Aya Nakamura, la badass du french RnB
Si depuis un an, vous avez échappé au phénomène Aya Nakamura, c’est que vous étiez probablement sur la Lune. Seule artiste française noire à s’exporter à l’international, la chanteuse d’Aulnay-sous-Bois est en passe de devenir l’équivalent de Rihanna.
La première fois qu’on a personnellement entendu parler d’Aya Nakamura, c’était il y a un an. Enfin, on a surtout entendu une bande de jeunes filles s’époumoner avec gaieté sur le refrain de "Djadja". "Oh Djadja, y a pas moyen Djadja, j’suis pas ta catin Djadja, genre en catchana tu dead ça." La mélodie irrésistible est très inspirée par le dancehall, style musical jamaïquain. La vidéo de ce morceau a été vue plus de 367 millions de fois. On y voit la sculpturale Aya, entourée d’un groupe de filles, faire la leçon à un mec qui a prétendu avoir une liaison avec la chanteuse. Et elle répète: "Y a R." Y a rien.
De Rihanna à Neymar, toute la planète people a flashé sur la chanson d’Aya. Même ceux qui n’en comprenaient pas le sens. Comme le très sérieux quotidien britannique The Guardian qui avouait, en janvier dernier, qu’au début, il avait pensé que "Djadja" était une ballade sentimentale. Aux Pays-Bas, le journal Het Volkskrant comparait ce morceau à "Non, je ne regrette rien" d’Edith Piaf. Parce que pour la première fois depuis 1961 et le succès de Piaf, une chanson française trônait à la première place des charts hollandais. En mai dernier, c’était au tour du New York Times de consacrer Aya parmi les quinze artistes européens qui comptent.
Du Mali à Paris
Née le 10 mai 1995 à Bamako, Aya Danioko était encore bébé quand sa famille a choisi de s’installer à Aulnay-sous-Bois, dans la banlieue parisienne. Aînée d’une fratrie de cinq enfants, elle s’intéresse d’abord à la mode avant de penser à la chanson. Pourtant, tout près d’elle, une personne au moins savait ce qu’il en retourne: sa mère. En effet, la mère d’Aya est une griotte, féminin de griot, appartenant à la caste de ces chanteurs traditionnels africains qui célèbrent les mariages et les enterrements. "Quand j’étais enfant, je me disais que jamais je ne parviendrais à faire ce que ma mère faisait. Elle avait une telle voix et une telle présence! Et j’étais bien trop timide pour m’imaginer chanter face à la foule", confia-t-elle au magazine américain The Fader.
Pourtant, poussée par ses frères et sœurs, la jeune fille de 19 ans alors, enregistra le morceau de zouk love "J’ai mal" et le posta sur YouTube. Vu le petit succès local que la vidéo engendra, les choses commencèrent à s’organiser autour d’elle. Son ami de toujours Dembo Camara quitta son job pour endosser celui de manager et Aya troqua son patronyme pour celui de Nakamura, un personnage de la série "Heroes" qu’elle "binge watchait".
En 2017, le milieu de la musique urbaine était en pleine effervescence et recrutait non-stop de nouveaux talents. Signée par le prestigieux label Parlophone, au sein de Warner Music France, Nakamura sortit son premier album, "Journal intime". Couronné par un disque d’or, cet album rendait, entre autres, hommage à Oumou Sangaré, la voix d’or du Mali, une icône pour la jeune Aya. Mais dès ce moment, elle dut régulièrement remettre les pendules à l’heure. Face à un auteur de rap, elle expliquait qu’elle ne faisait pas de rap. "Pourquoi parce que je viens de banlieue et que je suis noire, je ferais uniquement du rap? Est-ce qu’il m’a entendue? Je chante."
"On m’a proposé, pour des shootings photos, de faire la queen africaine. C’est quoi encore ce cliché? Qu’est-ce que tu me racontes la savane?"
C’est sûr, Aya chante. Et si elle s’inspire autant du RnB que de la musique africaine et des rythmes caribéens, elle ne minaude pas pour autant. C’est une de ses forces. Au moment de son deuxième album, son label l’a même encouragée à aller vers plus d’Afrique, de syncopes et de sons durs, comme le soulignait Libération.
Un modèle noir
Comme elle l’a expliqué à maintes reprises, Aya Nakamura a grandi sans modèle féminin noir dans la musique en France. Et elle a même avoué avoir été invitée à se blanchir la peau ou à utiliser des fonds de teint qui l’éclaircissaient pour réussir dans le music business. Plus jeune, elle se sentait proche d’une Diam’s pour l’attitude punchy mais encore une fois, Diam’s est blanche. Réussir quand on est une femme et une femme noire qui plus est, c’était cumuler les difficultés.
Alors qu’elle prétend ne pas trop savoir ce qu’est le féminisme, Aya ne cesse de placer ses billes en matière de prise de pouvoir féminin. Ou si vous voulez, elle est devenue un bel exemple de female empowerment dans un milieu dominé par les hommes. Et aux dernières nouvelles, elle devait avoir lourdé son manager puisqu’il nous est apparu qu’elle n’avait plus de manager…
Sur sa vie privée, on sait peu de choses si ce n’est qu’elle est maman d’une petite Aïsha de trois ans et qu’elle la conduit elle-même au jardin d’enfants. Ou qu’elle a dû changer de salon de beauté parce qu’elle n’en pouvait plus d’entendre les esthéticiennes la conseiller sur ce qu’elle devait mettre dans ses chansons. Ou qu’on lui a prêté une liaison avec le rappeur Niska qu’elle a niée. Ou que pour la charmer, il faut, par exemple, lui mitonner un foufou banane, un plat bien connu en Afrique de l’ouest. Au journal Le Parisien, elle déclarait il y a peu: "On m’a proposé, pour des shootings photos, de faire la queen africaine. C’est quoi encore ce cliché? Qu’est-ce que tu me racontes la savane? Je suis née dans la street."
Parlez-vous le nakamurien?
Aux journalistes qui réclament des traductions de ses textes, elle balance: "Je ne parle pas comme une gogole (une débile) pourtant. Y a des rappeurs, ils inventent bien pire. Ce qui étonne, c’est le fait que je sois une fille." Il faut bien avouer que mis à part son public de base, qui se conjugue surtout au féminin et dans la tranche des 12-18 ans (à vue de nez), la majeure partie des auditeurs/spectateurs ne captent pas forcément tout ce que cette reine de la punchline raconte dans ses morceaux. Y compris ceux de "Nakamura", son deuxième opus sorti à l’automne dernier, deux fois platine en France et disque d’or en Belgique.
La langue nakamurienne – appelons-la ainsi – est un concentré de français, d’argot, de bambara (langue malienne), d’arabe et d’expressions usitées dans les textos. À la Madeleine, la salle bruxelloise, où Aya a donné son premier concert belge de sa nouvelle tournée, en avril dernier, nous avons pu constater que même quand on ne comprend pas les paroles, la magie Nakamura prend instantanément. Derrière elle, on a aussi remarqué le batteur belge Simon Le Saint, qui fut, en son temps, le batteur de Stromae.
À 24 ans, Aya semble avoir compris ce qui était bon pour elle et pour sa carrière. Le très branché couturier Simon Porte Jacquemus en a fait une de ses muses et la marque de cosmétiques MAC vient d’annoncer une collaboration avec elle. S’il y a une autre artiste à qui la comparer pour l’instant, ce ne sera ni en France, ni en Belgique, mais bien aux Etats-Unis et ce sera Rihanna…
En concert le 25 août aux Solidarités à Namur et le 25 novembre à Forest National.