
Laurence: Tu m’étonnes. T’en fais pas trop, frérot?
Olivier: J’ai pas le choix, j’ai un boulot de dingue et il faut bien que les choses se fassent. Tiens, hier par exemple…

7h02 “Bonjour Olivier, il faut changer le plan de la réunion de 15h avec le client. Je t’appelle.”
10h00 “Le petit est malade, rendez-vous à 17h chez le médecin, tu peux t’en charger?”


11h30 “La réunion est avancée à 13h30. Ça ira?”
11h31 “Pfff, même pas le temps de manger…”

16h00 “Vous perdez 30 minutes rue Belliard.“
17h15 “On est arrivé en retard, mais le médecin va quand même nous prendre. T’inquiète chérie, je gère.”


20h00 “T’en as encore pour longtemps ou je peux lancer le film?”
“Ça va, toi? T’as l’air crevé”
Comme Olivier, un salarié sur cinq est en risque d’épuisement.
Par Paul Gérard & Nicolas Becquet
Illustrations: L. Declercq - Développement: B. Verboogen
Publié le 08.11.19
Olivier: Ça n’arrête pas. C’est comme ça presque tous les jours.
Laurence: Pas étonnant que tu sois épuisé.
Olivier: En plus, je dors mal, j’ai mal au dos, je me prends la tête avec tout le monde à la maison... C’est la totale. J’ai vraiment l’impression que tout part en vrille.
Laurence: Tu vois, c’est bien la preuve que t’en fais trop.
Olivier: Je ne vois pas comment je pourrais en faire moins. J’enlève quoi?
Laurence: Ça, petit frère, il n’y a que toi qui peux le savoir.


Baromètre de l’épuisement
Bright Link est une spin-off de l’UCLouvain spécialisée dans la prévention du burn-out. Elle a compilé les réponses de 5.000 salariés qui ont complété un questionnaire approfondi («Preventing Burnout Test Entreprise») conçu par l’université.
Ce test permet de mesurer le niveau d’épuisement et d’identifier les principales sources de stress et d’énergie de chaque répondant.
Les réponses (anonymes) des 5.073 répondants sont agrégées dans cet Observatoire de l’épuisement 2019.
Les entreprises clientes de Bright Link sont actives dans les secteurs de la finance, du commerce, des technologies, du service aux entreprises et de la construction.
Olivier: Ça ne s’arrête jamais. Au réveil, j’ose même plus ouvrir ma boîte mail.
Laurence: Et si tu prenais un moment pour faire le tri, voir ce qui est prioritaire et ce qu’il ne l’est pas?
Olivier: Mmmh… tu disais?
Laurence: Tu m’écoutes?
Olivier: Oui, pourquoi?
Laurence: Tu veux pas lâcher ton smartphone deux minutes! T’es vraiment intoxiqué, toi.


Les stades
du burn-out
Qu’est-ce que le burn-out? Psychologue et professeure à l'ULiège, Isabelle Hansez le définit comme un état d’esprit négatif persistant lié au travail, caractérisé par l’épuisement, un sentiment d’inefficacité, une démotivation et des comportements dysfonctionnels au travail.
Le burn-out, ou épuisement professionnel, c'est une histoire qui va crescendo. Avant d'atteindre le stade du burn-out avéré, plusieurs stades sont observés. Isabelle Hansez en résume les grandes caractéristiques.
Stade 0 - L’enthousiasme
C'est le stade qui précède les problèmes. Le travail est idéalisé, le travailleur est engagé, ambitieux. Performance élevée, autonomie, bon contact avec les collègues. Il s'identifie fortement à son organisation, s'investit dans son travail, ce qui lui procure beaucoup d'énergie. Bref, tout va bien.
Stade 1 - Le surinvestissement
L’idéal se fragilise, sous l’effet de contradictions vécues au travail (conflit de valeurs, objectifs irréalisables,...). Le travailleur commence à avoir des doutes sur son efficacité, sur la pertinence et la valeur du travail qui se vide de sens. Et il compense: hyperactivité, surinvestissement, rythme de travail excessif, jusqu'à l'épuisement.
Stade 2 - La désillusion
Le travailleur bascule dans la déception, la désillusion: remise en cause du travail comme voie d'épanouissement, rejet des valeurs associées au travail. Les premiers signes cliniques apparaissent: impatience, irritabilité, troubles somatiques. Le comportement se modifie (cynisme, isolement, retrait protecteur), le travailleur devient insensible, ne ressent plus d'émotions, il éprouve des difficultés à garder une image positive de lui-même. Absences régulières et difficultés d'adaptation au retour. Le mal-être au travail contamine la sphère privée.
Stade 3 - Le burn-out avéré
Le passage au stade du burn-out avéré est souvent caractérisé par un événement ou un incident, comme par exemple une incapacité complète et subite à démarrer la journée. L'idéal d'un travail épanouissant s'éteint complètement. Le doute s'étend à toute l'identité du travailleur. Son incapacité à travailler s'accompagne d'un sentiment de honte. Perception d'incompréhension par l'entourage, risque de développer un état dépressif. Besoin de temps pour accepter ce qui arrive et admettre le diagnostic.
Olivier: Bien sûr, que je suis trop connecté. Mais j’ai pas le choix. Il y a des demandes urgentes, on attend mon avis. Je ne veux pas être celui qui bloque. Et puis, j’ai horreur de faire attendre les autres.
Laurence: Je te reconnais bien là. Ça s’appelle du perfectionnisme.
Olivier: Et c’est un défaut maintenant? Tu l’es pas, toi, perfectionniste?
Laurence: Si, mais ça ne me fout pas en l’air.
Olivier: T’as raison, j’ai l’art de me mettre la pression tout seul.
59% des salariés pointent un autre facteur de stress qui n’est lié ni à leur travail, ni à leur entreprise, mais à des traits personnels tels que le perfectionnisme ou le neuroticisme (instabilité émotionnelle, anxiété, irritabilité, sentiment d’impuissance).



Les trois
fatigues
Une fatigue physique est ressentie par plus d’un salarié sur quatre (29,6%)
- tensions musculaires (24,5%)
- problèmes d’insomnies (14,5%)
- problèmes intestinaux (14,5%)
Une fatigue émotionnelle est ressentie par un salarié sur cinq (20,8%).
- anxiété (14%)
- irritabilité (13,4%)
- susceptibilité (12,7%)
Une fatigue cognitive est ressentie par un salarié sur six (17,6%)
- difficulté à réaliser certaines tâches (11,3%)
- problèmes de concentration (10,1%)
- difficulté à décider (9,8%)
Olivier: Tu sais, ce qui m’aiderait à faire baisser la pression, ce serait de perdre moins de temps dans la voiture.
Laurence: T’as pensé au télétravail?
Olivier: Avec toutes les réunions que j’ai? Impossible, oublie.
Laurence: C’est ce que je pensais aussi il y a un an, quand j’ai frôlé le burn-out. Ça n’a pas été facile à négocier mais maintenant, je télétravaille le mercredi et le vendredi. Ça a changé ma vie. C’est plus facile pour les enfants et, tu sais quoi, ce sont les jours où je bosse le mieux!
Olivier: Ils n’accepteront jamais dans ma boîte.
Laurence: T’en as déjà parlé avec ton responsable?
Olivier: Non, ce serait mal vu. En plus, on est en train de tout changer avec la nouvelle stratégie “Digital 360”.
Laurence: Justement! C’est le bon moment pour changer les mentalités.
La digitalisation, la couche de trop?
De plus en plus de secteurs d’activité passent au numérique. La digitalisation implique une transformation des entreprises qui ne se fait ni facilement, ni rapidement, observe Bright Link: “Il s’agit en général de chantiers longs qui demandent aux collaborateurs de la flexibilité et l’acquisition de nouvelles compétences”.
“Il faut aussi être capable de combiner des tâches habituelles avec celles liées au processus de changement et au lancement d’une nouvelle organisation du travail”.
C’est un contexte propice à l’apparition de surcharges de travail et de directives contradictoires.

Laurence: Si je résume Olivier, tu croules sous le boulot, t’es stressé, t’as mal au dos et, à la maison, c’est compliqué. Bref, t’es en train de t’épuiser. Tu t’en rends compte? Tu sais comment ça va finir?
Olivier: De quoi tu parles?
Laurence: Tu cours droit au burn-out...
Olivier: Tout de suite les grands mots!
Laurence: Ce qui est sûr, c’est que tu es en train de t’oublier complètement dans l’histoire. Prends du temps pour toi, ta famille, tes potes. C’est ça qui compte, non?
Olivier: C’est exactement ce qu’Isabelle m’a dit la semaine dernière! On s’est engueulés comme jamais. J’arrête pas d’y penser, je me sens nul. Je sais bien que vous avez raison toutes les deux, mais je ne vois vraiment pas ce que je peux faire...
Laurence: Commence par des trucs simples. Je sais pas, prends du temps pour toi, va faire une balade en forêt, joue avec les enfants. Et si tu veux mieux gérer ton stress, je te conseille vraiment la méditation.
Olivier: Avec quoi tu viens! Tu m’as bien regardé?
Laurence: J’ai essayé, un jour, sur les conseils d’une copine et ça m’a fait un bien fou. Depuis, je gère mieux la pression.
Olivier: Mouais… Moi, je préfère aller courir.
Laurence: Eh ben voilà, va courir! Pas pour faire un marathon dans trois mois, hein, mais pour te faire du bien, t’aérer.

Olivier: En même temps, c’est pas le fait d’aller courir qui va changer le fond du problème. C’est mon boulot le problème, non?
Laurence: T’emballe pas. Prends les choses une par une. Ce nouveau boulot, tu le voulais. Tu m’en as tellement parlé. Tu l’aimes, ton job, on est d’accord?
Olivier: Oui, c’est vrai. Mais j’étais censé coacher une équipe et, au final, je n’arrive même pas à me coacher moi-même.
Laurence: Voilà, c’est ça: ce n’est pas qu’une affaire de boulot. Il y a des points à régler avec ta boîte, mais il y a aussi des trucs perso à revoir. Je sais de quoi je parle.


Facteurs
de stress
ou d’énergie?
Á côté des sources de stress (charge de travail, instructions de travail contradictoires, hyperconnectivité, etc.), il y a aussi les sources d’énergie.
Les salariés interrogés par Bright Link pointent quatre sources d’énergie principales:
- la qualité des relations avec l’entourage privé (94,1%)
- le sens trouvé dans le travail (82,8%)
- le soutien entre collègues (81,5%)
- un style de vie sain: activité physique, alimentation (79,6%)
En résumé, pour prévenir l’épuisement et le burn-out, il y a ce qui relève de l’entreprise et ce qui est du ressort de chacun. L’un sans l’autre, ça ne marche pas, souligne Bright Link. C’est une histoire d’équilibre.
Olivier: Je sais pas, Laurence… J’ai même pas l’énergie de réfléchir à tout ça.
Laurence: Fais attention quand même, si tu ne fais rien, vu ton état, c’est le burn-out assuré.
Olivier: Mouais.
Laurence: En tout cas, si tu veux qu’on en reparle, t’hésite pas, je ne vais pas lâcher mon petit frère. Tu le sais, ça, hein?
Olivier: Oui. Ça au moins, c’est une certitude.
Laurence: Bon. Je file, j’ai promis aux enfants d’aller les chercher plus tôt aujourd’hui. Appelle-moi!
Et vous, où vous situez-vous
sur l’échelle de la fatigue?
Voici un questionnaire qui vous permettra d’y voir plus clair.
Vous recevrez instantanément votre rapport personnel analysant votre niveau de fatigue, ainsi que des conseils pour éviter l’épuisement.
Ce test a été conçu par Bright Link, une spin-off de l’UCLouvain spécialisée dans la prévention du burn-out.
Faites le point. Prenez 15 minutes pour vous.