Ce que les séries télévisées nous disent de l’Amérique de Trump
Ces dernières années, les séries américaines ont confirmé leur succès. Au point d’ébranler le piédestal d’Hollywood, qui n’est plus le seul baromètre cinématographique du monde, comme il a pu l’être (parfois) dans le passé. En témoignent les cérémonies des Emmy Awards, qui se disputent la palme avec les Oscars quant à qui tire le plus sur le président Trump. Alors, si les séries nous montrent l’Amérique d’aujourd’hui, que nous racontent-elles?
Par Serge Quoidbach - 19/12/2018
Big Little Lies
L’American Dream: la classe moyenne
© HBOLa série
- Titre: Big Little Lies
- Actrices principales: Nicole Kidman, Reese Whiterspoon et Shailene Woodley
- Année de création: 2017
- Plateforme de diffusion: HBO aux Etats-Unis et BeTV en Belgique
Ce qu'elle nous dit de l'Amérique
Il n’a pas fallu attendre l’arrivée de Donald Trump pour voir le rêve américain trembler sur ses bases. Les attentats du 11 septembre et la crise financière ont jeté le trouble au plus profond des âmes. La personnalité de Trump a surtout polarisé les opinions et sclérosé les idéaux. Traduit en séries, cela donne ceci: Barbara Bush avait sa Desperate housewive, Melania aura ses Big Little Lies.
Big Little Lies montre une classe moyenne de plus en plus déboussolée, qui ne survit qu’à travers le mensonge et le prisme des apparences.
Les petits ennuis de la vie ont laissé la place au meurtre, à la trahison, à la violence. Le quartier chic de Wisteria Lane sera ici Monterey, petite ville de la côte ouest, avec une vue spectaculaire sur l’Océan Pacifique. Une fois encore, des femmes plutôt aisées, des mères accomplies, dont le parfum s’emmêle aux embruns policés de la morale bien-pensante. Un fragile équilibre incarné par les trois rôles principaux, et non des moindres (Nicole Kidman, Reese Whiterspoon et Shailene Woodley), dont la vie bascule lors d’un gala de charité, lorsqu’un meurtre est commis.
Big Little Lies, c’est la face cachée de la classe moyenne, aisée, blanche, dont on ne voit pas qu’elle patauge dans la boue. Une Amérique glauque à la Joyce Carol Oates, celle de Mudwoman ou des Mulvaney. La série rencontre un succès phénoménal aux Etats-Unis. Et si elle n’est pas directement liée aux discours clivants du président américain, elle nous montre une classe moyenne de plus en plus déboussolée, qui ne survit qu’à travers le mensonge et le prisme des apparences.
Roseanne
L’American dream: l’électorat Trump
© ABCLa série
- Titre: Roseanne
- Acteurs principaux: Roseanne Barr, John Goodman
- Année de création: 2018
- Plateforme de diffusion: ABC aux Etats-Unis, Proximus TV en Belgique
Ce qu'elle nous dit de l'Amérique
L’entourage de Roseanne s’affirme autrement. Voilà l’archétype de la classe ouvrière, logée dans une sitcom familiale qui nous vient tel un ovni des années Georges Bush père, mais dont on trouverait plutôt les racines dans cette Amérique profonde et décomplexée des années Reagan. Aujourd’hui, pour son retour, Roseanne vote ouvertement pour Trump et s’adresse à ses électeurs (à un tel point que certains ont cru voir un agenda caché de la chaîne ABC).
Roseanne vote ouvertement pour Trump et s’adresse à ses électeurs.
Roseanne, ce sont des petites gens au langage cru, ceux dont on ne parle pas dans les médias et qui ne se reconnaissent pas dans les élites. Véritable lecture du phénomène Trump, la série est passée brutalement de l’autre côté d’une ligne rouge qu’elle aurait voulu ne jamais franchir. Roseanne Barr, l’actrice qui incarne l’héroïne, s’est fendue d’un tweet sauvage dans lequel elle s’en prend à une ancienne conseillère de Barack Obama: «Les Frères musulmans et la Planète des singes ont eu un bébé.»
Un dérapage payé cash: il n’a fallu que quelques heures pour qu’ABC déprogramme la suite de la série, pourtant hautement bancable, et la remplace par un spinout qui commence trois semaines après… les funérailles de Roseanne. Moralité: si vous ne voulez plus d’une actrice, faites-la mourir entre deux épisodes.
Dear White People
Le racisme à l’université
© Adam Rose/NetflixLa série
- Titre: Dear White People
- Actrice principale: Logan Browning
- Année de création: 2017
- Plateforme de diffusion: Netflix
Ce qu'elle nous dit de l'Amérique
La lutte contre le racisme trouve son pendant cathartique dans Dear White People, inspiré du film éponyme du cinéaste et acteur afro-américain Justin Simien (qui signe également la série). Nous voici sur le campus de Winchester où s’affrontent le journal satirique «blanc» Pastiche et une émission radio, Chers amis blancs, animée par l’étudiante métisse Sam White. Ici aussi, la circonvolution ne paie pas, il faut nommer les choses: l’animatrice ne s’en prive pas et, avec humour, subtilité, parfois cynisme, place les Blancs face à leurs propres démons.
Cette série s'en prend à l’Alt-right et à son racisme décomplexé. Avec en ligne de mire, cette Amérique de Trump dans laquelle la parole n’a plus aucun garde-fou.
Le tournage du premier volet prend fin en novembre 2016, mois de l’élection de Trump. Trop tôt donc pour en récolter les tendances de fond. Ses racines plongent plutôt dans le mouvement Black Lives Matter, un mouvement afro-américain né sur le cadavre de l’adolescent noir Trayvon Martin, abattu, alors qu’il n’était pas armé, par une patrouille de surveillance de quartier.
La deuxième saison est plus frontale, plus politique. Elle s’en prend à l’Alt-right et à son racisme décomplexé. Avec en ligne de mire, cette Amérique de Trump dans laquelle la parole n’a plus aucun garde-fou.
Atlanta
Le racisme sur la scène rap
© FXLa série
- Titre: Atlanta
- Acteur principal: Donald Glover (connu aussi sous son nom de scène: Childish Gambino)
- Année de création: 2016
- Plateforme de diffusion: FX aux Etats-Unis, BeTV en Belgique
Ce qu'elle nous dit de l'Amérique
Difficile à ce stade, de ne pas s’arrêter sur Atlanta. Dramédie sociale où l’on voit deux cousins noirs évoluer sur la scène rap. Ici aussi, première et deuxième saisons se trouvent à cheval de part et d’autre de l’abysse électoral de 2016.
La série avait donné à son public tous les signes d’une tribulation anti-Trump, d’autant que son créateur Donald Glover, alias Childish Gambino, avait crevé l’audience sur Youtube avec la vidéo de son clip «This is America» aux paroles peu équivoques.
Pourtant, le même Glover a préféré baisser le poing lors d’une interview donnée au New York Times: «Ce n’est pas comme si les choses étaient super pour les pauvres sous Obama et que, maintenant, les choses étaient beaucoup plus graves».
La Servante écarlate
Le pouvoir phallocrate
© HuluLa série
- Titre: La Servante écarlate
- Acteurs principaux: Elisabeth Moss, Yvonne Strahovski, Joseph Fiennes
- Date de création: 2017
- Plateforme de diffusion: Hulu aux Etats-Unis, Proximus TV en Belgique
Ce qu'elle nous dit de l'Amérique
Peut-être est-il plus facile de hurler derrière son écran, en cachette, que face caméra. C’est en tout cas la thèse de La Servante écarlate (A Handmaid’s Tale), adapté du roman éponyme de Margaret Atwood, publié en 1985.
Finis les Etats-Unis, place à la République de Gilead, où les femmes tiennent leur rôle de procréatrice avec une exclusivité qui n’a d’équivalence que leur soumission. Le monde qui les entoure est totalitaire, théocratique, venimeux.
La protubérance du pouvoir, la phallocratie primaire, la falsification de la pensée, la série se veut un miroir d’une Amérique en dérive.
Inspiré de faits réels et de l’Allemagne sous la Stasi, tout dans ce roman, dans cette série, enfonce la dystopie au plein cœur de l’actualité. La protubérance du pouvoir, la phallocratie primaire, la falsification de la pensée, la série se veut un miroir d’une Amérique en dérive, qui a englouti ses valeurs et déterré ses instincts bestiaux, le tout au service d’une caste toute puissante.
La série inspire à un tel point que, régulièrement, des femmes se déguisent en servantes écarlates (le rouge est la couleur de la fertilité, des menstruations, mais aussi du péché), pour manifester: contre Trump, pour le droit à l’avortement, celui des femmes et de leur corps. Le mouvement #metoo entre ici en résonance.
House of Cards & Designated Survivor
Le pouvoir des corrompus
© NetflixLes séries
- Titre: House of Cards & Designated Survivor
- Date de création: 2013 & 2016
- Plateforme de diffusion: Netflix
Ce qu'elles nous disent de l'Amérique
Il existe évidemment d’autres sujets, d’autres séries qui expliquent d’autres visions de l’Amérique de Trump. L’hypertrophie de la présidence américaine dépasse même les imaginaires les plus fous. Ainsi, les célébrissimes séries House of Cards et Designated Survivor, toutes deux décrivant la lutte au plus haut niveau dans l’administration américaine, ont dû modifier leur scénario en dernière minute pour les éloigner d’une réalité trop proche.
De quoi, en creux, suggérer aux Américains: «Vous voulez voir une bonne série? Regardez les journaux télévisés.»