Travailler moins, gagner plus?
La chronique de Benoît Mathieu
Le sujet nous chipote depuis un bon bout de temps – il faut dire qu’il est sans doute dans notre nature de petit rat d’être chipoté. La réduction du temps de travail. Une question de société dont on est persuadé, on l’a déjà écrit ici, qu’elle finira par s’imposer à nouveau sur le devant de la scène, tant la configuration actuelle a parfois tendance à opposer emploi et vie de famille, ce qui est absurde.
Mais là n’est pas le propos du jour. Ce qui nous perturbe, ce sont les termes dans lesquels ce débat est posé au sein de l’espace politique francophone. En campagne, hein, celui-ci survivant rarement aux élections.
A ma gauche, le PS d’Elio Di Rupo, qui prône le passage généralisé à la semaine de quatre jours, avec maintien du salaire et petit massage à la nuque en fin de journée. Entendons-nous: on ne dit pas que la recette ne semble pas alléchante, pour le travailleur du moins. Ni même qu’elle ne pourrait pas prendre, de-ci, de-là.
Entre 1960 et 2017, la durée de travail annuelle a chuté de près de 28%. Et le revenu disponible réel des ménages a connu une progression de 255%.
On est juste perplexe quant à l’aspect systématique de la chose. Qui reviendrait à faire grimper de 20% le coût du travail made in Belgium. Fameux choc de compétitivité, donc, même si l’on s’est toujours méfié des "benchmarks" parfois un brin partiels, et de la course au moins-disant, dont on sait que rien de bon n’en sortira. Surtout que l’embauche compensatoire, brandie en guise de contrepartie presque miraculeuse, ne coule pas forcément de source.
A ma droite, vous vous en doutiez, les libéraux. Charles Michel himself en tête. Qui assène: "L’illusion de l’ultra-gauche selon laquelle on pourrait tous travailler beaucoup moins en gagnant plus n’adviendra jamais!"
Là, ça nous a gratouillé encore plus.
Alors on a farfouillé sur les internets. On est allé sonner au Bureau du Plan et à la Banque nationale, afin qu’ils se plongent dans leurs grimoires. On a passé un coup de fil à un économiste – rendons à Etienne de Callataÿ ce qui lui revient –, histoire de mettre un petit peu d’ordre là-dedans.
Bon, soyons de bon compte: certains de ces chiffres sont poussiéreux et émanent de "rétropolations" (si, si); ne vous attachez donc pas à la virgule près, mais aux tendances qui se dégagent.
En Belgique, la loi fixant le travail à 8 heures quotidiennes et 48 heures hebdomadaires date de 1921. La première semaine de congés payés remonte officiellement à 1936. Voilà pour la préhistoire. Entre 1960 et 2017, la durée de travail annuelle effective par tête de pipe occupée a chuté de près de 28%, passant de 2.140 à 1.546 heures. Sur la même période, le revenu disponible réel des ménages – aka le pouvoir d’achat – a connu une progression de 255%. Autrement dit, voilà des lustres que l’on travaille moins pour gagner plus; il ne s’agit nullement d’une utopie mais d’une réalité confortablement installée.
Comme quoi, on peut être Premier ministre et piètre prédicateur économique.
Bien sûr, il ne faut pas confondre concomitance et causalité. Ce n’est pas parce que le temps de travail s’est réduit que la prospérité a... prospéré. Non, ce qui a permis le tout, c’est l’accroissement de la productivité, réparti plus ou moins équitablement jusqu’au milieu des années ‘70, et un peu moins depuis.
Et l’on se prend à penser que les solutions en la matière seront multiples, et peut-être un tantinet moins prétentieuses sur le plan salarial – si l’on trime moins, est-ce ignoble de ne pas être rémunéré autant? On se félicite de cette avancée promise: à l’avenir, un congé parental pourra être saucissonné par tranches de demi-journées; vive la modularité. On rêve toujours de congés de parentalité allongés, qui puissent, et doivent, être partagés entre parents. Et l’on prie – c’est dire! – pour que dans ce joli pays, les sujets de société soient traités avec doigté et finesse, plutôt que lancés à pleine pogne à la face de l’adversaire.
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