Plongez littéralement dans la nouvelle exposition que la vénérable Royal Academy of Arts de Londres propose jusqu’au 31 mars. Un dialogue inédit, à 500 ans de distance, entre le génial vidéaste américain Bill Viola, 68 ans, et Michel-Ange, qui prend le spectateur à partie sur les questions métaphysiques de l’Homme.
Rien de moins!
Par Xavier Flament à Londres - 02/02/19
Développement: Benjamin Verboogen
Ça commence fort avec la première des trois confrontations (sur douze salles d’exposition). Dans ce fameux «Triptyque de Nantes» (1992), Bill Viola filme pendant 30 minutes un accouchement en direct et l’agonie de sa propre mère, séparant ces deux moments forts (les seuls de l’existence?) par une allégorie fantomatique de la vie qui passe.
Face à chaque volet du triptyque vidéo, une œuvre de Michel-Ange: la naissance avec deux Vierges à l’enfant et la mort avec une Pietà, en provenance, comme la plupart des autres dessins de l’exposition, du Cabinet des estampes de Sa Majesté la Reine.
Quant au fameux «Taddei Tondo» de la Royal Academy, un bas-relief inachevé en marbre, il symbolise la vie qui passe à travers la présence de Saint-Jean-Baptiste qui annonce le destin du Christ…
Au lieu de la sidération d’habitude provoquée par l’œuvre de Bill Viola, la confrontation laisse un interstice à un sentiment beaucoup plus intime.
Pris directement à partie, le spectateur peut lui-même projeter ses émotions, son vécu et s’approprier les grandes questions que travaillent en parallèle les deux artistes. C’est un échange à trois sur l’essentiel qui s’instaure.
Bill Viola, Man Searching for Immortality/Woman Searching for Eternity, 2013
© David Parry / Royal Academy of Arts
Bill Viola passe son temps à scruter le temps qui passe. Son art est lui-même une réflexion sur la durée. C’est d’ailleurs ce qu’il représente dans ces Adam et Ève vieillissant, nus comme des vers, et auscultant chaque partie de leur corps, une torche à la main, dans l’espoir d’y trouver pour l’un l’immortalité (l’homme), pour l’autre l’éternité (la femme). Cette loupiote, c’est bien sûr l’objectif de l’artiste en quête d’immortalité, d’éternité depuis près 40 ans...
« Seule l’image entièrement déterminée par l’expérience intérieure doit être considérée comme parfaitement fidèle à la réalité. »
Bill Viola, 1981
Avec notre croyance magique en la technologie, nous avons oublié à quelle punition divine nous expose notre quête de l’immortalité. C’est ce que Michel-Ange nous rappelle dans cette seconde confrontation. Et particulièrement dans ce «Châtiment de Tityos», réalisé en 1532, à une époque où l’artiste multiplie les résurrections. Un thème qui rappelle Prométhée, enchaîné pour avoir volé la connaissance aux dieux et l’avoir donnée aux hommes. Le Géant Tityos voulait violer Latone, la maîtresse de son père (Zeus tout de même), et voilà son foie dévoré pour l’éternité. Un homme averti…
«Continuellement submergée par de nouvelles inquiétudes, de nouveaux espoirs, mon âme aspire chaque jour à se libérer du corps.»
Michel-Ange, 1524
«Tityos», Michelangelo Buonarroti, 1532.
© Prêt de Sa Majesté La Reine Elizabeth II
Le troisième et dernier dialogue s’interroge sur ce qu’il advient de nous après le grand saut. Deux crucifixions de Michel-Ange enserrent «Surrender» (2001) de Bill Viola, deux figures en miroir frappées par la Passion. Elles se lamentent en slow motion avant que leurs corps ne se dissolvent en couleurs pures.
Éternelles.
Dans les années 1560, Michel-Ange réalise une douzaine de crucifixions. Autant de méditations sur le sacrifice du Christ où il représente l’âme libérée de sa gangue charnelle, alors qu’il approche lui-même de la mort.
« Ni la peinture, ni la sculpture ne peuvent plus calmer mon âme. Elle est maintenant tournée vers cet amour divin qui nous embrasse sur la croix, les bras grands ouverts. »
Michel-Ange, 1552-4
Il est ici à nouveau question de ce qu’il advient de nous après le grand saut, réponse chrétienne chez l’ancien, plus ambiguë chez le moderne qui hésite entre la résurrection de son sublime «Tristan» qui clôt l’exposition et l’éternel retour de son «Messenger», qui l’ouvre.
Une exposition audacieuse pour une institution à 100% privée mais qui n’en défend pas moins farouchement son identité d’Académie: édifier les foules à travers un patrimoine choisi et paver l’avenir de créations visionnaires.
«Ce ne sont ni l’écran, ni la caméra, ni la bande qui forment le matériau de base de la vidéo, mais le temps lui-même. La durée est à la conscience ce que la lumière est à l’œil.»
Bill Viola, 1989