Sébastien Deletaille: "Cela va redonner confiance au citoyen"
Expectative des PME, chantiers de tailles pour les grandes structures, l'arrivée du RGPD ne sera pas passée inaperçue. Pour le CEO de la scale-up belge Riaktr, ce changement régulatoire de taille finira par profiter aux citoyens du Vieux Continent dans leur ensemble, avec l'espoir de leur redonner confiance après les scandales à répétition.
À la tête de Riaktr (ex-Real Impact Analytics), scale-up belge active dans le big data à destination des entreprises notamment du monde des télécoms, Sébastien Deletaille, son cofondateur, revient sur l'entrée en vigueur prochaine du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
"A plus long terme, ce changement régulatoire de taille finira par profiter aux citoyens du Vieux Continent dans leur ensemble."
Pour lui, à court terme, il est clair qu'il y aura en Europe une certaine forme d'expectative des PME, en l'attente de plus de clarté tant sur ce qui est réellement sanctionné en cas de faute que sur la manière dont il convient d'appliquer les textes de loi à la technique d'anonymisation des data par exemple. Par contre, à plus long terme, ce changement régulatoire de taille finira par profiter aux citoyens du Vieux Continent dans leur ensemble. Quitte à ralentir quelque peu l'innovation pendant un temps face aux géants chinois et américains. Un prix à payer pour redonner confiance après les scandales à répétition.
Le 25 mai se rapproche. Êtes-vous prêt?
Notre chance, c'est que nous avons des contrats où la relation avec les opérateurs télécoms pour lesquels nous travaillons est très très forte. Ce qui amène à ce que nous soyons considérés comme une entité faisant partie de l'enveloppe de l'opérateur. À ce titre, s'il respecte le règlement, nous le respectons aussi. C'est à lui de faire l'essentiel des démarches auprès de ses clients. Une grande différence pour nous alors que pour de nombreux acteurs, le RGPD a été une expérience d'avocats en campagne, centrée sur la menace et la peur plutôt que les mérites de la réforme.
CV express
Né en 1984, il étudie à la Solvay Brussels School avant de passer par la consultance chez McKinsey.
En 2009, il cofonde Real Impact Analytics, devenue Riaktr en février, dont il est le CEO.
En 2015, il est sélectionné parmi les "Innovators under 35" du MIT.
En 2016, sa boîte est sacrée "Entreprise prometteuse", année où il lève 12 millions d’euros auprès de Fortino,
Endeit et de Gimv.
De nombreux acteurs qui, dans le cas de start-ups, ont pu avoir du mal à se mettre en conformité. Quand ils l’ont fait…
La taille d'une entreprise influence effectivement sa compréhension et son aisance à adresser le règlement. Quantité de petites structures se tournent vers moi car elles n'en comprennent pas les tenants et aboutissants, mais en même temps, sans vouloir porter de jugement sur la manière dont l'Autorité de protection des données (APD) travaillera, je ne pense pas que grand-monde s'embêtera à attaquer un fleuriste en justice pour un envoi d'e-mail sans consentement de ses clients. Après tout, cela n'est très grave. Par ailleurs, pour ce qui est des entreprises de taille moyenne, quasiment toutes ont fait appel à un consultant pour leur donner une liste de recommandations qu'elles ont signé et c'était fini. Les grandes boîtes d'audit avaient toutes une offre à quelques milliers d'euros à cet effet. C'est en fait du côté des grandes structures que cela a amené à d'énormes chantiers. Outre les obligations de communication et de mise en ordre des bases de données, des équipes de gestion de dix voire quinze personnes ont dû être mises en place, travaillant parfois pendant deux ans autour de questions de gouvernance des données, réalisant des cartographies exhaustives, changeant l'ensemble de leurs contrats pour l'ensemble de leurs fournisseurs... Bref, cela a amené à un important investissement régulatoire, illustrant l'ampleur de la réforme.
À terme, ne risque-t-on pas avec ce règlement de brider l’innovation en Europe face à des pays plus libres?
Dossier RGPD
Les particuliers le découvrent mais dans les entreprises, on s’y prépare depuis des mois. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) entre en vigueur ce 25 mai 2018. Zoom sur cette nouvelle législation européenne qui concerne un demi-milliard de personnes. Et tous ceux qui les «suivent».
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C'est un risque, mais il convient de prêter attention à deux horizons de temps. À long terme, il est clair qu'il faudra du temps pour que la mesure porte ses fruits, la culture d'entreprise devant s'adapter. Par ailleurs, sur le long terme, le RGPD peut avoir un impact positif parce qu'il a permis à toute une série d'organisations de donner la priorité au nettoyage de leurs données et la mise en place d'une bien meilleure gouvernance. En fait, ce règlement a eu le mérite de mettre tout en haut de l'agenda leur gestion en la matière, permettant de quelque peu rattraper le retard qui peut exister face aux Etats-Unis ou à la Chine par exemple, deux pays qui sont beaucoup plus animés par la data.
Vous êtes souvent en contact avec d’autres acteurs de l’industrie technologique, que vous disent-ils?
"Les Gafa sont ceux qui font le plus attention à nos données."
Pour les professionnels du métier, il reste énormément de flou dans cette législation, notamment quant à l'application technique de la loi. C'est le cas en matière d'anonymisation des données lors de leur traitement par exemple. On en parle beaucoup dans le RGPD, mais sans en spécifier la manière: à l'entrée, durant le traitement ou à la sortie. En fonction d'où l'on place le curseur, une firme pourra moins en faire avec les données. Cela joue sur les tendances que l'on peut observer, de même que sur la cohérence et les analyses sur le long terme... Pour parler de notre division Data for Good qui a travaillé à combattre Ebola en Afrique de l'Ouest, si l'on avait dû appliquer le RGPD avec une anonymisation à l'entrée, je n'aurais pas pu aider Unicef à établir des zones de quarantaine.
Quel est le risque in fine de cette réalité?
Je pense qu'à cause de cela, de même qu'à cause des sanctions élevées qui planent, un certain nombre d'acteurs risquent d'être plus modestes avec ce qu'ils font de la data, voire de geler des projets. C'est un très gros frein à l'innovation à court terme. Les gens vont attendre de voir comment les choses évoluent. Alors que pour une start-up cela n'aura peut-être pas autant d'impact, car c'est plutôt habituel pour ce type de structure d'être à la limite du règlement, non pas qu'elle le recherche activement, mais bien qu'il s'agisse pour elle d'une manière d'innover. Mais pour les autres, de manière plus générale, l'on va voir à l'avenir tout un tas de procès qui montreront peu à peu les contradictions de la loi et son manque de clarté. Et là, je suis curieux de voir les arbitrages et la jurisprudence qui sera établie.
Quid des relations de sous-traitance, les grandes entreprises devant désormais y regarder à deux fois avant de choisir leurs partenaires?
Les start-ups seront très certainement affectées. En effet, les grandes structures ne donneront peut-être plus aussi facilement accès à leurs données, ce qui rendra moins aisées les collaborations. Là aussi, l'on est dans pour l'heure dans une situation de "wait and see".
Que pensez-vous, avec du recul, de ce changement de taille? Bonne mesure?
Dans l'ensemble, oui. Il faut la saluer. L'ambition derrière ce nouveau règlement est noble et a permis de mettre à jour le cadre régulatoire par rapport à la réalité des données telles qu'elles sont au XXIe siècle. Aussi, il va permettre de redonner confiance au citoyen par rapport à ce qui est fait avec ses données personnelles, a contrario de ce qui est fait dans des pays où les normes sont bien plus laxistes. Je suis fier qu'en Europe, l'on ait opté pour une vision plus orientée consommateur.
Faut-il y voir l’effet des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon, NDLR), dont la récente affaire dite Cambridge Analytica a une nouvelle fois mis en avant l’importance avec le siphonnage des données de quelque 87 millions de personnes dont 61.000 en Belgique?
Sur Terre, ce sont les meilleures entreprises de collecte, de gestion et de traitement des données... Les techniques d'anonymisation, d'agrégation, de respect de la vie privée, ont souvent été développées par leurs chercheurs et validées par les universités les plus réputées du monde comme le MIT ou Harvard. J'espère donc que la législation n'a pas été élaborée que pour les attaquer ou par jalousie du manque de champions Européens du web, mais bien pour mettre à jour un cadre régulatoire en net retard par rapport à l'état de la technique.
Ce qui n’a pourtant pas empêché Cambridge Analytica…
Il faut arrêter avec cela. Cambridge Analytica a fraudé le but initial de l'analyse des données. Il n'y a pas lieu d'argumenter face à des criminels. Ils seront poursuivis.
Quid du problème d’image?
Quand des crises comme celle-là sont autant médiatisées, cela traîne souvent dans la conscience collective et l'on commence à faire des raccourcis. Mais il est important de dire que le RGPD n'aurait rien changé. De même que dès qu'il entrera en vigueur, cela n'implique pas que de telles affaires ne se produiront plus. Par contre, ce genre d'histoire s'accompagne d'un risque majeur: actuellement, se généralise de façon assez claire une tendance anti-technologique, soutenue par des séries télé comme Black Mirror (poussant la logique de différentes technologies à l'extrême afin d'en montrer les dangers potentiels, NDLR), comme quoi cela va détruire des emplois, que les entreprises vendent les données des consommateurs... Ce genre de discours gagne du terrain et c'est très alarmant. On est en train de faire le procès d'une transformation profonde de notre société en mélangeant tout et n'importe quoi. Mon souhait avec le RGPD est que les citoyens voient que le cadre régulatoire évolue, en devenant assez protecteur, et que donc la technologie n'est pas forcément néfaste. Elles est un moyen qui, quand la finalité est bonne, présente un incroyable facteur d'impact.
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