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reportage

Denain, ville "oubliée" et terre de chasse du Front national

©Colin Delfosse

À Denain, près d’une personne sur deux vote FN. La ville, victime de la désindustrialisation, connaît des vicissitudes. Mais elle abrite aussi des pépites prometteuses.

"Dans les années 60, on allait acheter sa fourrure à Denain. Aujourd’hui, la ville détient le triste record du chômage le plus élevé de France", dit Thierry Macé. Le front déterminé et le regard perçant, le directeur de la Ruche des entreprises, une pépinière de PME, envisage l’ampleur de sa tâche. Et du désastre industriel.

Ancien joyau de la sidérurgie française, Denain s’est effondrée à la fin des années 70 après la fermeture d’Usinor. Le géant de l’acier employait 40.000 personnes, dont un tiers de Denaisiens. La ville a perdu la moitié de ses habitants. Environ 37% de la population est au chômage. Près d’une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté. À cette réalité s’ajoutent un problème de logement et la présence de marchands de sommeils.

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©Colin Delfosse

Denain n’a jamais récupéré son lustre. Son théâtre, témoin de la splendeur passée, trône au milieu de commerces désaffectés, de restaurants "kebab" et de maisons d’ouvriers dont certaines, condamnées, attendent un improbable propriétaire.

Dans la rue s’égaie une foule bigarrée. Des forains montent des attractions pour le Carnaval de Printemps, une fête incontournable dans le nord. Une file s’allonge devant la roulotte d’une friterie adossée à l’église.

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Le bureau du Front national, en plein centre, exhibe une affiche conspuant avec cynisme les migrants. Aux élections régionales de 2015, le parti d’extrême-droite est monté à plus de 47% des voix. Le siège de la députée-maire Anne-Lise Dufour-Tonini, une socialiste, est menacé.

Le local du parti d’extrême droite est accolé à celui d’une alliance de partis d’extrême gauche où s’affairent des supporters de Jean-Luc Mélenchon. À deux pas, le bâtiment de la mairie, tout de béton et de verre, tranche avec l’ensemble.

Un dépotoir à deux pas de l’ancienne ouvrière

Près de la rue Pierre Bériot se dresse le terril Renard, décrit par Zola dans Germinal. À ses pieds sont alignés d’anciens corons où le temps semble suspendu. Des enfants jouent dans une ruelle étroite malgré l’heure de l’école, aux abords de dizaines de poubelles entassées et d’un chantier.

Une décharge au coeur de la cité. En face, le terril Renard décrit par Zola.
Une décharge au coeur de la cité. En face, le terril Renard décrit par Zola. ©Colin Delfosse

"Vous êtes de la presse? Venez, venez avec moi", lance Didier Duvivier, un habitant. Il nous emmène à cent mètres de là, au travers d’un petit bois. "Ils viennent d’abattre un mur pour construire un nouveau lotissement, et nous avons découvert qu’il cachait ça."

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Devant nous s’étendent à ciel ouvert plusieurs hectares de détritus déchiquetés d’où s’élève une odeur âcre. Un gigantesque dépotoir, à deux pas du quartier le plus populaire de Denain, en dépit des règles d'hygiène. "Je vivais près d’un dépôt d’ordures sans le savoir", enrage-t-il. "Nos maisons n’ont plus aucune valeur, elles vont être déclassées. La mairie m’a dit qu’elle n’était pas au courant."

Pour comprendre l’agencement de la ville, il suffit de gravir le terril Renard. La vue aérienne dévoile une cité bâtie pour servir l’industrie sidérurgique, aujourd’hui dans l’attente d’un redémarrage.

Au-delà du dépôt sauvage et de l’entrelacs des maisons de l’ancienne cité ouvrière, s’étend un gigantesque Carrefour. Le supermarché à la taille démesurée, bâti au cœur de Denain, semble avoir avalé les derniers commerces du centre.

La ville, dotée d’infrastructures correctes, n’a pas perdu son potentiel de croissance. L’autoroute n’est pas loin, un tram relie son centre à Valencienne. La voirie est en bon état, les aménagements sont nombreux et des nouveaux quartiers témoignent de la volonté d’extension.

Denain espère beaucoup du projet de canal "Seine-Nord" qui reliera un jour le port du Havre au Benelux.

Une ruche de "pépites" pour développer la ville

Denain, ville contrastée, connaît aussi de belles histoires. Depuis son installation en 1988, la Ruche des entreprises, soutenue par la communauté d’agglomération, a contribué à créer plus de 200 PME. "Nous avons le sentiment de contribuer à la reconstruction de la ville. Ici, au cœur du chaudron, nous arrivons à faire émerger des nouvelles entreprises", dit Thierry Macé. "Les PME que nous aidons ont un taux de pérennité trois fois supérieur à la moyenne."

Coacher, former, héberger, mettre en relation. La ruche apporte son soutien aux entreprises jusqu’à ce qu’elles puissent voler de leurs propres ailes. Elle accueille le porteur de projet, l’aide à évaluer sa rentabilité, à concevoir son business plan et, le cas échéant, à obtenir ses financements.

"Ici, au cœur du chaudron, nous arrivons à faire émerger des nouvelles entreprises."

thierry macé
directeur de la ruche d’entreprises de denain

Quand l’entreprise est sur les rails, elle l’accueille au sein de ses locaux. "Nous disposons de 35 hébergements de qualité. Les entrepreneurs s’occupent de leurs affaires, et nous des tracasseries annexes." Les loyers sont modestes. De 276 euros par mois pour un local de 13 mètres carrés à plus de 1.000 euros pour un atelier de 150 mètres carrés. "C’est déjà une somme élevée pour les gens d’ici." Chaque année, cinq entreprises s’envolent. "Quand ils quittent la ruche, l’important c’est qu’ils essaiment dans la région."

La plateforme a ses success story, comme ATH Medical, un spécialiste de la traçabilité d’appareils médicaux, devenu international. Ou Ankama, créateur d’un jeu en ligne, qui occupe plus de 450 employés.

"Même si le passif de Denain est très lourd, on sent une volonté des élus locaux de faire bouger les choses", ajoute le directeur. "Après, les miracles, on ne peut pas en faire. On ne peut pas effacer comme ça une casse de trente ans de désindustrialisation. Cela va prendre encore deux générations pour y parvenir."

Le Front national en embuscade

En attendant des jours meilleurs, le Front national grandit sur le dépit des denaisiens, leur peur de l’avenir, et leur fait miroiter l’illusion d’un retour à la France du passé.

Lindsay, accoudée au comptoir du Café de la Paix, au centre de Denain.
Lindsay, accoudée au comptoir du Café de la Paix, au centre de Denain. ©Colin Delfosse

"Je vote FN. J’ai le droit", dit Gérard, un tuyauteur soudeur, "si tu veux du développement, il faut voter FN". Nous sommes au Café de la Paix, au centre de Denain. Une discussion politique vient de démarrer, à peine masquée par les brouhahas s’élevant d’un distributeur automatique à Tiercé et d’un écran télé. Derrière son zinc, la serveuse Lindsay assiste, imperturbable, à la scène.

"Arrête, ça sert à rien de voter FN!", réplique Rachid, un client franco-marocain. "Tu crois qu’ils vont changer les choses en faisant juste passer quelques lois?" Lindsay hausse les épaules, perplexe.

"Socialistes, républicains… Ils sont tous allés au gouvernement et ils n’ont rien fait, à part s’enrichir", surenchérit Gérard, dont on apprend que la clientèle se trouve en Belgique. "Les gens travaillent pendant quarante ans. Pourquoi? Pour finir avec 700 à 800 euros de pension!".

"C’est comme ça en France, personne n’aime la politique, mais tout le monde en parle."

Malek

La discussion entre les deux hommes n’en finit plus. Passionnée mais amicale. C’est ainsi, au Café de la Paix. Un de ces bistrots français convivial où l’on commence par vous dire que la politique n’intéresse personne et qui finit par tourner en agora où les hommes refont le monde, en mieux ou en pis. "C’est comme ça en France, personne n’aime la politique, mais tout le monde en parle", s’amuse Malek, un autre client.

Les Roms, entre ragots et insertion

Depuis un an et demi, de plus en plus de Roms s’installent dans la ville. Arrivés de Roumanie et de Hongrie, les nouveaux venus occupent les logements laissés vacants par la désindustrialisation. Beaucoup sont ferrailleurs.

©Colin Delfosse

La cohabitation n’est pas aisée. "Je n’ai pas de problème avec eux, mais les Roms et nous, c’est deux mondes différents. On se parle pas", explique un commerçant immigré de deuxième génération.

Ragots et préjugés vont bon train, alimentant un lisier propice au FN. Tout en creusant le fossé entre les populations. Le nombre de Roms arrivés à Denain est, lui-même, sujet à discussion. Selon les sources et les humeurs, il varie entre "tout au plus 500" et "au moins 2.000".

La ville s’est-elle préparée à cette arrivée? Existe-t-il une politique d’intégration ciblée? Malgré nos sollicitations, la mairie ne nous a pas répondu. Lors d’une conférence de presse, Anne-Lise Dufour-Tonini a affirmé que les Roms étaient évalués au nombre de 1.000, évoquant une guerre entre les clans et dénonçant les marchands de sommeil.

Le FN a sauté sur l’occasion pour noircir encore plus le tableau. "Il faut se méfier des chiffres, c’est du comptage ethnique et c’est interdit", explique Anne-Emmanuelle Bonnard, une habitante impliquée dans la vie associative de la commune. "La mairie a parlé de situation explosive, elle a dénoncé une guérilla urbaine entre les Roms et demandé un plan Marshall pour la ville. Mais c’est exagéré. Denain est une ville où il fait bon vivre."

©Colin Delfosse

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