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Tribune | Nous aurions tort de sous-estimer la montée en puissance des Brics

Ex-ministre allemand des Affaires étrangères et vice-chancelier

Peu pris au sérieux en Occident, les Brics sont devenus un tremplin pour des pays qui veulent rompre avec l'ordre mondial existant ou accroître leur "soft power".

L'Occident commettrait une grave erreur en considérant le récent sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui s'est tenu à Kazan – la capitale "islamique" officieuse de la Russie – comme une manifestation anti-occidentale de peu d'importance. Les gouvernements occidentaux aimeraient peut-être croire que ce sommet a montré un manque d'unité et de substance, mais la réalité est plus compliquée.

Les Brics ont progressé vers leur objectif de servir de plateforme multilatérale indépendante de l'Occident et de toutes les économies dépendantes du dollar ou de l'euro.

La Chine, la Russie, le Brésil et l'Inde ont créé les Bric en 2006 (l'Afrique du Sud les a rejoints en 2010) pour faire contrepoids au G7, le club des principaux pays industrialisés occidentaux, et plus largement à l'ordre mondial dominé par les États-Unis. Bien que l'initiative n'ait jamais été prise au sérieux en Occident, les Brics sont devenus une plateforme multilatérale non seulement pour des pays comme la Chine et la Russie – qui veulent mettre fin à la domination occidentale et, dans le cas de la Russie, établir un nouvel ordre mondial explicitement anti-occidental – mais aussi pour des puissances émergentes plus neutres.

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En outre, le groupe s'est récemment élargi pour inclure non seulement l'Iran et l'Éthiopie, mais aussi l'Égypte et les Émirats arabes unis, qui ont tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec les États-Unis et d'autres gouvernements occidentaux (l'Arabie saoudite a accepté une invitation à rejoindre le groupe, mais ne l'a pas encore fait officiellement). Il a donc progressé vers son objectif de servir de plateforme multilatérale indépendante de l'Occident et de toutes les économies dépendantes du dollar ou de l'euro.

Un club qui ne cesse de s'agrandir

Compte tenu des implications à long terme, l'Occident ne doit pas confondre le désir de la Russie de défaire l'ordre mondial avec les objectifs stratégiques du reste du groupe.

L'importance à long terme de ces progrès ne doit pas être sous-estimée, surtout si l'on considère que d'autres économies émergentes ont exprimé leur intérêt à rejoindre le groupe. Au cours de ce siècle, les Brics+ pourraient bien devenir le véhicule du "reste", opposé à l'Occident. Il s'agirait là d'un résultat dialectique frappant de la mondialisation et du programme de libre-échange promu par l'Occident au cours des dernières décennies.

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Compte tenu des implications à long terme, l'Occident ne doit pas confondre le désir de la Russie de défaire l'ordre mondial avec les objectifs stratégiques du reste du groupe. Le président russe Vladimir Poutine et son cercle restreint vivent peut-être dans leur propre monde imaginaire du XIXe siècle, mais on ne peut pas en dire autant de la Chine, de l'Inde, du Brésil, de l'Afrique du Sud ou des nouveaux membres arabes. Eux ne cherchent pas à rompre avec l'ordre mondial existant ou avec l'Occident, mais plutôt à accroître leur influence, leur reconnaissance et leur prestige à l'échelle mondiale. C'est particulièrement vrai pour la nouvelle superpuissance qu'est la Chine.

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Une opportunité également pour l'Occident

La situation représente à la fois un défi et une opportunité pour l'Occident, à condition qu'une seconde présidence de Donald Trump ne vienne pas ouvrir les lignes de fracture mondiales existantes. Si l'Occident reste politiquement et culturellement uni, il continuera à jouer un rôle de premier plan au XXIe siècle malgré ses défis démographiques. Mais il devra apprendre à partager le pouvoir.

Les puissances émergentes doivent reconnaître qu'un pouvoir et une influence économiques accrus s'accompagnent d'une plus grande responsabilité.

La décolonisation a commencé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a près de 80 ans. Lorsque les Nations unies ont été fondées en 1945, elles ne comptaient que 51 États membres; aujourd'hui, après une longue période tumultueuse au cours de laquelle de nombreux nouveaux États-nations ont émergé des anciennes colonies européennes dans l'ensemble du sud, elles en comptent 193. Pourtant, malgré l'accession généralisée à la souveraineté formelle, il n'y a jamais eu de véritable redistribution du pouvoir et des richesses.

À partir de la fin des années 1970, la Chine est sortie de la prison idéologique maoïste qu'elle s'était imposée. Elle a commencé à s'intégrer progressivement dans l'économie mondiale dominée par l'Occident, un processus qui s'est accéléré après son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce en 2001. Avec l'ouverture de la Chine et la fin de la guerre froide à la fin des années 1980, un nouvel ordre mondial est né. Qu'on le veuille ou non, la montée en puissance des Brics est l'expression de ce changement historique.

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Le désir des marchés émergents et des économies en développement de revendiquer leur part du pouvoir et de la richesse mondiale est tout à fait compréhensible et justifié. Le monde occidental devrait cesser de réagir de manière défensive et ignorante à la poursuite par ces pays de leurs intérêts légitimes. Mais les puissances émergentes doivent reconnaître qu'un pouvoir et une influence économiques accrus s'accompagnent d'une plus grande responsabilité.

La résurgence de la guerre à l'ère des armes nucléaires et de l'IA représente une menace internationale sans précédent. Le G7 et les Brics+ sont confrontés au même danger; tout le monde est dans le même bateau.

Un nouvel ordre mondial rééquilibré nécessitera toujours des règles fermes fondées sur des valeurs universellement acceptées. Sinon, le chaos, la violence et la guerre s'ensuivront. Si un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, à savoir la Russie, envahit son voisin (l'Ukraine) sans raison, il remet en question les principes fondateurs de l'ONU et l'ordre mondial qui prévaut.

La résurgence de la guerre à l'ère des armes nucléaires et de l'intelligence artificielle représente une menace internationale sans précédent. Le G7 et les Brics+ sont confrontés au même danger; tout le monde est dans le même bateau, avec les mêmes responsabilités partagées.

Le fait que deux grandes puissances autoritaires aux ambitions impériales dirigent les Brics rend la nécessité d'une diplomatie mondiale d'autant plus urgente. Un avenir fondé sur la loi du plus fort signifie en fin de compte un retour à un passé bien connu, un passé que la création de l'ONU et de ses conventions fondatrices était censée mettre définitivement au rancart.

Quelles règles les pays Brics+ entendent-ils suivre? Le monde mérite une réponse à cette question cruciale.

Joschka Fischer
Ex-ministre allemand des Affaires étrangères et ex-vice-chancelier

Copyright Project Syndicate, 2024.

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