vous?
Thierry Geerts, CEO de Google Belgique
Apéro : Un bon vin blanc
Fréquence : Jamais en semaine
Bar préféré : Villa in the Sky, à Bruxelles
Gueule de bois "À mon âge (52 ans), il m’en faut peu pour que cela m’arrive."
Dernière cuite : Chez un ami qui a une très belle cave et chez qui il a dû rester dormir
Plus qu’un bar, c’est un couloir, avec des tabourets en demi-selle de cheval, sur laquelle on grimpe comme sur l’animal, et quelques petites tables toutes sales. Mais celles-ci sont déjà occupées par des Russes en doudoune qui s’enfilent des tartines dans des barquettes en plastique. Y’a des Japonais aussi, en baskets et casquettes "I love Belgium", des retraités allemands qui attaquent leur première bière et des Italiens, lunettes Persol sur le nez et qui, comme partout, sont toujours les plus chics. À part ces quelques petites différences, tous ont en commun de grands sacs à dos, des chaussures de trekking, des bouteilles d’eau et un peu de nourriture dans un sac en plastique. Au cas où. Des fois que nous n’aurions toujours pas l’eau potable et électricité et qu’on leur demanderait à la fin de la visite de descendre de la grosse boule en rappel.
Une fierté
Arrive alors Thierry Geerts, tout pimpant et accompagné de son attaché de presse. ça tombe bien, on vient de sauter sur une table. Le lieu? C’est lui qui l’a choisi, c’est son préféré parce que l’Atomium reste "une fierté" et lui rappelle qu’il est "temps de changer". Comme en 58, où la petite Belgique se retrouvait ratiboisée après les deux guerres et reléguée au second plan des grandes puissances industrielles, elle qui avait été un jour, le centre du monde. "Malgré tout, on s’est dit on s’en fout, on va construire l’Atomium, organiser une exposition universelle et on fera venir 18 millions de visiteurs. Et à l’époque, il n’y avait pas Ryanair", glisse-t-il l’œil complice avant de conclure qu’aujourd’hui en 2018 "il est grand temps de refaire pareil". Entendez: arrêtez de subir l’éclat des grandes puissances comme la Chine ou les USA, affronter la vague de la digitalisation (thème de son livre "Digitalis", NDLR) et oser faire de la petite Belgique, la capitale de ce nouveau monde.
Il commande alors un cappuccino, triple sucre et poursuit sur le choix du lieu pour son "Apéro de L’Echo" expliquant que le temps des apéritifs, c’est comme le temps des longs déjeuners d’affaire, c’est complètement fini: "C’est l’influence positive de la Silicon Valley, aujourd’hui, on déjeune tous à la cantine, on court-circuite le système hiérarchique et en une heure de temps, on a tout vu avec nos rendez-vous extérieurs."Un modèle inspirant, clairement, même si le patron de Google avoue être plus réservé sur le système américain trop orienté "profit" et très menaçant quant à la sécurité d’emploi. Non, son propos se veut plus nuancé et son plaidoyer consiste plus dans: "Gardons ce qu’il y a de bon dans la culture européenne et adaptons-nous pour inventer un nouveau monde et ce, grâce à la digitalisation." Parce que non, la digitalisation ne veut pas dire déshumanisation, c’est l’exact contraire et ça, peu de gens le comprennent réellement.
"Il suffit de voir les résultats des élections, les gens sont paniqués parce qu’ils pensent être en crise et plébiscitent des populistes un peu partout. Or de toute l’histoire, il n’y a jamais eu autant de gens au travail qu’aujourd’hui", conclut-il avec passion tandis que l’attaché de presse opine du chef devant son café.
Mutation
Certes, mais que faire de ces gens, sans qualification et qui se retrouvent balayés du marché du travail au profit du digital, un peu comme dans le secteur de la grande distribution qui annonçait récemment encore de grands plans de restructuration. "Clairement, c’est une période de mutation. Mais je ne pense que les travailleurs seront gagnants à long terme, quand on regarde les caissières aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’elles soient très heureuses à scanner à grande vitesse des produits et qu’humainement ce soit très enrichissant pour elles." Citant alors l’exemple d’Amazon Store, Thierry Geerts explique que le nombre d’employés n’a pas changé et qu’aujourd’hui, justement, avec des employés dispatchés dans les rayons pour dispenser des conseils aux clients, le rapport humain est nettement plus présent qu’avant. La digitalisation, donc.
5 dates clés
1992 : Naissance de son premier enfant (quatre au total)
1995 : Envoi de son premier e-mail, il dirigeait alors une entreprise de blanchisserie industrielle
2011 : Engagement chez Google
2012 : Lecture d’"Abondance", de Peter Diamandis, un choc!
2015 : Formation en leadership à Istanbul qui lui a ouvert de nouveaux horizons en lui faisant comprendre que "chaque activité a un impact sur le monde"
Pour changer? C’est simple, mais cela se joue à plusieurs niveaux de responsabilité: "Celle des entreprises, d’abord, qui doivent clairement se digitaliser (30% des entreprises belges seulement sont présentes sur le net, NDLR), celle de l’Etat, qui doit les accompagner, et celle des travailleurs enfin, qui doivent accepter d’apprendre un nouveau métier, voir de se déplacer là où on pleure pour trouver des travailleurs." En Flandre, donc.
Non, non, ce n’était pas mieux avant. D’ailleurs, quand il a commencé sa carrière, Thierry Geerts recevait régulièrement des listes avec les noms des employés de plus de 50 ans qu’il convenait de licencier parce qu’ils coûtaient trop cher. "Aujourd’hui, c’est fini. Justement avec la digitalisation, on recherche à nouveau des talents. Vous avez vu qu’en Flandre, De Lijn vient de réengager des travailleurs pensionnés pour reprendre du service?" ajoute-t-il en vidant d’un coup, le reste de son cappuccino.
Populisme
Précisément, avec des élections qui se tenaient le mois dernier, le changement est-il maintenant? "Il y a à boire et à manger. De la peur face à un certain populisme mais aussi de l’enthousiasme, clairement, face à la prise de conscience de l’environnement et la capacité d’avoir vu certains partis arriver à négocier."
Maintenant, l’homme n’en dira pas plus, francophone à l’origine, il vit à Anvers et question mayorat et résultat, il évacue diplomatiquement la question par "C’est une très belle ville!" En tout cas, lui refuse de devenir un Anversois typique qui considère qu’"Anvers, c’est Anvers, et le reste n’est que du parking" même s’il trouve sa ville plus humaine ou cohérente que Bruxelles, Londres ou Paris.
Balayant le reste de l’actualité, on atterrit finalement sur le footballgate qui jour après jour continue de dévoiler son lot de petites saletés. Ce qui l’a le plus frappé, c’est qu’après avoir assisté à l’assainissement du monde politique, le monde du foot ne s’est pas dit: "Tiens, ça va être notre tour." "Non, aucun d’eux n’avait réalisé que le monde des réunions à portes fermées ou celui où l’on distribuait des bakchichs comme des bonbons s’était écroulé aussi. Transparence, diversité, partage des responsabilités et du pouvoir, nous sommes plus humains que nous ne l’avons jamais été et moi je dis au foot: bienvenue dans l’air de la digitalisation!"
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